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Thèse - Nicholas GIGUÈRE

Les périodiques gais au Québec (1971-2009) : vecteurs de reconnaissance et de légitimation d’une communauté

Nicholas GIGUÈRE

Si plusieurs périodiques européens et américains, dont Arcadie, Gai Pied et The Advocate, ont fait l’objet d’études approfondies, la presse gaie québécoise, en revanche, a relativement peu suscité l’intérêt des chercheurs. Surtout, aucune étude d’ensemble n’a été publiée sur le sujet. Pourtant, il s’agit d’un corpus particulièrement
foisonnant : depuis 1971, 144 périodiques gais ont été créés au Québec. La présente thèse entend donc combler une lacune en proposant une étude à la fois quantitative et qualitative de l’ensemble des périodiques gais de la province. Plus précisément, nous nous penchons sur les fonctions que ces périodiques ont occupées – et continuent d’occuper – au sein de la communauté gaie. Cette thèse se divise en deux parties. Dans la première, plus théorique, nous revenons dans un premier temps sur les fonctions du livre et de la presse à travers les époques et définissons les concepts qui sont au cœur de nos recherches. À ce chapitre théorique succède l’analyse quantitative des périodiques gais produits et diffusés au Québec depuis 1971. En somme, nous établissons un cadre théorique et méthodologique utile à l’étude de notre corpus. La deuxième partie de la thèse, la plus longue, regroupe les cinq chapitres suivants. Avant 1971, peu d’imprimés abordent l’homosexualité au Québec – et lorsque c’est le cas, c’est souvent (pour ne pas dire la plupart du temps) pour la contrôler, la condamner et la définir comme une forme de sexualité qui n’a pas sa place dans la société. Or, comme nous le montrons dans le chapitre III, des périodiques tels que les journaux jaunes et les physiques magazines, tout en véhiculant les stéréotypes les plus éculés concernant l’homosexualité, constituent également des sources d’information non négligeables et permettent aux lecteurs de s’identifier à des images, à des représentations qui ne visent pas nécessairement à stigmatiser les homosexuels. Le quatrième chapitre couvre les premiers périodiques gais publiés au Québec durant les années 1970. Des titres comme Le Tiers (1971-1972) et Omnibus (1971?-1975?), qui font l’objet d’études de cas plus fouillées, sont étroitement liés à l’essor de la communauté gaie dans la province et à l’affirmation de l’identité gaie au sein de l’espace public. Ce mouvement d’affirmation prend de l’ampleur durant la deuxième moitié de la décennie 1970, tandis qu’une vague de descentes et d’autres actes répressifs sévit dans plusieurs établissements gais de la métropole. Les cinquième et sixième chapitres de la thèse mettent en relief l’importance des périodiques gais dans des moments de crise. Ainsi, un titre comme Le Berdache est capital pour la reconnaissance sociale et juridique des gais dans la province : grâce à ce périodique, les collaborateurs dénoncent la répression multiforme ainsi que l’homophobie généralisée et revendiquent des droits pour les membres de leur communauté. Durant les années 1980 et 1990, alors que le sida décime une partie importante de la population gaie québécoise, Le Virulent (1986-1989?), un bulletin émis par le Comité Sida Aide Montréal
(C-SAM), demeure un outil de premier choix, un mode d’action, pour sensibiliser et informer. Enfin, le septième et dernier chapitre de la thèse est consacré aux périodiques – et plus particulièrement aux magazines – gais publiés à partir du milieu des années 1980. Ces publications témoignent de l’évolution d’une communauté qui, autrefois stigmatisée et perçue comme une grave menace pour le maintien de l’orthodoxie sociale, est désormais de plus en plus reconnue, voire légitimée, et a acquis un certain pouvoir (sociopolitique, économique). Une telle évolution n’est pas sans conséquence sur les façons de produire, de distribuer et de diffuser les périodiques gais : les bulletins, tabloïdes et autres publications périodiques artisanales des années 1970 cèdent progressivement la place à des magazines luxueux, produits avec plus de ressources et davantage axés sur les modes de vie. Cette tendance, qu’on observe encore aujourd’hui dans le milieu de la presse gaie, est même devenue une sorte de norme.