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Conférence Pro Bono par des étudiants en droit

Abattre des mythes tenaces sur les droits des conjoints de fait

Karie-Ann Doyon, Marie-Michèle Piquette et Pierre-Luc Simard

Karie-Ann Doyon, Marie-Michèle Piquette et Pierre-Luc Simard


Photo : Michel Caron

«Vous vivez en union de fait et vous décidez de vendre le frigo de l’appartement que vous partagez pour vous faire de l’argent de poche. Est-ce que votre partenaire a des droits ou des recours contre vous?» La question est posée par une étudiante en droit, lors d’une conférence dans l’enceinte du Centre judiciaire de la Faculté de droit. Quelques personnes offrent des réponses variées et contradictoires. L’anecdote révèle que le statut juridique des conjoints de fait est grandement méconnu, au Québec.

Trois étudiants de droit, Karie-Ann Doyon, Marie-Michèle Piquette et Pierre-Luc Simard, ont voulu déboulonner certains mythes tenaces qui persistent à ce sujet. Ils proposaient une conférence Pro Bono sur les droits des conjoints de fait, et à laquelle quelques dizaines de participants de différentes facultés ont assisté, le 3 avril.

Fausse sécurité

La méconnaissance quant aux droits des conjoints n’est pas une vue de l’esprit. Karie-Ann Doyon a fait écho à une étude récente de la Chambre des notaires qui a révélé, sondage à l’appui, qu’une bonne proportion de la population se croyait (faussement) bien renseignée sur les droits des conjoints de fait. Notamment, 62 % des répondants croyaient que le patrimoine devait être partagé en parts égales en cas de rupture. «C’est vrai pour le mariage, mais les couples en union de fait n’ont pas cette protection», signale l’étudiante.

Quelque 42 % des répondants estimaient qu’un conjoint ne pouvait pas vendre une maison sans l’accord de l’autre en cas de séparation, ce qui est faux si un seul des conjoints est propriétaire. «Parmi les répondants, 58 % croyaient qu’une pension alimentaire devait être versée au conjoint moins fortuné lors d’une rupture, et ce, en dépit du cas très médiatisé d’Éric et Lola, qui a confirmé le contraire», a poursuivi l’étudiante. Enfin, 46 % des répondants estimaient que les conjoints de fait obtenaient des droits après un certain nombre d’années de vie commune.

Or, en réalité, si le mariage ou l’union civile confèrent des droits et obligations aux conjoints, l’union de fait n’offre pas de droits en vertu du Code civil. Malgré cela – et c’est sans doute ce qui crée de la confusion – un certain nombre de lois spécifiques reconnaissent un statut aux conjoints de fait, et ce, selon des modalités variables. C’est le cas des lois liées à la fiscalité, à l’assurance emploi, aux accidents du travail ou à l’assurance automobile, notamment. «Puisque ces lois reconnaissent les conjoints de fait, certaines personnes peuvent penser que leur statut de conjoint de fait est reconnu par la société ou le Code civil, dit Karie-Ann Doyon. Mais ils peuvent avoir de mauvaises surprises en cas de séparation.»

LES CONJOINTS DE FAIT

L'union de fait, aussi appelée «union libre» ou autrefois «concubinage», existe entre deux personnes non mariées, de sexe différent ou de même sexe, qui font vie commune et se présentent publiquement comme un couple. Une cohabitation d’un an ou le fait d’être parent d’un enfant fait présumer la vie commune. En gros, les conjoints de fait n'ont aucune protection lorsqu'ils se séparent, donc ils ne se doivent rien. C'est pour cela qu'il faut établir une convention, testament, assurance-vie. Ils ont droit à trois recours seulement : enrichissement injustifié, déclaration de société tacite ou une requête en partage pour les copropriétaires indivis.

LE MARIAGE

Le mariage est une des façons pour un couple de s’unir et de ne plus être considéré comme étant seulement en union de fait. Le mariage permet à un couple, de sexe différent ou non, de s’engager officiellement à faire vie commune et à respecter les droits et obligations que ce type d’union entraîne. Après être mariés, les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et assistance. Ils sont tenus de faire vie commune. Les époux dirigent ensemble la famille, exercent l'autorité parentale à l'égard des enfants et assurent leurs soins et subsistance. Ils choisissent ensemble la résidence familiale. Ils doivent contribuer aux tâches ménagères et aux dépenses de la famille, comme le logement, les vêtements et la nourriture, en proportion de leurs capacités. Un individu peut se marier à l'âge de 16 ans, il obtiendra alors sa pleine émancipation et sera considéré comme étant un majeur.

L'UNION CIVILE

L’union civile est une des façons pour un couple de s’unir au Québec, donc de ne plus être considéré comme étant seulement en union de fait. L’union civile permet à un couple, de sexe différent ou non, de s’engager officiellement à faire vie commune et à respecter les droits et obligations que ce type d’union entraîne. Pour rendre possible une union civile, il faut que la personne ait 18 ans, donc qu'elle soit majeure. Tant pour le mariage que pour l'union civile, le patrimoine de la famille sera divisé entre les deux époux automatiquement, sauf convention contraire, en cas de rupture. Plusieurs conditions et exceptions s'appliquent. De plus, il y aura pension alimentaire pour les époux alors qu'il n'y a aucune pension alimentaire accordée pour les conjoints de fait.


Des documents pour se protéger

Les personnes qui choisissent de vivre en union de fait auraient tout avantage à bien se renseigner sur leurs droits, et à envisager des mesures pour prévenir les coups durs. Essentiellement, il y a trois éléments qui peuvent être très pertinents à considérer, explique pour sa part Marie-Michèle Piquette.

«Le premier est de produire un testament en établissant clairement ses volontés, parce qu’en cas de décès, rien n’assure que le conjoint est l’héritier légal», dit-elle. L’étudiante mentionne aussi que de souscrire à une assurance-vie avec un bénéficiaire désigné peut permettre d’éviter des délais et des tracas liés à une succession lors d’un décès. Enfin, produire un mandat d’inaptitude permet aussi de clarifier le rôle du conjoint si une personne ne peut se prendre en charge.

Une question de choix

Dans le troisième segment de la rencontre, Pierre-Luc Simard a pour sa part avancé l’idée que les conjoints en union de fait peuvent souscrire à un contrat de vie commune, qui spécifie clairement ce à quoi s’engagent les deux conjoints. «Un tel contrat peut permettre de clarifier le partage du patrimoine en cas de rupture. En cas de désaccord, le tribunal ou un processus de médiation peuvent être mis à contribution pour homologuer les dispositions de l’entente s’il y a des opinions divergentes», a-t-il expliqué.

Au terme de la rencontre, les questions du public ont amené les trois étudiants à traiter des avantages de chaque régime matrimonial. «Le mariage confère certains droits, mais il implique aussi des obligations, donc on peut dire que c’est plus contraignant, et c’est pourquoi certains couples ne veulent pas se marier. Les conjoints de fait choisissent une certaine liberté, et c’est justement pour respecter ce choix que le législateur n’a pas voulu imposer de droits aux gens en union libre. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il est essentiel de bien s’informer des règles qui s’appliquent en fonction des choix que l’on fait», ont-ils résumé.

Quant à la vente du frigo, évoquée précédemment, quels sont les recours du conjoint lésé? «Contrairement au couple marié, rien n’empêche un conjoint de fait de vendre une partie des biens meubles du ménage. Si l’autre conjoint s’estime lésé, il devra prouver la propriété de son bien, en autant d’avoir encore la facture!» dit Marie-Michèle Piquette.

Le programme Pro Bono de l'UdeS fait partie du programme national Pro Bono Students Canada présent dans les 21 facultés de droit du pays. Dans le cadre du programme Pro Bono à l'UdeS, certains étudiants en droit font bénévolement des mandats juridiques pour des organismes sans but lucratif de la communauté régionale, ainsi que des conférences publiques.