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Portrait de Camille Proulx, étudiante en kinésiologie

Dialogue avec une sourde qui ne met aucun projet en sourdine

Étudiante de 2e année au baccalauréat en kinésiologie, Camille Proulx vit avec une surdité sévère depuis la naissance, mais elle ne s'empêche de rien, cumulant les exploits en danse hip-hop et en CrossFit, notamment.
Étudiante de 2e année au baccalauréat en kinésiologie, Camille Proulx vit avec une surdité sévère depuis la naissance, mais elle ne s'empêche de rien, cumulant les exploits en danse hip-hop et en CrossFit, notamment.
Photo : Michel Caron - UdeS

Nous nous sommes donné rendez-vous, Camille et moi, à la mezzanine surplombant le stade intérieur du Centre sportif, un lieu familier pour cette étudiante au baccalauréat en kinésiologie. En balayant l’endroit du regard pour voir si elle est arrivée, j’entends une jeune fille me saluer et me dire qu’elle va remplir sa bouteille d’eau, juste à côté. Je reste un moment l’air hébété devant celle qui me parle et me répond d’une voix très claire, sans recours à ni signe ni mouvement. N’est-elle pas sourde?

Dans l’intervalle, Joanne Krog, l’interprète en langue des signes québécoise (LSQ) qui l’accompagne dans chacun de ses cours, vient nous rejoindre. Oui, Camille est bien sourde de naissance. Lorsqu’elle retire ses appareils auditifs pour dormir, c’est dans une nuit de silence entier qu’elle se trouve plongée. Aucun bruit, aussi fort soit-il, ne parviendrait à l’extirper des bras de Morphée.

En fait, Camille est plus spécifiquement malentendante de niveau sévère, mais elle a appris à parler. Ses parents ont découvert sa surdité quand elle avait environ deux ans. La petite Camille se collait alors souvent sur sa mère parce qu’elle entendait la vibration des mots qu’elle lui disait. Les résultats d’un test viendront par la suite expliquer pourquoi elle ne semblait jamais écouter les autres lorsqu’elle était à la garderie.

Aujourd’hui, elle dialogue avec une telle aisance que j’ai l’impression que c’est une personne tout à fait entendante qui se trouve attablée devant moi. Justement, c’est parce qu’elle est face à moi, dans un endroit relativement tranquille, que nous arrivons à bien communiquer.

Elle m’explique que ses appareils captent les sons qui viennent de l’avant. C’est également pour cette raison qu’elle s’assoit toujours dans la première rangée en classe, afin de s’assurer de bien voir et entendre la personne qui enseigne.

À la cafétéria, par exemple, les sons viennent de partout, c’est rapidement écho, et ça devient désagréable, donc j’y vais rarement. Au restaurant, je me positionne toujours pour que les gens soient derrière moi.

Camille Proulx, étudiante au baccalauréat en kinésiologie

La LSQ : une langue inclusive à part entière

En classe, le travail d’interprétation signée de Joanne, qui la suit depuis le tout début de son parcours, est essentiel à sa réussite. Interprétés au fur et à mesure qu’ils sont prononcés, les propos du personnel enseignant deviennent plus clairs et moins ambigus, ce qui assure une meilleure compréhension pour Camille. Même chose pour les questions que les étudiantes et étudiants posent aux quatre coins du local, pendant les séances de cours.

L'interprète Joanne Krog, signant l'échange entre Camille et moi lors de notre rencontre.
L'interprète Joanne Krog, signant l'échange entre Camille et moi lors de notre rencontre.
Photo : Michel Caron - UdeS

La langue des signes québécoise, qu’elle apprend à utiliser depuis ses études collégiales, représente donc un précieux soutien pour son apprentissage. Jusque-là, l’étudiante avait recours au langage parlé complété (LPC), qui lui permet de coder les sons et de les distinguer. Toutefois, faute d’interprètes en LPC dans les cégeps et les universités, elle a dû apprendre les rudiments de la LSQ.

La LSQ, c’est une langue à part entière, qui est vivante et qui évolue. Elle a sa propre structure et sa propre grammaire, comme le français et l’anglais. Les signes diffèrent selon les pays, ils ne sont pas universels.

Joanne Krog, interprète en LSQ

Utilisée par plus de 10 000 personnes au Québec, la LSQ permet une meilleure inclusion des personnes sourdes dans la société. Elles compteraient d’ailleurs pour 17,4 % de la population québécoise, soit plus de 1,5 million de personnes, selon les données compilées en 2018 par l'Office des personnes handicapées du Québec. Les instances gouvernementales en sont d’ailleurs à envisager de désigner la LSQ comme troisième langue officielle au Canada.

La langue des signes québécoise est utilisée par plus de 10 000 personnes au Québec.
La langue des signes québécoise est utilisée par plus de 10 000 personnes au Québec.
Photo : Michel Caron - UdeS

Pour Joanne, qui travaille comme interprète LSQ depuis maintenant 35 ans, il s’agit même de sa langue maternelle, celle que lui ont enseignée ses deux parents sourds.

« Les personnes sourdes sont comme vous »

Certes, suivre ses cours en demeurant à la fois attentive aux propos des personnes enseignantes et à leur interprétation signée demande une très grande concentration pour Camille, qui ressent souvent de la fatigue lorsqu’elle rentre chez elle.

Pour réussir son parcours, elle doit travailler très fort et faire preuve de persévérance. Lorsque je lui demande si sa surdité peut s’avérer une force dans ses études et dans sa future pratique professionnelle en kinésiologie, elle reconnaît qu’elle est dotée d’un sens très aiguisé de l’observation, de l’écoute et de l’analyse.

Fonceuse et extravertie, elle va vers les autres et ne s’empêche pas de faire ce qui lui plaît. Excellant en danse dès son jeune âge, elle a réussi à atteindre le podium dans le cadre de championnats canadiens de danse hip-hop, et elle s’est même mesurée à l’élite mondiale dans la même discipline, il y a quelques années. Maintenant jeune retraitée de la danse, elle s’est depuis mise à l’entraînement de type CrossFit, en plus d’agir comme entraîneuse.

Maintenant entraîneuse de CrossFit, Camille excelle en danse, alors qu'elle a participé à des compétitions internationales dans le domaine de la danse hip-hop.
Maintenant entraîneuse de CrossFit, Camille excelle en danse, alors qu'elle a participé à des compétitions internationales dans le domaine de la danse hip-hop.
Photo : Michel Caron - UdeS

On m’a toujours dit de faire comme les autres, de ne pas m’empêcher de rien. Et c’est ce que j’ai toujours fait. Les personnes sourdes, elles sont comme vous, les personnes entendantes. Il ne faut pas avoir peur d’aller vers elles.

Camille Proulx, étudiante au baccalauréat en kinésiologie

Depuis 2018, afin de sensibiliser le public à la langue des signes et aux droits des personnes sourdes, une Journée internationale des langues des signes est célébrée le 23 septembre. Pour Camille et Joanne, il va sans dire qu’il s’agit d’un moment privilégié pour mettre en lumière et mieux comprendre les réalités des personnes sourdes, et ainsi contribuer à bâtir une société plus inclusive.


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