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Mémoire - Judith HAVIERNICK

L'écrivain·e à la radio : l’émission "Plus on est de fous, plus on lit !" comme prisme d’images auctoriales co-construites (août 2019-juin 2020)

Judith HAVIERNICK

Partie prenante de la vie littéraire contemporaine, l’entretien d’auteur·trice a longtemps été réduit à son caractère commercial. Pourtant, les visées promotionnelles de l’entretien ne se résument pas à de simples considérations matérielles : l’entretien d’auteur·trice, par ses traits littéraires, constitue un espace de performance discursive propice à l’édification d’une image auctoriale. Ce mémoire propose d’analyser la co-construction de l’image auctoriale dans le champ littéraire québécois en prenant comme objet d’études Plus on est de fous, plus on lit !, émission radiophonique diffusée sur les ondes d’ICI Radio-Canada. Conjuguant des théories d’analyse discursive et de sociologie littéraire, ce mémoire se penche sur dix entretiens afin de relever les modalités de construction des images auctoriales en circulation, depuis l’entrée en littérature jusqu’à la consécration, mobilisées à la fois par l’animatrice Marie-Louise Arsenault et les écrivain·e·s invité·e·s. En effet, l’entretien suppose une double auctorialité, en ce sens que l’image auctoriale se forme dans l’interaction entre la personne interviewée et la personne qui interviewe. Je formule l’hypothèse que, loin d’être récusé par les écrivain·e·s, le rapprochement entre le biographique et l’oeuvre transparaît dans le discours des auteur·trice·s interviewé·e·s, cette rhétorique semblant participer d’une garantie d’authenticité de la démarche artistique de l’auteur·trice dans la mesure où l’authenticité demeure une vertu cardinale de la vocation littéraire. Le premier chapitre est consacré à la présentation de l’animatrice et de l’émission, c’est-à-dire du contexte discursif dans lequel les interlocuteur·trice·s interagissent. Ce panorama met en exergue le capital symbolique dont jouit Arsenault et la place privilégiée qu’occupe l’émission dans le paysage littéraire québécois, tous deux entrant en jeu dans les entretiens analysés. Les trois chapitres subséquents sont réservés à l’analyse de l’image des auteur·trice·s interviewé·e·s, regroupé·e·s en fonction de leur position dans le champ littéraire. Y sont donc successivement étudiées les images auctoriales de primo-autrices, d’auteurs établis et d’écrivains consacrés. Si les primo-autrices, placées sous le sceau de la découverte, sont fortement soumises par l’animatrice au régime vocationnel, les auteurs établis bénéficient pour leur part d’une position d’autorité, consolidée par leur statut de professeurs, systématiquement souligné par l’animatrice. Ces entretiens gravitent largement autour de la littérature et, plus précisément, de son pouvoir sur l’imaginaire auquel adhèrent les auteurs interviewés, qui intègrent différentes formes d’indétermination à leur posture. Enfin, les entretiens d’écrivains consacrés admettent une individualité accrue, puisqu’ils s’inscrivent dans le prolongement de l’oeuvre des écrivains, dont le capital symbolique leur octroie un pouvoir discursif leur permettant de contrôler davantage l’image auctoriale produite au terme de l’entretien. Ce mémoire jette la lumière sur l’entretien d’auteur·trice, objet auquel personne ne s’est à ce jour intéressé comme genre spécifique dans le champ littéraire québécois, en questionnant le potentiel de ce dispositif et l’influence des intervieweur·euse·s dans la construction d’une image auctoriale.