Acfas 2021
Entreprises responsables : nouvelles formes et nouveaux défis
Si les entreprises privées sont parfois présentées comme les coupables des crises écologiques, sociales et institutionnelles, d’autres leur reconnaissent un rôle essentiel dans la résolution des enjeux sociaux et écologiques. À travers le concept de responsabilité sociale des entreprises, on révise la conception traditionnelle des entreprises uniquement économiques, pour en faire des acteurs de changement qui intègrent le développement durable dans leur mission, leurs pratiques et leurs décisions.
Alors que la responsabilité sociale des entreprises se démocratise, se développent de nouvelles formes organisationnelles qui visent à créer de la richesse de manière plus durable et plus respectueuse de la société et de l’écologie : les coopératives, l’entrepreneuriat social, l’entrepreneuriat vert, les entreprises hybrides et les « B Corps », etc. Ces organisations utilisent les mécanismes du marché pour résoudre des problèmes sociaux chroniques et contrer la dégradation de l’environnement, brouillant ainsi la frontière traditionnelle entre entreprise à profit et organisation à but non lucratif. Ces organisations hybrides ne rejettent pas le profit ni la croissance; les profits sont le moyen par lequel elles peuvent accroître leur impact social et écologique. Mais ces nouvelles réalités posent d’importants défis.
3 questions à la Pre Anne-Marie Corriveau et au Pr Sofiane Baba, de l’École de gestion, spécialistes en responsabilité sociale des entreprises
Quelles sont les principales limites et les écueils des organisations qui veulent à la fois être des agentes de changement et être suffisamment profitables pour faire prospérer leur mission?
Personne n’est contre l’idée de protéger l’environnement, de contribuer au développement des communautés et de la société et, de manière plus générale, d’agir avec bienveillance envers les diverses parties prenantes. Cela dit, en voulant intégrer à la fois des objectifs environnementaux, sociaux et économiques, les entreprises se trouvent souvent au cœur de différentes tensions : comment trancher entre des gains environnementaux à long terme et une perte de profits à court terme, sous la pression des actionnaires? Comment concilier le coût d’un projet et son acceptabilité sociale?
Ce sont là quelques exemples de tensions auxquelles sont confrontés quotidiennement les dirigeants de ces entreprises. Leur défi n’est pas tant de trancher entre l’un ou l’autre des éléments au cœur de ces tensions, mais d’apprendre à les concilier dans leurs décisions d’affaire sur une base régulière, même de manière imparfaite. Cela aura tendance à rendre leur tâche plus complexe.
Qui est derrière ces entreprises responsables et engagées? Des jeunes? Des femmes? Toute sorte de personnes?
À notre connaissance, aucun groupe, aucune classe sociale, aucune culture, aucun genre ne détient le monopole de la vertu. Les entreprises réputées pour leur performance sociale et environnementale sont autant gérées par des jeunes que des moins jeunes, des femmes que des hommes. En règle générale, il n’y a pas un profil démographique qui saurait décrire les dirigeants des entreprises responsables de manière universelle. Cela dit, quelques recherches récentes suggèrent que la diversité des conseils d’administration (âge, sexe, formation, expérience, expertise) aura tendance à influencer positivement la performance sociale.
D’autres recherches ont également montré que la présence de femmes dans les instances de gouvernance a tendance à accroître la performance sociale des entreprises. Dans nos travaux de recherche sur le sujet, nous avons rencontré des hommes, des femmes, des jeunes, des plus expérimentés, et ce, de diverses nationalités et croyances. Ils ont en commun d’être de véritables entrepreneurs, animés par de fortes valeurs humaines, préoccupés par les problématiques sociales et environnementales. Ils ont conscience du rôle positif que peuvent jouer les entreprises et souhaitent les mettre à profit afin de résoudre certaines problématiques, en collaboration avec d’autres acteurs de la société civile. Ce qu’ils ont en commun, c’est bien souvent leur volonté de changer le monde pour le mieux !
Ces organisations responsables sont-elles condamnées à demeurer modestes face à celles qui cherchent à tout prix le profit?
La dynamique des deux dernières décennies suggère que c’est plutôt l’inverse : les entreprises qui ne pensent qu’aux profits seront amenées à disparaitre tôt ou tard. Aujourd’hui, de nombreuses parties prenantes (pouvoirs publics, société civile, consommateurs, investisseurs, médias) exigent des entreprises qu’elles agissent dans une optique de durabilité, en générant des retombées économiques équitablement réparties, des retombées sociales propices au développement des communautés, tout en préservant l’environnement et la biodiversité. Les entreprises qui vont à contre-courant de cette nouvelle réalité sont de moins en moins légitimes. Bien sûr, les progrès ne sont peut-être pas aussi rapides que l’on souhaiterait compte tenu de l’ampleur des problématiques sociales et environnementales, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit là de transformer des entreprises dont le chiffre d’affaires annuel dépasse parfois le produit intérieur brut de plusieurs pays en voie de développement !
Dans cette dynamique de changement, il est vrai que de plus petites entreprises sont généralement plus flexibles et agiles. Elles peuvent ainsi rapidement adapter leurs modes de gestion et de production à des critères rigoureux en matière d’environnement ou d’impact social. D’autant plus que les dirigeants ont la possibilité d’être très près de l’action et d’influencer de manière importante les décisions à différents niveaux. Le revers de la médaille est que ces petites entreprises ont souvent des ressources limitées, ce qui peut contraindre leurs investissements dans la responsabilité sociale.
Par ailleurs, des entreprises plus grandes à l’instar de Patagonia, Ben and Jerry’s et Danone sont des entreprises certifiées B Corp. Le défi n’est donc pas tant la taille de l’entreprise que le profil de ses actionnaires. Il semble présentement plus difficile pour les entreprises cotées en bourse, et dont les profits sont scrutés à la loupe par les investisseurs dans une optique de gain à court terme, de se démarquer comme des entreprises responsables (le récent dossier de Danone est éloquent à ce sujet). Les entreprises à propriétaire unique ou à capital fermé ont plus de marge de manœuvre. Cela dit, même pour les grandes entreprises cotées en bourse, il faut souligner que la montée en flèche des investissements socialement responsables aura pour conséquence d’influencer directement leur comportement. Par exemple, des investisseurs institutionnels tels que la Caisse de dépôt et placement du Québec tendent à inclure un nombre croissant d’exigences liées à la responsabilité sociale dans leurs décisions d’investissement.
Glossaire!
Les coopératives : Ce sont des entreprises qui respectent au moins trois caractéristiques fondamentales : démocratiques dans leur gouvernance, résolument orientées vers le bien commun et le développement des communautés, et détenues par les membres qui s’associent pour répondre à un besoin commun (travailleurs, clients, usagers, etc.).
Les entreprises sociales : Elles œuvrent principalement pour la résolution de problématiques sociales comme la pauvreté, les inégalités ou encore le chômage. Une grande partie des profits est généralement réinvestie dans l’entreprise afin d’accroitre son impact social.
Les entreprises vertes : Ce sont des organisations qui se donnent comme principal objectif la recherche de solutions innovantes à des problématiques environnementales. Cela est aussi habituellement présenté comme étant de l’entrepreneuriat vert.
Les entreprises hybrides : Elles ont pour vocation de combiner des objectifs multiples, qu’ils soient économiques, sociaux ou environnementaux. Au-delà d’une prise en compte superficielle de ces multiples objectifs, c’est l’acte de les placer au cœur de leur mission qui distingue les organisations dites hybrides.
Les B Corps : Ce sont des entreprises certifiées par le B Lab, une organisation sans but lucratif qui aspire à transformer l’économie de sorte à la rendre plus inclusive et responsable. Ces entreprises répondent à des exigences très strictes en matière de triple performance (sociale, environnementale et économique).
Ce sujet a piqué votre curiosité? Le colloque Les organisations responsables et durables au 21e siècle : antécédents, pratiques et défis stratégiques se tiendra le 4 mai dans le cadre du congrès annuel de l’Acfas, le plus grand rassemblement multidisciplinaire du savoir et de la recherche de la francophonie, qui se déroulera cette année du 3 au 7 mai 2021