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Mémoire - Élisabeth DUROCHER

Le suicide dans trois romans québécois
pré-révolution tranquille : Mathieu (1949) de Françoise Loranger, Poussière sur la ville (1953) d'André Langevin et La Fin des songes (1950) de Robert Élie

Élisabeth DUROCHER 

En rupture avec le traditionalisme, le roman québécois des années 1940 prend un nouveau tournant en accordant une place centrale à l'homme. Le roman du cas de conscience qui naît à ce moment s'applique à montrer l'individu tel qu'il est avec ses sentiments, ses émotions, ses joies, ses peines et ses tourments. Les romanciers invitent ainsi le lecteur à plonger au coeur même d'une individualité empreinte de crises psychologiques et sentimentales et qui, souvent, aboutit dans la mort de façon volontaire. Le suicide est une thématique littéraire québécoise peu exploitée et pourtant si intéressante. Ce mémoire est consacré à cette thématique dont l'étude passe par l'analyse de trois romans pré-Révolution tranquille : Mathieu (1949) de Françoise Loranger, Poussière sur la ville (1953) d'André Langevin et La Fin des songes (1950) de Robert Élie. Avant d'en arriver au suicide, les personnages principaux de ces romans sont, tour à tour, aux prises avec des problèmes de solitude, de rejet et d'isolement qui ne font que participer à leur chute de plus en plus profonde dans le gouffre de la mort. Certains s'en sortiront, comme Mathieu, et d'autres n'auront pas la force de se battre contre cette vie malheureuse qui est la leur, comme Madeleine et Marcel. Mathieu, le personnage central du roman de Françoise Loranger, est un être cynique, méprisant et marginal qui s'isole graduellement jusqu'à ce qu'il parvienne à la tentative d'autodestruction. C'est en rejetant la société dans laquelle il vit, en refusant toute transcendance et en se détournant presque de lui-même que sa tentative peut être qualifiée de « sociologique » puisque c'est son refus conscient d'intégration qui le mène droit vers sa rencontre avec la mort. Madeleine et Marcel, quant à eux, sont des êtres qui semblent taxés d'une fatalité qui les mène directement au suicide. Dans le premier cas, il s'agit d'une fatalité existentielle dans la mesure où le destin même du personnage est marqué par l'insatisfaction et le pessimisme et ce, depuis toujours. Dans le second cas, la fatalité est à la fois existentielle et à la fois métaphysique. Ici, le personnage s'éloigne volontairement des gens qui l'aiment et qui l'entourent. Son isolement à demi provoqué et à demi prédéfini va avoir le dernier mot sur son existence. Les parcours des héros de ces trois romans psychologiques québécois se ressemblent. À leur manière, Mathieu, Madeleine et Marcel partent tous à la recherche de leur individualité au risque de s'enfoncer dans un isolement trop insupportable, désirer la mort, puis passer à l'acte. L'analyse de ces trois personnages démontre comment le roman du cas de conscience fait peser sur eux un nouveau questionnement qui oblige à diverses réponses, dont le suicide fait désormais partie.