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La traite des êtres humains et le droit international

Pour information
Kristine Plouffe-Malette
, Chargée de cours
Kristine.Plouffe-Malette@USherbrooke.ca

Objectifs

Cette capsule d’apprentissage vise à présenter la lutte internationale contre la traite des êtres humains, et ce, à travers l’étude des normes, permettant de dégager les critères constitutifs du crime, et à travers l’analyse de la jurisprudence européenne naissante en la matière. Une fois cette capsule complétée, le participant sera en mesure de :

  1. définir le crime de traite des êtres humains en droit international;
  2. comprendre l’approche internationale de lutte contre ce crime;
  3. qualifier une situation factuelle donnée au titre de la traite des êtres humains.

Introduction

Cette capsule d’apprentissage repose essentiellement sur l’analyse des textes conventionnels, de la jurisprudence ainsi que de la doctrine. Trois exercices permettent aux participants de mesurer leur compréhension des notions présentées et de vérifier les connaissances acquises concernant les objectifs de cette capsule. 

Depuis l’an 2000, plusieurs décideurs publics ont affirmé que la traite des êtres humains serait le crime du futur contre lequel la communauté internationale serait appelée à lutter. Or, non seulement nous avons lutté contre l’exploitation de l’humain par l’humain depuis plus de 200 ans, mais la traite des êtres humains est un crime contre lequel des actions concrètes ont été entreprises depuis le début du 20e siècle. Qui plus est, la traite des êtres humains n’épargne plus aucun pays, qu’il soit de départ, de transit ou de destination.

Le saviez-vous?
Selon le rapport de l’Office des Nations Unies contre la drogue publié en 2009 :
79 % des victimes sont exploitées sexuellement et 18 % des victimes sont soumises au travail forcé.
20 % des victimes sont des enfants, mais dans certaines régions ils sont majoritaires.
30 % des trafiquants sont des femmes.

Plusieurs organismes et plusieurs gouvernements produisent des estimations annuelles quant au nombre et aux qualités des victimes. À titre d’exemple, en 2007, dans son rapport annuel, le gouvernement américain estimait que de 600 000 à 800 000 personnes étaient victimes de la traite annuellement de par le monde, un chiffre renouvelé au cours des quelques années qui ont suivi ; certains chercheurs ont avancé le chiffre de 500 000 personnes sur le seul territoire européen, alors que la Gendarmerie royale du Canada a estimé, en 2005, que de 1500 à 2000 personnes auraient été victimes de traite des êtres humains au Canada pour cette seule année.

Non seulement ces statistiques prennent de l’âge, mais elles ne sont pas ou plus renouvelées. Considérant la clandestinité dans laquelle évolue ce crime, la fiabilité des données reste incertaine. Il importe ainsi de poser un regard critique sur les statistiques avancées, tout en retenant que les victimes demeurent nombreuses. En février 2015, l’Assemblée générale des Nations Unies s’est dite vivement préoccupée par le nombre croissant de femmes et de filles victimes de traite tout en constatant que les hommes et les garçons sont également victimes de traite, notamment à des fins sexuelles. 

En somme, un fait concernant le crime de traite des êtres humains est avéré : plus aucun continent n’y échappe.

La carte présentée plus haut dresse le portrait des principales routes et des principaux États d’origine et de destination. Une réponse internationale à ce problème a été apportée par les États par le biais du Protocole des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, communément intitulé Protocole de Palerme dont l’originalité consiste certainement en l’inclusion d’une définition de la traite des êtres humains et en la criminalisation de celle-ci.

Trois critères doivent être réunis pour constituer le crime de traite des êtres humains, c’est-à-dire, l’acte, le moyen et les fins d’exploitation.

  1. Les actes : Premièrement, la définition incluse au Protocole prévoit les actes y étant relatifs, soit le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou à l’accueil de personnes, commis tant dans le pays d’origine de la victime, de transit ou de destination. Il n’est pas nécessaire de rechercher l’exécution « complète » du crime de traite. La perpétration de l’un des actes énumérés est suffisante puisqu’il s’agit d’une infraction de résultat anticipé.
  2. Les moyens : Deuxièmement, pour déterminer la perpétration de l’infraction de traite, l’acte doit avoir été exécuté à l’aide de l’un des moyens de coercition, physique ou mentale, visant à conditionner ou vicier la volonté de la victime. Il doit être noter que le consentement de la victime est indifférent lorsqu’il y a eu emploi de l’un des moyens de contrainte énumérés, soit la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages. Ce deuxième critère ne s’applique pas lorsqu’il y a traite des enfants.
  3. L’exploitation : Troisièmement, l’acte et le moyen doivent avoir pour objectif l’exploitation de la victime. Le Protocole de Palerme établit un standard selon lequel l’exploitation s’entend minimalement de l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes. Cette énumération non restrictive témoigne des pratiques actuellement courantes et permet de croire que d’autres pratiques pourraient être incluses.

Si cette définition et sa lecture littérale ont fait consensus au sein des membres des Nations Unies – ce Protocole est largement ratifié ­– plusieurs observations s’imposent. Celles-ci ont notamment trait aux ambigüités qui demeurent quant à la protection des victimes de traite des êtres humains. 

Dans un premier temps, le débat entourant le travail du sexe, la prostitution – volontaire ou forcé – et la traite des êtres humains a été écarté des négociations du Protocole de Palerme. Cette décision fait en sorte qu’il est impossible de distinguer les situations de traite des êtres humains de celles de proxénétisme.

Dans un deuxième temps, les moyens retenus et strictement énoncés semblent répétitifs et difficilement identifiables dans la pratique. L’abus d’une situation de vulnérabilité et l’offre de paiement en sont deux exemples.

L’expression «abus […] d’une situation de vulnérabilité » a été interprétée aux travaux préparatoires du Protocole de Palerme comme « l’abus de toute situation par laquelle la personne concernée n’a pas d’autre choix réel ni acceptable que de se soumettre […].» (Travaux préparatoires, au para 63 et Guide législatif, à la p 287). Puisque chacune des expressions incluses à la définition de la traite devrait recevoir une interprétation complémentaire, l’abus de vulnérabilité interprétée comme l’absence de choix devrait être considéré différemment et en addition au moyen énoncé comme « la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte ». L’absence de choix ne consiste-t-elle pas en une forme de contrainte ? Il y a bel et bien ici une confusion envisageable des moyens.

Tout aussi imprécis, le moyen énoncé tel que « l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages » n’est pas sans rappeler le paiement d’un bonus, d’une prime ou d’un pourboire, des actes légaux dans certaines législations nationales du travail. Ainsi, s’il y avait intention d’exploitation de la part d’un trafiquant présumé qui offrait un paiement ou un avantage à une présumée victime, il est possible que cette situation ne soit pas répertoriée faute de matérialisation du crime.

Dans un troisième temps, le consentement de la victime est limité à l’exploitation et dans la mesure où l’un des moyens énoncés a été utilisé. Ainsi, il ne s’agit pas de consentir à l’acte ni au moyen. Prenons l’exemple d’une personne qui consent à son transport au-delà d’une frontière internationale, car elle souhaite quitter son pays, et au paiement de frais à un passeur qui s’avère être un présumé trafiquant. Elle n’a pas consenti à l’exploitation, mais bien à l’acte, par usage d’un moyen de coercition, par exemple la tromperie, car son passeur souhaitait vendre cette personne à destination. Elle est interceptée aux douanes avant même que l’exploitation ait lieu. La preuve de l’exploitation sera difficile, voire impossible, à présenter et la victime sera ici assimilée à une migrante illégale.

Ce sont les causes de la traite des êtres humains qui ressortent de cette analyse des moyens et du consentement de la victime. Si la pauvreté n’est pas l’apanage de la traite des êtres humains, elle demeure un facteur clé. Aux origines de la traite des êtres humains, on retrouve également la criminalité, la féminisation des migrations, la transition vers l’économie de marché, le manque d’éducation et de ressources, la discrimination fondée sur le genre et la race et les croyances ou pratiques socioculturelles. L’association de ces facteurs forme les conditions propices à la manifestation de l’exploitation. À noter que cette énumération permet de constater autant de violation des droits humains des victimes présumées, avant même la perpétration du crime.

RAPPEL
La traite des êtres humains et le trafic de migrants : une importante distinction!
Il est important de faire la distinction entre la traite des êtres humains et le trafic de migrant. En effet, le trafic de migrant est prévu à l’article 3 du Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée. L’expression « trafic de migrant » désigne le fait de tirer un avantage financier ou matériel de l’entrée illégale dans un État d’une personne qui n’en est ni ressortissante ni résidente. Aucune fin d’exploitation du migrant n’est requise, contrairement à la traite des êtres humains.

EXERCICE 1
Quels sont les États épargnés par la traite des êtres humains?
A. Les pays européens
B. L’Australie
C. L’Afrique du Sud
D. Aucun état

De quels éléments est composée la définition de la traite des êtres humains?
A. L’hébergement, le recrutement et l’exploitation
B. Les actes, les moyens et les fins d’exploitation
C. Le transport, le franchissement d’une frontière et l’exploitation
D. Les actes, les moyens et les fins d’exploitation sexuelle

La lutte internationale contre la traite des êtres humains

La succession des traités internationaux qui ont trait à la lutte contre la traite des êtres humains permet de faire la lumière sur l’évolution du traitement juridique de cette problématique, passant du droit international public, au droit du travail, au droit des femmes puis des êtres humains. L’approche intégrée de la lutte contre la traite des êtres humains est la dernière en la matière, développée par le Protocole de Palerme.

Les textes conventionnels précédant le Protocole de Palerme

Plusieurs traités conventionnels ont été rédigés au cours du XXe siècle concernant la traite des êtres humains. Sous l’égide de la Société des Nations, il y eut l’Accord international en vue d’assurer une protection efficace contre le trafic criminel connu sous le nom de traite des blanches de 1904, puis la Convention internationale relative à la répression de la traite des blanches, la Convention internationale pour la suppression de la traite des femmes et des enfants et la Convention relative à la répression de la traite des femmes majeures. En élargissant successivement le champ d’application en genre et en âge de ces traités, les rédacteurs ont principalement souhaité améliorer la gestion de la prostitution étrangère et les flux migratoires, sans contraindre les États parties à protéger les victimes de traite. Il s’agissait ainsi essentiellement de traité de coopération.

Saviez-vous que?
Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes.
- Article 4 de la Déclaration universelle des droits de l’homme

En 1949, soit quelques années après la création des Nations Unies et une année après l’adoption de la résolution proclamant la Déclaration universelle des droits de l’homme et son article 4 qui interdit l’esclavage et la traite sous toutes ses formes, la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui a été adoptée Il s’agit de la première convention internationale qui criminalise la traite des êtres humains, sans précision ni de genre ni d’âge, invite les États parties à accroître leur coopération, notamment par l’échange d’information, tout en reconnaissant des droits procéduraux, certes limités, aux victimes. Or, aucune définition n’est donnée des expressions « traite », « exploitation » et « prostitution », alors que les mesures dites de protection sont, en réalité, des mesures de gestion des flux migratoires. L’absence de mécanisme de suivi et le petit nombre de ratifications auront eu raison de cette convention qui se voulait finalement n’être qu’un accord supplémentaire de gestion des frontières plutôt qu’un instrument international de lutte contre « la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution […] incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine [mettant] en danger le bien-être de l’individu, de la famille et de la communauté », tel qu’en fait foi son préambule.

L’Organisation internationale du travail (OIT) a également adopté un corpus normatif prévoyant la suppression du travail forcé par le biais de la Convention no 29 sur le travail forcé ou obligatoire en 1930 et de la Convention n105 concernant l’abolition du travail forcé en 1957, puis en 1999 de la Convention no 182 concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination. Cette dernière vise l’abolition de toutes formes d’esclavage et ses pratiques analogues, dont la vente et la traite des enfants, la servitude pour dette, le servage, le travail forcé ou obligatoire. La Convention no 189 concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques réitère ces différents engagements, précisément au bénéfice des travailleurs et travailleuses domestiques. Il importe de souligner que l’approche est ici distincte puisque les États parties à ces conventions se sont engagés à supprimer le travail forcé, non à le réprimer ou le sanctionner, comme ils le font sous l’égide de la Convention pour la répression de la prostitution et de la traite des êtres humains ou le Protocole de Palerme. De plus, s’il peut y avoir traite des êtres humains, concrétisée par une exploitation dans le travail, l’inverse n’est pas soutenu par l’OIT, le travail forcé n’étant pas automatiquement qualifié de traite des êtres humains.

Le droit international des droits de l’homme a également contribué à l’édification de normes en matière de lutte contre la traite des êtres humains. L’interdiction de l’esclavage, de la traite ainsi que du travail forcé est rappelée à l’article 8 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Toutefois, l’interdiction de traite des êtres humains se concrétise principalement dans le corpus normatif dédié à la protection des femmes, par la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, et des enfants, par la Convention relative aux droits de l’enfant, par le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés et leProtocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants

L’approche intégrée émanant du Protocole de Palerme

Le Protocole de Palerme est le plus récent texte conventionnel largement adopté par les États ; il a pour objectif d’écarter cette approche migratoire de la lutte contre la traite des êtres humains pour se tourner vers une approche intégrée.

Ainsi, la définition précédemment étudiée est supportée par un cadre composé de trois aspects inclus au Protocole de Palerme, soit la répression du crime à l’article 5, la protection aux articles 6 à 8 et, finalement, la prévention aux articles 9 à 13. Cette approche intégrée – également intitulée l’approche par les 3 P – fonde la lutte contre la traite sur trois piliers autonomes, mais interdépendants.

Le Protocole de Palerme suggère aux États d’adopter des mesures pour prévenir la traite en assurant des formations aux agents publics, en renforçant les mesures de détection aux frontières, en prévoyant des mécanismes d’échange informations rapides entre États et en créant des programmes de prévention pour la population. La protection des victimes devrait aussi être assurée par les États, particulièrement de destination, mais également par les États dans lesquels les victimes transitent et les États d’origine. Pour ce faire, une fois les victimes identifiées, elles devraient être prises en charge afin de recevoir l’aide matérielle, physique et psychologique nécessaire. Finalement, le Protocole de Palerme oblige les États parties à criminaliser la traite.

Si cette initiative internationale doit être saluée, il s’agit essentiellement d’un instrument répressif. En effet, le Protocole de Palerme vise avant tout la répression d’un crime mondialisé qui tient compte à la fois des besoins des victimes et de la nécessité d’enrayer le phénomène, sans toutefois prévoir d’obligation en ce sens. Cet apport est dû à la forte participation des organisations internationales et des organisations non gouvernementales aux négociations qui ont précédé l’adoption du Protocole de Palerme. S’il n’est pas possible d’identifier les retombées de leur participation, deux conclusions peuvent être tirées. D’une part, la participation active des organismes a contribué à l’éducation des membres du comité de rédaction. En effet, plusieurs membres des délégations gouvernementales ont candidement admis leur manque de connaissance concernant la traite des êtres humains comme une majorité de citoyens. D’autre part, ces organisations ont fait pression auprès des rédacteurs pour que la définition soit de caractère contraignant dans son essence et qu’elle inclut d’autres formes d’exploitation que la forme sexuelle. Vu l’étude de la définition, il est permis de conclure que les organisations internationales et les organisations non gouvernementales ont atteint, du moins partiellement, leur objectif.

L’analyse de la norme en matière de lutte contre la traite des êtres humains permet également de faire ressortir de profondes lacunes, principalement quant à la protection des victimes. Rien au Protocole de Palerme ne prévoit l’identification adéquate et la reconnaissance effective des victimes par les autorités nationales. Si une victime ne peut être identifiée par exemple à la frontière, il ne sera pas possible d’empêcher l’exploitation une fois la frontière franchie. S’il n’est pas reconnu un statut de victime de la traite des êtres humains et non de victime de crime de droit commun, les mesures de protection ne pourront lui être accordées. À titre d’exemple, une victime de traite des êtres humains devrait recevoir une aide au logement, un soutien financier, une aide psychologique ainsi que juridique.

EXERCICE 2
L’objectif premier du Protocole des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants est de protéger les victimes.
A. Vrai
B. Faux

Quelle est la principale distinction qui s’opère entre la traite des êtres humains et le trafic de migrant?
A. La passation d’une frontière internationale
B. L’exploitation
C. Le prix payé pour le trajet jusqu’à la frontière
D. Aucune de ces réponses

Le régime juridique européen de la traite des êtres humains : un exemple

En marge du système dit universel de lutte contre la traite des êtres humains, des organisations régionales ont adopté des normes à vocation similaire ; le Conseil de l’Europe a ainsi adopté en 1950 la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la Convention européenne des droits de l’homme) et, en 2008, la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains. Contrairement au Protocole de Palerme, ces deux traités sont munis de mécanismes, l’un judiciaire, c’est-à-dire la Cour européenne des droits de l’homme, l’autre composé d’experts indépendants, c’est-à-dire le Groupe d’expert sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA).

Le régionalisme européen a fourni une première lecture judiciaire de l’interdiction de la traite des êtres humains que l’on retrouve à l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’étude des deux décisions européennes permet d’éclairer certaines notions ainsi que la méthode d’analyse à privilégier en cas de traite des êtres humains.

L’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit que « nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire. » La Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains interdit la traite des êtres humains définit de manière similaire au Protocole de Palerme à l’article 4 a) :

Saviez-vous que?
L’expression «traite des êtres humains» désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes.

Les interprétations adoptées par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Siliadin c France en 2005 des notions de servitude, de travail forcé et d’esclavage peuvent éclairer cette dernière définition de la traite des êtres humains. Dans l’affaire Siliadin (no 73316/01 (26 juillet 2005), il a été reconnu que Mme Siliadin a été soumise au travail forcé. La Cour a apporté des nuances aux notions prévues à l’article 4 : «En ce qui concerne l’esclavage, bien que la requérante ait été privée de son libre arbitre, il ne ressort pas du dossier qu’elle ait été tenue en esclavage au sens propre, c’est-à-dire que les époux B. aient exercé sur elle un véritable droit de propriété, la réduisant à l’état d’objet. La Cour estime donc que l’on ne saurait considérer que Mlle Siliadin a été maintenue en esclavage au sens «classique» de cette notion. Quant à la servitude, elle s’analyse en une obligation de prêter ses services sous l’empire de la contrainte, et est à mettre en lien avec la notion d’«esclavage». À cet égard, la Cour relève que le travail forcé auquel la requérante a été astreinte s’effectuait sept jours sur sept durant près de 15 heures par jour. Amenée en France par une relation de son père, Mlle Siliadin n’avait pas choisi de travailler chez les époux B. Mineure, elle était sans ressource, vulnérable et isolée, et n’avait aucun moyen de vivre ailleurs que chez les époux B. où elle partageait la chambre des enfants.» 

La Cour européenne s’est penchée à nouveau sur l’interprétation de l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme dans l’affaire Rantsev c Chypre et Russie, no 25965/04 (7 janvier 2010). La victime, Mme Rantsev étant décédée, il n’a pas été possible d’obtenir un témoignage des sévices subis. La preuve a cependant révélé qu’elle a bien été victime de traite des êtres humains, qui s’inscrit dans l’interdiction d’esclavage : «[l]a Cour note que, au même titre que l’esclavage, le trafic d’êtres humains, compte tenu de sa nature et des fins d’exploitation qu’il poursuit, suppose l’exercice de pouvoirs comparables au droit de propriété. Les trafiquants voient l’être humain comme un bien qui se négocie et qui est affecté à des travaux forcés. Ils doivent surveiller étroitement les activités des victimes qui, souvent, ne peuvent aller où elles le veulent. Ils ont recours contre elles à la violence et aux menaces. Dès lors, la Cour estime que l’article 4 interdit ce type de trafic.»

Ces deux interprétations de l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme permettent de conclure qu’une situation de traite des êtres humains sera reconnue lorsqu’il y aura un réel exercice des droits de propriété sur un être humain, à l’image de l’esclavage. La Cour européenne n’a pas eu la chance d’interpréter la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains.

La Convention du Conseil de l’Europe consiste en une avancée en matière de lutte contre la traite des êtres humains, principalement pour la protection des victimes, et ce, principalement pour trois raisons. Premièrement, elle confirme à son préambule que la traite consiste en « une violation des droits de la personne et une atteinte à la dignité et à l’intégrité de la personne ». Deuxièmement, la victime est considérée de manière effective comme sujet de la lutte et le crime en est un de violation des droits de la personne. Troisièmement, elle prévoit l’articulation de mesures répressives contre les trafiquants en fonction d’une protection effective des victimes. À titre d’exemple, une victime ne devrait pas se voir imposer de sanction pour sa participation à des activités illicites alors qu’elle y a été contrainte par le trafiquant ; seul ce dernier devrait se voir accusé.

L’essence du libellé des dispositions de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains en matière d’assistance aux victimes ne s’écarte pas de manière importante du Protocole de Palerme. Les deux traités prévoient essentiellement les mêmes standards minimaux en la matière dont la protection de la sécurité, de la vie privée et de l’identité des victimes, la transmission d’informations relatives aux procédures judiciaires et administratives, l’assistance judiciaire dans une langue comprise de la victime, un logement, une assistance médicale, psychologique et matérielle, un accès à la réparation pour le préjudice subi. Toutefois, le caractère obligatoire des engagements relatifs à l’assistance des victimes confirme l’avancée réalisée par le Conseil de l’Europe en faveur de la protection des victimes de traite des êtres humains.

Chargé de veiller à la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, le GRETA fonde ses observations principalement sur le mécanisme de visites in situ auprès des pays membres du Conseil de l’Europe. Dans son rapport du 17 octobre 2013, le GRETA a exhorté les gouvernements européens à faire plus pour lutter contre la traite en sol européen, soulignant que « l’Europe ne doit pas rester un eldorado pour les trafiquants d’êtres humains ». Le GRETA a de plus saisi cette occasion pour rappeler aux États leur obligation de prévenir la traite tout en s’attaquant aux causes de ce crime. Ainsi, ni la Cour, par absence de dossier, ni le GRETA, son mandat ne le lui permettant pas, n’ont, à ce jour, offert d’interprétation de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains.

ATTENTION!
Il est important de ne pas confondre l’Europe des 47 – le Conseil de l’Europe – et l’Europe des 28 – l’Union européenne. L’Union européenne est avant tout une union économique et monétaire qui évolue vers une protection accrue des droits humains, alors que les objectifs premiers du Conseil de l’Europe consistent en la protection des droits humains, de l’État de droit et de la démocratie.

EXERCICE 3
La Cour européenne est un organe judiciaire, alors que le GRETA est un mécanisme de monitorage reposant sur l’expertise de ses membres. Vrai ou faux?
A. Vrai
B. Faux

La définition européenne de la traite des êtres humains diffère largement de la définition internationale de la traite des êtres humains. Vrai ou faux?
A. Vrai
B. Faux

Conclusion

Plus d’un siècle après l’adoption du premier instrument international relatif à la traite des êtres humains, les États tentent aujourd’hui de lutter, dans les sphères internationale et régionale, contre la traite des êtres humains par l’adoption d’une approche équilibrée permettant de prévenir, de réprimer et de protéger. Nous avons, dans un premier temps, présenté l’évolution de la norme puis de la lutte contre la traite des êtres humains articulée autour de la lutte contre la criminalité transnationale organisée. L’intention initiale des rédacteurs du Protocole de Palerme n’a pas été respectée en ce que cet instrument normatif vise essentiellement la répression de la traite et non la lutte contre celle-ci. En deuxième temps, nous avons présenté les dernières évolutions en la matière avec pour trame de fond les normes et les décisions judiciaires européennes. Celles-ci ont permis d’esquisser les premières limites de l’infraction de traite des êtres humains. 

En 1982, monsieur Benjamin Whitaker, Rapporteur spécial sur l’esclavage, écrivait que « la nature humaine est apte à trouver de nouveaux moyens pour obtenir et conserver un contrôle complet sur autrui »[1]. La traite des êtres humains n’y échappe pas.

[À jour au 1er mars 2017]

[1] Benjamin Whitaker, L’esclavage. Rapport mettant à jour le rapport sur l’esclavage présenté à la Sous-commission en 1966, E/CN.4/Sub.2/1982/20/Rev.1 à la page 4.

Livres, articles et sites internet

Allain, Jean. Slavery in International Law. Of Human Exploitation and Trafficking, Leiden, Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2013

Decaux, Emmanuel. Les formes contemporaines de l’esclavage, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff, 2009

Perrin, Benjamin. Invisible Chains. Canada’s Underground World of Human Trafficking. Toronto, Vincking Canada, 2010

Plouffe-Malette, Kristine. Protection des victimes de traite des êtres humains. Approches internationales et européennes, Bruxelles, Bruylant, 2013

Les documents du Rapporteur spécial sur la traite des êtres humains, particulièrement des femmes et des enfants, 

Glossaire

État de départ : Qualification de l’État d’origine ou de résidence de la victime de traite des êtres humains

État de transit : Qualification de chacun des États que la victime de traite des êtres humains peut traverser pour se rendre à l’État de destination.

État de destination : Qualification de l’État dans lequel la victime réside, après avoir été déplacée, si tel est le cas, et est exploitée.

3P : répression (prosecution), prévention et protection

EXERCICE 1

Quels sont les États épargnés par la traite des êtres humains?

A. Les pays européens
B. L’Australie
C.L’Afrique du Sud
D. Aucun état

De quels éléments est composée la définition de la traite des êtres humains?

A. L’hébergement, le recrutement et l’exploitation
B. Les actes, les moyens et les fins d’exploitation
C. Le transport, le franchissement d’une frontière et l’exploitation
D.Les actes, les moyens et les fins d’exploitation sexuelle

EXERCICE 2

L’objectif premier du Protocole des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants est de protéger les victimes.

A.Vrai
B. Faux

Quelle est la principale distinction qui s’opère entre la traite des êtres humains et le trafic de migrant? 

A.La passation d’une frontière internationale
B. L’exploitation
C. Le prix payé pour le trajet jusqu’à la frontière
D. Aucune de ces réponses

EXERCICE 3

La Cour européenne est un organe judiciaire, alors que le GRETA est un mécanisme de monitorage reposant sur l’expertise de ses membres. Vrai ou faux?

A. Vrai
B. Faux

La définition européenne de la traite des êtres humains diffère largement de la définition internationale de la traite des êtres humains. Vrai ou faux?

A.Vrai
B.   Faux