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Traductrice, réviseure et rédactrice à son compte

Entrevue avec Martine Cloutier

Brièvement, quel a été votre parcours professionnel?

J’ai terminé un baccalauréat en traduction à l’UdeS en 2009, à l’époque baccalauréat multidisciplinaire. À la suite de ma formation, j’ai obtenu un emploi chez une agence de communication et de publicité à Sherbrooke. Dans cette agence, j’ai rejoint le service de linguistique ou j’ai fait de la traduction, de la révision, de la rédaction et de la coordination.

Durant mes premières années à l’Université, j’aspirais déjà à travailler à mon compte. J’avais envie de faire mes propres choix de clients, de mandats et d’horaire. Donc après 7 ans, j’ai décidé de quitter l’agence pour devenir autonome, puisque c’était ce que je voulais depuis le départ. De fil en aiguille, je me suis créé un réseau de clients et de contacts. Je me suis spécialisée dans le domaine pharmaceutique où je suis pigiste auprès de mes clients dans des agences de communication, de traduction, et autres. Je suis autonome depuis maintenant presque 5 ans.

Qu’est-ce qui vous a motivé à faire des études en traduction professionnelle?

Martine Cloutier
Martine Cloutier


Photo : Fournie

C’était mon intérêt pour la langue française et anglaise, la passion des mots, la rédaction. Pour moi, il n’y avait pas d’autres avenues intéressantes. La traduction était un choix évident. Je ne me suis pas questionnée! Au Cégep, j’ai complété une session en administration et une session en sciences humaines, mais je n’ai pas accroché. J’ai donc travaillé et ensuite, je me suis inscrite à l’Université de Sherbrooke en tant qu’adulte afin de me former en traduction.

Comment est l’insertion en emploi dans le domaine après les études et pour se lancer à son compte?

À la fin de l’été après mon baccalauréat, j’ai eu la chance de décrocher un emploi dans une agence. Plusieurs collègues ont été embauchés à Ottawa, à Gatineau et à l’extérieur de la province, où beaucoup de stages ont lieu. En effet, durant mon baccalauréat, j’ai été stagiaire au Bureau de la traduction à Ottawa, un employeur populaire pour les gens qui sortent du baccalauréat.

Pour ma part, ce n’était pas ce que je recherchais comme milieu de travail. Grâce au Service des stages et du développement professionnel, auquel j’avais eu accès avec le cheminement coopératif de l’UdeS, j’ai eu accès à plusieurs offres d’emplois. C’est avec l’aide de mon coordonnateur de stage que j’ai décroché mon premier emploi en agence!
Pour ce qui est de l’insertion comme travailleuse autonome, je dirais qu’il faut être motivé et ne pas avoir peur de ne pas faire d’argent pendant quelques mois. J’ai dû bâtir un réseau, et bien évidemment, je ne pouvais pas partir avec les clients de l’agence!

Il y a eu une période de transition entre la fin de mon emploi à l’agence et le début de mon emploi comme travailleuse autonome. Je commençais tranquillement à envoyer des CV quelques semaines avant de partir étant donné que mon idée était faite. À l’agence, mes principaux clients étaient dans le milieu pharmaceutique. J’ai donc conservé ce créneau et mon expertise a grandi dans ce domaine. Mon réseau s’est créé au fil des mois. La première année n’a pas été très fructueuse monétairement, bien évidemment!

J’ai découvert que la meilleure publicité est celle des clients satisfaits. Le bouche-à-oreille et les bonnes relations professionnelles m’ont apporté de nouveaux contrats. Tu n’as pas besoin d’énormément de clients, seulement des bons qui apporteront des mandats récurrents. Il peut avoir des périodes plus creuses, mais généralement les contrats se complètent. Personnellement, je dirais que j’ai trouvé une stabilité confortable après environ deux ans. Je ne connais personne qui s’est établi à son compte pour qui ça n’a pas fonctionné, mais il faut aimer ça, c’est sûr!

Qu’est-ce qui vous a motivée à devenir travailleuse autonome?

Je crois que c’est une question de personnalité. J’aime être dans ma bulle quand je travaille. C’est de cette façon que je travaille le mieux : j’ai de meilleures idées et je suis plus efficace. Je suis une personne sociable, mais je voulais avoir mon propre bureau, assise devant mon ordinateur et seule à travailler.

L’élément le plus avantageux est sans aucun doute l’horaire flexible qui est merveilleux pour la conciliation travail-famille. La seule crainte que j’avais concernait les finances, puisque je n’avais pas de contrôle sur mon salaire en quittant l’agence. Heureusement, j’ai eu la chance d’avoir le support de mon conjoint pour la transition entre l’agence et mon travail autonome. Il ne faut pas s’attendre à avoir un bon revenu pendant les deux premières années et j’en étais consciente avant de me lancer.

À quoi ressemble une journée type, quelles sont vos tâches?

Pour ce qui est de mon horaire de la journée, je m’organise pour travailler de 8 h à 15 h 30 ou 16 h. Étant donné que je travaille de chez moi, je m’installe à mon bureau et je débute avec la gestion de courriels. Ensuite, je travaille sur mes mandats de traduction ou de révision. Je préfère enchaîner mes heures dans la journée et je ne prends aucune pause ou aucun temps pour diner. Ma journée est donc terminée lorsque mes enfants reviennent de l’école. Je ne travaille pas les soirs et les fins de semaine. Au début, j’ai dû en faire quelques fois, mais plus maintenant.

En étant travailleuse autonome, je dois tenir des livres et gérer la facturation. C’est la partie que j’aime le moins, mais c’est facile et pas trop exigeant. J’y étais déjà habituée puisque lorsque j’étais à l’agence, je m’occupais de la facturation et de quelques tâches administratives. Ma comptable m’a donné des trucs, des outils et des documents. C’est très simple à apprendre. Il existe un groupe Facebook de traducteurs et traductrices où l’on peut demander des trucs et s’entraider.

Comment vous y prenez-vous pour le côté promotionnel de votre service de traduction?

Personnellement, je n’ai pas de site Web ou de page Facebook. À l’époque, j’avais commencé un site, mais je ne l’ai jamais terminé puisque j’ai réussi à me trouver des contrats par sollicitation directe. Aujourd’hui, je n’ai plus besoin de solliciter étant donné que j’ai des clients sur une base régulière. Ma page LinkedIn a été productive et efficace en m’apportant de nouveaux clients.

Quant à la sollicitation, au début, j’envoyais des CV et des candidatures pour des agences tout en passant des tests de traduction pour évaluer mes compétences linguistiques. Sur environ 300 CV envoyés, j’ai peut-être décroché 5 clients. Il faut donc s’assurer de relancer les endroits sollicités en persévérant sans se décourager. Dans le processus, il faut aussi savoir se vendre, sans nécessairement se vanter, mais faire valoir ses compétences et se démarquer avec sa candidature.

Ma clientèle est précieuse et je prends soin d’entretenir mes relations professionnelles afin de perpétuer mes contrats. Le fait de se montrer présent et disponible auprès de ses clients est primordial. Également, il est important de ne pas négliger ses relations avec les autres personnes dans le réseau de traduction, c’est de cette façon qu’on bâtit notre clientèle!

Selon vous, quels sont les avantages et les désavantages d’être à votre compte?

Pour ce qui est des avantages, sans aucun doute, il y a la flexibilité de l’horaire! Ensuite, il y a le pouvoir de choisir de ses mandats et de ses clients. Effectivement, j’ai la chance d’avoir des clients extraordinaires avec qui le « fit » est bon. Je n’ai pas à négocier avec une ou un client avec qui ça fonctionne moins bien. La traduction est la dernière étape dans un processus de création, il est donc fréquent en agence d’avoir des délais très courts pour réaliser un projet. En étant pigiste, je n’ai plus vraiment cette contrainte puisque je décide du temps qu’il me faut pour effectuer un mandat. J’accepte ou non selon mes conditions. Ce sont plutôt les agences avec qui je fais affaire qui ont à négocier cet aspect en tant qu’intermédiaire avec la ou le client.

Pour ce qui est des désavantages, je dirais l’instabilité du salaire. Toutefois, après plusieurs années dans le domaine, il y a une certaine stabilité qui s’installe et l’incertitude liée au salaire diminue beaucoup.

De votre expérience, quelles sont les compétences à avoir pour être une bonne traductrice autonome?

Selon moi, il faut être quelqu’un d’organisé, structuré et ponctuel. Une personne à son compte doit être autonome, autodidacte, être bonne dans les recherches et savoir utiliser les outils à sa disposition. Avec mon expérience, je dirais qu’il faut également avoir un certain entregent même si la majorité des échanges se font par courriel et téléphone. Évidemment, il faut être respectueux, même si l’on est moins en accord avec une ou un client. Il faut savoir prendre la critique de façon constructive, spécialement au début. C’est de cette façon qu’on apprend et qu’on s’améliore. Également, je crois qu’il est essentiel de débuter dans une agence. Bénéficier du mentorat dans ses premiers contrats de traduction permet de recevoir des rétroactions, des commentaires et des suggestions constructives. Avec ce type de support permet de se développer une façon de travailler et de traduire qui est propre au domaine. Ce sont des particularités qu’on apprend sur le marché du travail. Les traducteurs d’expérience qui servent de mentor sont très précieux. Je ne serais pas la même traductrice si je n’avais pas été en agence au départ.

Quel élément de la formation a été le plus utile sur le marché du travail?

De mon expérience, je dirais que les cours techniques dans la formation m’ont apporté des connaissances importantes dans les outils et la technologie qu’on utilise en traduction. J’ai aussi aimé mon cours de rédaction technique où j’ai beaucoup appris concernant certaines particularités de la rédaction. Je dirais que l’ensemble de la formation est essentiel et apporte une base théorique fondamentale pour le marché du travail. Étant donné que la profession n’est pas encadrée et réservée, n’importe qui peut s’improviser traducteur en pensant qu’il faut simplement être bilingue, ce qui est faux. La formation fait toute la différence en matière de travail rendu, de connaissance de la langue et des outils qu'on utilise. Notre travail de traduction est bien plus démarqué que quelqu’un qui n’a aucune formation!

En ce qui concerne le salaire, quelle est la réalité du domaine?

Personnellement, je demande 0,21 $ par mot, ce qui semble être dans la moyenne des tarifs des traducteurs. Pour ce qui est de la rédaction et la révision, c’est complètement autre chose! Pour ma part, je charge mes clients à l’heure avec un tarif que j’ai établie à 60 $ l’heure. Dans mes débuts, mon tarif était beaucoup plus bas puisque je voulais avoir plusieurs contrats et attirer le plus de clients possible. J’ai constaté que c’était plus difficile par la suite de l’augmenter avec les clients qui avaient accepté l’offre du début. Je conseillerais de considérer cet aspect en commençant dans le domaine. Si c’était à refaire, j’augmenterais mon tarif dès le départ. Il s’agit d’une réalité à considérer étant donné que les pigistes ne sont pas assujettis à l’augmentation de salaire liée à l’inflation du coût de la vie. De plus, nos tarifs ont tendance à diminuer dans les négociations entre l’agence et les clients. Dans le but de garder son client, l’agence peut baisser notre tarif. Le traducteur peut accepter ou refuser cette diminution. Personnellement, je n’accepte pas de baisse et je crois qu’il faut s’entraider et se soutenir entre traducteurs pour éliminer cette réalité dans le milieu!

En terminant, si vous aviez un conseil à donner à une personne étudiante au baccalauréat en traduction professionnelle qui souhaite être travailleuse autonome, que serait-il? 

Je lui dirais que contrairement à ce qu’on peut penser, elle ne sera pas « top » en sortant de la formation. Je lui conseillerais de commencer en travaillant dans une agence pour se faire mentorer par une ou un traducteur sénior. Quelques années dans une agence lui permettront de voir différents mandats, différents clients ainsi que plusieurs domaines et situations possibles. Cette expérience facilitera le saut pour se lancer à son compte. J’ajouterais de toujours garder son réseau ouvert si elle a des questions de terminologie ou autres. En traduction, on a un bon réseau de collègues à qui l’on peut se référer pour nos questionnements!