Dix ans d’engagement pour la santé mentale au Mali
Ils s’identifient comme les trois mousquetaires du volet de la santé mentale des projets DECLIC et CLEFS mis en œuvre par le Centre interdisciplinaire de développement international en santé (CIDIS) de l’Université de Sherbrooke (UdeS).
Membres du CIDIS, Julie Achim, Maryse Benoît et Miguel M. Terradas sont tous les trois psychologues cliniciens et professeurs au Département de psychologie de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’UdeS. Ils travaillent depuis plus de 10 ans sur différents enjeux de santé mentale au Mali. Ils reviennent aujourd’hui sur l’histoire de leur engagement et sur ce qu’ils estiment en être les retombées actuelles.
Leur association ne date pas d’hier. Le hasard a fait en sorte qu’ils sont entrés en fonction à l’Université de Sherbrooke la même année, en 2008. Les trois psychologues ont eu l’occasion de collaborer à maintes reprises au fil des ans, créant ainsi une solide relation de travail. Parallèlement à leurs travaux, ils développent également un intérêt de recherche commun, la santé internationale.
En 2012, ils font la connaissance de Sarah Stecko, alors chargée du projet DECLIC, et aujourd’hui directrice des opérations et des partenariats au CIDIS. Cette rencontre tombe à point puisque Sarah et son équipe sont alors à la recherche d’experts prêts à collaborer avec leurs différents partenaires académiques et communautaires au Mali sur les questions de santé mentale. C’est ainsi que les trois professeurs décident d’entreprendre ensemble un congé d’éducation continue afin de concentrer leurs recherches sur un projet commun : développer un volet sur la santé mentale qui viendrait enrichir la formation des personnes professionnelles de santé de première ligne au Mali.
Il y a eu beaucoup de préparation en amont du projet, notamment auprès de collègues maliens de passage au Québec. Nous avons fait un long travail de collecte d’information sur la perception de la santé mentale au Mali et plusieurs validations des outils que nous comptions utiliser, mais qui nécessitaient d’être davantage adaptés culturellement.
Miguel M. Terradas, professeur du Département de psychologie
À l’écoute des traditions
Ainsi, leurs interventions ont rapidement pris en compte la culture malienne et le caractère sensible, voire tabou, de certains thèmes, comme le suicide. Cette considération a favorisé l’intégration et l’adoption des formations et des outils de dépistage développés par le groupe de recherche.
Nous devions avant toute chose recueillir de l’information et comprendre la vision des agents de santé rencontrés. Par exemple, nous avons vite perçu la sensibilité des guérisseurs traditionnels aux problèmes de santé mentale, car ce sont vers eux que les gens se tournent en cas de souffrance psychique, particulièrement en milieu rural.
Maryse Benoît, professeure au Département de psychologie
Le rôle des femmes au sein des équipes soignantes maliennes fut également un élément important considéré dans la transmission des informations. Par leur rôle de premier plan en périnatalité, ces dernières reçoivent davantage les confidences permettant d’évaluer le niveau de détresse psychologique. Des informations précieuses pour le groupe de recherche.
Malgré leur absence ou leur discrétion initiales, nous avons insisté pour inclure les sages-femmes et les infirmières dans nos discussions et dans les formations. Parce qu’elles demeurent impressionnées par la figure du médecin masculin, les femmes s’ouvrent plus facilement aux sages-femmes, d’où l’intérêt de les valoriser et de les outiller.
Julie Achim, professeure au Département de psychologie
Dans les dix dernières années, les trois psychologues ont observé une explosion des besoins de soutien psychologique dans cette région d’Afrique de l’Ouest. Ils notent que la montée de l’insécurité liée à la violence djihadiste ainsi que les menaces et les exactions ont grandement augmenté le stress traumatique. Ce contexte a également privé l’équipe de la possibilité de retourner sur le terrain et a rendu le travail des partenaires maliens plus difficile. Malgré ces obstacles et grâce aux formations et aux échanges de connaissances qui se poursuivent à distance, les avancées sont observables au sein des équipes médicales maliennes qui parviennent à obtenir des visas pour venir en mission au Québec.
« Nos collègues maliens reprennent et adaptent désormais nos outils et nos formations, tout comme l’Université de Bamako, d’ailleurs. C’est une belle avancée! », constate Pr Miguel Terradas.
Le développement d’un volet santé mentale dans un travail de co-construction d’une offre de services pour la population passe par une collaboration avec les tradithérapeutes. Ces derniers exercent une pratique médicale reposant sur des approches traditionnelles dans les communautés africaines. Leur apport est précieux, puisqu’ils sont perçus comme un premier contact à la culture du milieu par les professionnels de la santé désireux d’aller au-delà des symptômes physiques. En effet, le groupe de recherche observe que les gens aux prises avec des difficultés d’ordre psychique consultent ces tradithérapeutes souvent en premier lieu.
« Si certains de ces guérisseurs ont une lecture assez fine des problèmes de santé mentale, précise Pre Maryse Benoit, il existe également des charlatans parmi eux. Ceux que nous avons rencontrés sont généralement conscients de leurs limites. »
Les projets du CIDIS
Prolongement de DECLIC et piloté par le CIDIS, le projet CLEFS, auquel ces trois personnes expertes de la santé mentale participent, cherche à sensibiliser les agents de la santé aux violences faites aux femmes. Ces dernières sont bien souvent les premières victimes des conflits qui perturbent le pays ainsi qu’à leur répercussion sur la santé mentale. On trouve aussi parmi elles des leaders incontournables en mesure de faire changer les choses au sein de leur communauté.
« Les professionnels de la santé ont été formés à l’évaluation de la santé mentale, mais comme ils en ont plein les bras, les ressources demeurent rares pour l’intervention, indique Pre Julie Achim. Dans ce contexte, nous poursuivons le travail pour les outiller à l’intervention en privilégiant les interventions de groupe afin de rejoindre plus de gens. »
Si le hasard a joué un rôle à l’origine du projet commun de ces trois professeurs et cliniciens, la rigueur, la persévérance et l’ouverture d’esprit ont pris la relève depuis et garantissent désormais la suite.