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Article de vulgarisation - IPS

Contrer la pénurie de cellules souches en santé

Le Pr Florian Bentzinger dans son laboratoire de l'IPS.
Le Pr Florian Bentzinger dans son laboratoire de l'IPS.
Photo : Martin Blache

On peut en donner, on peut en recevoir et on en possède. L’appellation cellule souche est de plus en plus connue du public, notamment grâce aux émissions de télévision médicales qui gagnent en popularité. Toutefois, lorsque vient le temps d’expliquer ce que signifie cellule souche, les choses se corsent.

Qu’est-ce qui distingue les cellules souches des cellules ordinaires? Qu’est-ce qui les rend si intéressantes pour soigner certaines pathologies grâce à la médecine régénérative? Pour élucider ces questions, l’Institut de pharmacologie de Sherbrooke (IPS) a approché l’un de ses chercheurs membres, le professeur Florian Bentzinger, professeur à la Faculté de médecine et des sciences de la santé (Département de pharmaco-physiologie). L’équipe du professeur Bentzinger s’intéresse particulièrement aux cellules souches musculaires et au cas de la dystrophie musculaire, une maladie rare du système musculosquelettique qui affecte particulièrement les jeunes enfants.

Avant de plonger plus profondément dans le sujet de la dystrophie musculaire, il est important de d’abord poser les bases. Même si le terme cellule souche semble désigner un concept unique, il faut savoir qu’il englobe au moins quatre différents types de cellules : les cellules souches totipotentes, pluripotentes, multipotentes et, finalement, les cellules souches unipotentes.

Potent…quoi?

Illustration représentant les divers types de cellules souches: en haut à gauche, les cellules totipotentes (médecins de famille); en haut à droite, les cellules pluripotentes (urgentologues); en bas à gauche, les cellules multipotentes (infirmières); et en bas à droite, les cellules unipotentes (spécialistes).
Illustration représentant les divers types de cellules souches: en haut à gauche, les cellules totipotentes (médecins de famille); en haut à droite, les cellules pluripotentes (urgentologues); en bas à gauche, les cellules multipotentes (infirmières); et en bas à droite, les cellules unipotentes (spécialistes).
Photo : Illustration de Christian Audet

Les catégories de cellules souches se scindent selon leur potentiel de reproduction, un peu comme les acteurs du système de la santé se divisent en catégories selon leur statut de spécialistes ou de généralistes. Le rôle principal des cellules souches est justement de se multiplier, donc de créer d’autres cellules pour assurer la régénération cellulaire. C’est d’ailleurs le principal élément les distinguant des cellules ordinaires.

Les cellules souches totipotentes représentent les médecins de famille chez les cellules souches, puisqu’elles peuvent se différencier en tous types de cellules de l’organisme et même en annexes (cordon ombilical et placenta). Comme c’est le cas des médecins de famille (généralistes), les cellules créées par les cellules souches totipotentes ne sont pas encore spécialisées, mais peuvent jouer tous les rôles. C’est grâce à elles que l’embryon peut être créé pour ensuite s’implanter dans l’utérus.

Les cellules souches pluripotentes sont davantage spécialisées. Pensons à l’exemple des médecins d’urgence : même s’ils sont spécialisés en médecine d’urgence, ils soignent une quantité impressionnante de maux. Pour ces cellules souches, c’est la même chose : elles sont généralistes, puisqu’elles peuvent se répartir en plus de 200 types de cellules différents, mais les cellules qu’elles génèrent sont tout de même spécialisées (cellules sanguines, cellules du cerveau, cellules du foie, etc.) et servent presque exclusivement au développement du fœtus. Toutefois, de récentes recherches au Japon ont permis de recréer in vitro des cellules souches dites pluripotentes induites pour soigner des organismes adultes.

Ensuite viennent les cellules souches multipotentes chez l’organisme adulte : ces cellules souches sont comme les personnes infirmières de notre organisme. Elles participent au travail concret de soigner les tissus, et ce, autant dans la moelle osseuse et le cerveau que dans les tissus conjonctifs embryonnaires (mésenchyme). Ces cellules peuvent donc produire plusieurs types de cellules dans une optique de régénération cellulaire.

Finalement, les cellules souches unipotentes participent aussi à la régénération des tissus, mais elles sont extrêmement spécialisées, comme c’est le cas par exemple d’une ou d’un neurologue. Ces cellules souches se concentrent sur un seul type de cellule, comme les cellules souches musculaires unipotentes auxquelles s’intéressent justement le professeur Bentzinger et son équipe.

Être ou ne pas être souche, telle est la question

Illustration du rôle de multiplication des cellules souches dans les différents tissus.
Illustration du rôle de multiplication des cellules souches dans les différents tissus.
Photo : Image libre de droits

En lisant ce qui précède, on peut se demander comment les cellules souches, dans un tissu précis (muscle, os, organe, etc.), font pour savoir exactement quel type de cellules produire. En fait, ce sont des programmations qui permettent aux cellules souches de se spécialiser pour œuvrer dans les différentes parties de notre corps. Par exemple, lorsqu’une cellule souche multipotente élit domicile dans un tissu neuronal, elle active les programmes de cellules neuronales et se spécialise dans la création de ce type précis de cellules. En outre, la capacité à comprendre leur environnement extracellulaire aide les cellules souches à bien remplir leurs fonctions de régénération cellulaire et les empêche de concevoir des cellules osseuses au beau milieu de votre cerveau, par exemple! Il est impressionnant de s’imaginer qu’une cellule dont la taille ne dépasse pas 15 millièmes de millimètres (15 µm) soit dotée d’une aussi grande intelligence!

Par ailleurs, pour être une cellule souche et conserver ses super pouvoirs de reproduction, il est essentiel que certaines conditions dans l’environnement extracellulaire soient réunies. Comme plusieurs équipes de recherche à travers le monde l’ont constaté, en extirpant une cellule souche unipotente musculaire de son environnement naturel, elle perd très rapidement ses propriétés de cellule souche.

Grâce à ces observations, une hypothèse s’est dessinée : si, lorsqu’on sort la cellule souche musculaire de son environnement, elle perd ses caractéristiques de cellule souche, c’est forcément parce que l’environnement est d’une haute importance. Or, la question se pose : et si l’on pouvait soigner la dystrophie musculaire en stimulant la multiplication des cellules souches grâce à l’environnement extracellulaire?

La dystrophie musculaire et les cellules souches

Les cellules souches musculaires peuvent décider de perdre leurs dons de multiplication pour devenir des cellules ordinaires et réparer une lésion, mais elles ne peuvent pas revenir à leur statut de cellule souche par la suite.
Les cellules souches musculaires peuvent décider de perdre leurs dons de multiplication pour devenir des cellules ordinaires et réparer une lésion, mais elles ne peuvent pas revenir à leur statut de cellule souche par la suite.
Photo : Illustration de Christian Audet

La réponse à cette question pourrait aider les personnes atteintes de dystrophie musculaire, puisque leurs cellules souches musculaires présentent une mutation génétique altérant leur bon fonctionnement de même que leur réponse à leur environnement. Ces conditions nuisent au travail de régénération des fibres musculaires et rendent ces dernières plus faibles, ce qui augmente les risques de blessures et de lésions, en plus de créer une inflammation chronique des muscles et une perte de masse musculaire. En effet, une cellule souche peut décider dans de telles circonstances de perdre ses capacités de différenciation pour aller soigner une grave lésion ou pour d’autres raisons encore méconnues. Toutefois, une fois cette décision prise et la lésion soignée, la cellule ne peut pas revenir en arrière et récupérer ses fonctions de cellule souche. La réserve s’épuise donc rapidement, et un manque se fait ressentir chez les patients et les patientes.

Pour pallier ce manque, les travaux du professeur Bentzinger et son équipe s’intéressent de plus près à une petite hormone présente dans l’environnement du muscle s’étant révélée très efficace pour stimuler la multiplication des cellules souches musculaires et la formation de nouveaux tissus. Cette méthode pourrait permettre de ramener un certain équilibre dans les muscles des personnes atteintes en renflouant les réserves de cellules souches chez les personnes atteintes de dystrophie musculaire.

Si l’on revient au parallèle avec le système de santé, le gouvernement provincial est présentement à la recherche de zones d’amélioration dans l’environnement de travail pour soigner son réseau de la santé. Certes, il ne peut pas inventer des travailleuses et travailleurs, mais il peut certainement stimuler l’intérêt de certaines personnes à intégrer le réseau de la santé et, ainsi, améliorer les conditions de celles et ceux qui y travaillent. De leur côté, les cellules forment elles aussi une microsociété et elles ont également besoin d’un environnement optimal pour bien remplir leurs fonctions.

Faire avancer les connaissances sur la dystrophie et le vieillissement musculaire

Chose certaine, les recherches du professeur Bentzinger et de son équipe offrent une lueur d’espoir aux personnes atteintes de dystrophie musculaire en ce qui a trait à leur qualité de vie. Et cette lueur d’espoir pourrait bien s’élargir pour atteindre l’ensemble de la population active. En effet, tout récemment, le laboratoire Bentzinger a publié un article concernant son autre thématique d’intérêt, soit le rôle des cellules souches dans le vieillissement des tissus musculosquelettiques.

L’étude s’intéresse plus précisément à la façon dont les signaux présents dans les éléments circulant dans le sang peuvent avoir un effet sur le vieillissement de la structure musculosquelettique. Sachant que la perte de masse musculaire et de tonus constitue l’un des éléments majeurs dans la perte d’autonomie des personnes aînées, les découvertes potentielles de cette recherche pourraient éventuellement changer la manière dont on vieillit en tant que société.