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La planète politique… appliquée

Pierre Binette, directeur de l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke.
Pierre Binette, directeur de l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke.
Photo : UdeS

Article publié dans le bulletin Perspectives SSF, mars 2012

Il y a un monde entre écouter une diplomate partager ses expériences, s’impliquer dans une simulation de négociations transfrontalières et être plongé dans la réalité quotidienne d’un village du Mali. À l’École de politique appliquée de la Faculté des lettres et sciences humaines, ces activités pédagogiques s’inscrivent toutes dans une logique de prise de contact des étudiants avec le «processus de décision en matière de gestion de l’espace public». Elles contribuent à la couleur distinctive des programmes offerts à l’Université de Sherbrooke.

Pour Pierre Binette, directeur de l’École : «La politique appliquée est une approche didactique de la science politique qui étudie notamment les options qui s’offrent à l’acteur politique, sa décision et la façon dont elle s’opérationnalise. Nos outils pédagogiques privilégiés sont l’étude de cas, le jeu de rôle et la simulation.»

On pourrait ajouter à cette liste d’activités appliquées la rencontre avec des spécialistes proches du terrain (conférenciers invités, professeurs associés provenant du monde du travail), des voyages au cœur des lieux de pouvoir (Washington, Paris, Hanoï, etc.), la participation à des sommets internationaux (Cancùn, Rio+20, Durban) et des stages au Canada ou à l’étranger.

Enseigner la politique autrement

En première année de baccalauréat, on recourt davantage à l’enseignement magistral par des professeurs réguliers et les contenus sont très contrôlés. On met l’accent sur l’acquisition de connaissances que l’on vérifie par des examens et des travaux assez directifs. Par la suite, environ un tiers des activités pédagogiques seront appliquées, surtout dans le cadre des cours du sigle GEP (gestion de l’espace public). Les activités permettront aux étudiantes et étudiants de développer des savoir-être qui leur seront utiles tout au long de leur carrière.

Se distinguer par cette approche appliquée, c’est d’abord faire confiance aux étudiants qui se voient confier plusieurs responsabilités durant leurs études. C’est miser sur l’autoapprentissage et encadrer plutôt que de simplement transmettre des connaissances, tant au baccalauréat qu’à la maîtrise.

Deux examens synthèses (un de communication orale et écrite à mi-parcours et un d’analyse en fin de bac) permettent de s’assurer de l’intégration des savoirs et obligent les apprenants à faire des liens entre plusieurs cours. Ces examens permettent également une évaluation continue des cours : si certains pans de connaissances ne sont pas intégrés, on examinera les cours correspondants, grâce à la grande ouverture des professeurs à recevoir des commentaires de la collectivité.

Après 15 ans d’existence et une importante croissance, l’École de politique appliquée est justement à l’heure des bilans. Cinq nouveaux professeurs ont été engagés depuis 2008. S’ils sont tous enthousiastes à l’idée de prendre part et même de contribuer à l’approche appliquée, ils ont plusieurs interrogations quant à l’utilisation de matériel pédagogique propre à cette approche et à la meilleure façon de l’intégrer dans leurs cours. Il y a clairement un besoin de transfert à l’interne de pratiques et d’outils qui favorisent l’application des savoirs en études politiques. Ce transfert permettra de renforcer les spécificités de l’École.

Un projet d’innovation en formation du Fonds d'innovation pédagogique a été accepté en 2011 qui permettra de recenser et d’évaluer les pratiques pédagogiques. Le projet favorisera le développement de l’approche appliquée en politique, la rédaction de guides et la possibilité que les vétérans offrent du coaching aux recrues.

Pour avoir une idée de la complexité du matériel pédagogique qu’emploie l’École de politique appliquée, on peut donner l’exemple d’une simulation de négociation à propos du site d’enfouissement de Coventry au Vermont basée sur le traité canado-américain sur les eaux limitrophes. L’activité, qui a pris deux ans à concevoir, se déroule sur tout un semestre, compte six parties prenantes, des centaines de documents, des cartes et des photos, ainsi que plusieurs forums de discussion parallèles (intra-équipes et inter-équipes) qui sont graduellement rendus disponibles aux étudiants. Il y a tant d’information à traiter que ces derniers n’ont pas le choix que de se séparer le travail. Si le scénario comprend un peu de politique-fiction, l’essentiel de la documentation est originale. Pour Pierre Binette qui l’a conçu, Coventry est un parfait exemple d’un problème local qui prend une dimension internationale.

Aujourd’hui… le monde

Cette préoccupation pour l’internationalisation de la formation est omniprésente à l’École. Alors qu’au baccalauréat plus de la moitié des étudiantes et étudiants optent pour le cheminement en relations internationales, le nouveau cheminement en droit international − politique appliquée deviendra un incontournable à la maîtrise.

«Compte tenu de la diversification culturelle, les Québécois de toutes origines ont l’obligation de savoir ce qui se passe ailleurs», affirme Pierre Binette. S’il faut selon lui favoriser la diversité dans nos salles de classe, c’est notamment parce que les milieux de travail sont de plus en plus métissés et ouverts sur le monde. «Peu importe le secteur, la coopération internationale est devenue fondamentale», dit-il.

La plus grande fierté du professeur Binette? Envoyer des étudiants de 20 ans dans des pays aux réalités économiques, politiques et culturelles fondamentalement différentes des nôtres et les voir s’engager à ce point dans cette aventure qui exige flexibilité, courage et persévérance. «Les embûches et les expériences positives que vivent les étudiants à l’étranger leur donnent une ouverture incroyable», dit-il. Les étudiantes et étudiants du baccalauréat peuvent s’inscrire à la séquence de cours GEP 303-313-323 Stage en relations internationales 1, 2 et 3, ainsi qu’à GEP 361 Recherche-action en relations internationales.

Ne part pas qui veut. La participation à ces stages fait l’objet d’un processus de sélection. Les stages – des mandats de recherche-action confiés par les organismes partenaires sur le terrain – sont d’abord affichés à la fin août. Les étudiantes et étudiants peuvent s’y inscrire. Les candidats passent ensuite une entrevue où l’on examine leurs compétences et leurs expériences de voyage antérieures, en plus de leur faire vivre diverses mises en situation.

Ceux qui sont retenus deviennent tout l’automne des stagiaires en formation inscrits à GEP 312 Préparation aux stages internationaux, activité préalable qu’encadre le professeur Hugo Loiseau. Cette préparation comprend trois volets : assimiler la méthodologie de recherche sur le terrain; approfondir sa réflexion sur son rôle sur le plan international; et effectuer les apprentissages socioculturels nécessaires (en collaboration avec le Carrefour de solidarité internationale de Sherbrooke). Ce dernier point comprend l’apprentissage des rudiments de la langue. Pour Hugo Loiseau, «communiquer dans la langue nationale compte pour une partie importante de la réussite du stage».

Le principal défi pédagogique du professeur Loiseau consiste à transmettre aux étudiantes et étudiants les valeurs de la recherche-action, soit la responsabilité éthique, la rigueur scientifique et le respect des personnes. Si «[l]a politique appliquée pose la décision comme un processus de résolutions de problème […] dans un environnement politique, légal et éthique contraignant où les ressources disponibles sont limitées», il va sans dire que des pays comme le Mali, le Pérou et la Colombie sont des terrains d’apprentissage extrêmement riches.

En janvier, les stagiaires partent en équipe de quatre à cinq, le plus souvent avec pour accompagnateur un étudiant à la maîtrise ayant déjà vécu un stage international et dont la participation sera aussi créditée. Un membre de l’organisme partenaire local se joindra à eux à l’arrivée. La plus grande qualité que devront développer les stagiaires, c’est la capacité d’adaptation. Sur le plan interculturel bien sûr, mais aussi parce que, selon le contexte sociopolitique, leur mandat est susceptible de changer une fois sur le terrain.

Au retour, les bénéfices de tels stages se font rapidement sentir. En trois mois, les étudiantes et étudiants ont mûri significativement sur les plans intellectuel et social. Ils doivent rédiger un imposant rapport final présentant leurs difficultés et leurs acquis individuels mais aussi l’analyse de leur recherche-action. En plus de la correction, le rôle de l’enseignant consiste parfois à modérer les attentes des étudiants quant à l’impact de leurs interventions sur le terrain. Entre «changer le monde» et «ça ne sert à rien», il faut parfois rappeler que le vrai changement prend des années.

Demain, le monde…

Pour Pierre Binette, le succès de l’internationalisation de la formation à l’École de politique appliquée provient de l’obtention de mandats réalisables de la part d’organismes internationaux partenaires (ONG, etc.). Qu’il s’agisse de recherches à mener ou de matériel à produire par les étudiantes et étudiants, ce sont les professeurs qui s’assurent que les attentes de résultats demeurent réalistes. Évidemment, la qualité de la coopération avec les partenaires sur le terrain est essentielle. Le fait d’avoir des protocoles définis permet d’entretenir et de voir fleurir ces partenariats. Un conseil du professeur Binette à qui veut se lancer dans l’internationalisation d’un curriculum : «Consultez ceux qui en font déjà. Cela permet d’éviter plusieurs pièges.»

L’École de politique appliquée est maintenant prête à partager son expertise ici et à l’étranger. Grâce aux outils technologiques désormais accessibles, elle aimerait développer certaines de ses simulations aux cycles supérieurs totalement «à distance». Des étudiants de Sherbrooke pourraient alors interagir avec des Belges ou des Maliens, par exemple. Non seulement la préparation aux négociations s’effectue déjà au moyen de forums de discussion, mais la négociation elle-même pourrait avoir lieu par le biais de classes virtuelles (de type Via ou autre). Pierre Binette y voit la contribution de l’École à la formation de pays en développement, une nouvelle avenue pour bonifier ces précieux partenariats.

Article publié dans le bulletin Perspectives SSF, mars 2012


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