Considérer le sexe et le genre en recherche
Pour un monde en meilleure santé
Notre sexe et notre genre – deux notions distinctes – influencent notre longévité, notre risque de développer certaines maladies ou incapacités, notre comportement face à l’adversité, notre utilisation des services de santé, notre réaction à certains traitements, les services et soins qui nous sont prodigués… Chaque cellule est sexuée; chaque personne a un genre. Former une communauté de recherche qui prend en compte le sexe et le genre engendre donc de l’innovation, des découvertes, de la meilleure recherche, et un monde en meilleure santé.
En revanche, ne pas tenir compte du sexe et du genre dans la recherche en santé induirait des biais, ferait passer sous le radar des pans entiers de considérations cliniques et, en bout de ligne, créerait des inégalités ainsi que des services et des soins qui répondent moins bien aux besoins. C’est justement pour cette raison que les Instituts de recherche en santé du Canada ont créé l’Institut de la santé des femmes et des hommes (ISFH), qui fait la promotion de la recherche explorant l’influence du sexe et du genre sur la santé. Depuis une dizaine d’années, en plus de financer des recherches sur ce thème, l’ISFH cherche à intégrer cette considération dans la science et à promouvoir des méthodes qui en tiennent compte, et veille à ce que ces nouvelles connaissances se traduisent en résultats pour la santé de tout le monde.
Convaincu de l’importance de cette approche, le professeur en travail social Philippe Roy a eu l’idée de mettre sur pied le chapitre UdeS du Réseau des stagiaires sur le sexe et le genre de l’ISFH. Il a voulu ainsi réunir une communauté déjà alerte sur la question du sexe et du genre en santé pour la faire avancer et rayonner. Et il a trouvé une alliée enthousiaste en Ève-Marie Pineault, intéressée depuis longtemps par les questions liées au genre et dont le sujet de mémoire en travail social porte d'ailleurs sur les stratégies de résilience que les femmes mettent en place à la suite de violences sexuelles. Qui de mieux pour coordonner le Réseau d’étudiantes et étudiants en recherche sur la santé, le sexe et le genre (RERSSG)?
« En créant notre propre chapitre à l'Université de Sherbrooke, nos objectifs sont de promouvoir et de dynamiser la recherche sur le sexe et le genre et leurs incidences sur la santé, de favoriser les contacts entre la communauté étudiante et celle de recherche à l'aide de mentorat et de diverses activités : soirées de réseautage, midis-causeries, conférences, formations, etc. », explique Ève-Marie Pineault.
Le Réseau, qui compte jusqu'à maintenant une quarantaine de membres, recrute des personnes étudiantes des cycles supérieurs, des personnes professionnelles de la recherche et des stagiaires postdoctoraux qui souhaitent creuser ces questions. Les membres proviennent des sciences sociales et des sciences de la santé.
Réunir les étoiles en constellation
Philippe Roy travaille sur la santé mentale des hommes et s’intéresse à la question du genre depuis ses études universitaires. C’est à cette époque qu’il s’est rendu compte qu’il n’était pas le seul à s’intéresser à cette thématique et qu'il est important de créer des maillages entre les disciplines de recherche, que ce soit la sociologie, la psychologie, la psychoéducation, la santé communautaire, la médecine, les études féministes, etc.
Quand je suis arrivé à l’Université de Sherbrooke, j’ai vu qu’il y avait plein d’étoiles, mais pas de constellation sur le sexe et le genre en recherche.
Professeur Philippe Roy
Le professeur Roy s’est donné la mission de relier ces étoiles entre elles. « Souvent comme étudiant, on a un fort sentiment d’appartenance à sa discipline, et c’est à l’intérieur de celle-ci qu’on est porté à réseauter. Mais c’est plutôt vers d’autres disciplines qu’il faut se tourner pour trouver quelqu’un qui s’intéresse au même sujet, comme celui du sexe et du genre dans la recherche en santé. On gagne beaucoup à investir dans ces vases communicants multidisciplinaires. »
Selon Philippe Roy, c’est une force de l’Institut de la santé des femmes et des hommes de justement faciliter le maillage entre sciences biologiques et sciences sociales. « On doit créer des brèches dans les silos de la recherche sur les femmes, de celle sur les hommes, de celle sur les personnes de la diversité. »
Mais ma recherche ne porte pas sur le genre…
Selon le Pr Philippe Roy, il reste beaucoup de chemin à faire pour vraiment prendre conscience de l’importance de ces facteurs, qui ont des impacts dans l’ensemble des recherches qui s’intéressent à l’humain.
On a tendance à ne pas en tenir compte lorsqu’une recherche ne porte pas sur la thématique du genre. Mais c’est tellement un déterminant social omniprésent que l’influence zéro est presque impossible.
Professeur Philippe Roy
Et cette prise en compte va bien au-delà de la question de santé. Par exemple, est-ce que les politiques ont un impact différencié en gestion, en administration, en finances publiques? « On le voit dans toutes les questions de justice sociale. Parfois, on cherche à exclure la prise en compte du sexe et du genre en pensant être plus neutre, mais on crée ainsi l’effet contraire. »
S’il existe des inégalités, on va seulement les reproduire en ignorant la prise en compte du sexe et du genre.
Professeur Philippe Roy
D'ailleurs, il existe encore de la confusion entre sexe et genre en recherche. On compare les deux sexes. La recherche nous apprend aussi que les femmes et les hommes ne forment pas des groupes homogènes, comme l’explique Philippe Roy : « Ce n’est pas binaire. Lorsqu’on regarde différents déterminants sociaux, on constate souvent plus de ressemblances entre les hommes et les femmes de certains groupes qu’entre les hommes entre eux ou les femmes entre elles. »
Au-delà de la formalité pour obtenir du financement
Si cette prise en compte du sexe et du genre dans la recherche en santé est bien présente dans les processus de demandes de financement – par exemple, les 13 instituts de recherche en santé du Canada s'attendent à ce que les candidates et candidats intègrent ces aspects à leur plan de recherche –, elle peut hélas se traduire seulement en reconnaissance des différences en fonction du sexe et du genre et en ventilation de données.
Pourtant, on peut faire vraiment davantage si on veut améliorer la recherche. C’est ce qui est prôné au sein de l’ISFH. Par exemple, on peut prendre en compte les normes, les rôles et les relations entre les personnes de tous les genres, et reconnaitre qu'ils influent sur l'accès aux ressources et sur le contrôle de celles-ci. On peut considérer les besoins propres aux personnes selon leur genre, et chercher des moyens de transformer les normes, les rôles, les relations qui sont dommageables. On peut aborder les inégalités en santé fondées sur le genre et promouvoir des changements positifs.
Pour ne pas reproduire les oppressions de genre dans ses relations de recherche
Le Réseau d’étudiantes et étudiants en recherche sur la santé, le sexe et le genre a déjà tenu deux activités de conférences et de réflexions rassemblant des membres de la communauté UdeS et d’ailleurs. Ce ne sont pas les questions de fond qui manquent pour cette communauté d’intéressés. Par exemple, est-ce que le fait comme chercheur de ne pas appartenir au genre du groupe qu’on analyse a un impact? Une personne cisgenre qui travaille auprès de personnes transgenres est-elle à l’abri des biais? Quels sont les effets sur la relation de pouvoir? Et même lorsqu’on appartient à la catégorie de personnes qu’on étudie, on peut aussi avoir un positionnement qui influe sur sa recherche.
Philippe Roy en sait quelque chose : « Je suis un homme qui fait de la recherche sur la santé et le bien-être des hommes. J’ai un positionnement par rapport à cette recherche, et sur la question du genre, j’ai beaucoup cheminé. Si j’interagis avec des gens qui ont une vision plus traditionnelle, ça me demande d’être plus réflexif pour m’assurer que je ne vais pas chercher juste ce qui confirme ce que je crois. »
Accueillir la différence avec bienveillance, ce n’est pas toujours facile. L’expression de genre passe par l’habillement, la façon de parler, la façon de faire ressortir les défis que les gens vont nommer, faire de la place à leur voix, à l’adversité qu’ils traversent, ce sont toutes des choses qui alimentent la réflexion avant même de se lancer dans une collecte de données.
Professeur Philippe Roy
Enseigner cette prise de conscience
Ève-Marie Pineault a mené récemment un sondage sur l’enseignement des notions de sexe et genre à l’Université de Sherbrooke auprès des étudiantes et étudiants et du personnel enseignant en sciences sociales et en santé. Un coup de sonde pour voir les bons coups et les défis à relever.
« L’enseignement de ces notions, c’est important parce qu’on forme la relève scientifique; c’est intéressant de faire l’état des lieux, voir ce qui est déjà bien couvert, ce qui ne l’est pas et quels sont les angles morts. L’analyse des résultats permettra de savoir quels sont les besoins et les prochaines étapes à prévoir pour avoir une meilleure prise en compte des notions de sexe et genre en enseignement », conclut Philippe Roy.
Ce sujet vous interpelle et vous aimeriez participer aux activités du Réseau d’étudiantes et étudiants en recherche sur la santé, le sexe et le genre? Contactez le Réseau par courriel à rerssg@usherbrooke.ca