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Mémoire - Cécile DELBECCHI

L’impasse des sens uniques : essai sur la dualité dans L’envers et l’endroit et L’exil et le royaume d’Albert Camus

Cécile DELBECCHI

La notion d'équilibre est, pourrait-on dire, quasi intrinsèque à la pensée de Camus ; dans son univers, Némésis en est la gardienne. Or, cette idée d'équilibre me semble faire cruellement défaut à l'époque qui est la nôtre, au sens d'écart entre différents statuts sociaux, mais aussi au sens d'inconséquence, d'inadéquation entre, par exemple, croyances et faits, entre dires et gestes, pensées et actions. Nos sociétés occidentales, trop souvent fondées sur des rapports de force, constituent un théâtre tout indiqué pour les faux-semblants, les trompe-l'oeil et autres attitudes ostentatoires. Évidemment de tels clivages ne constituent pas une nouveauté historique. Or, j'ai compris à travers Camus que ces maux de société sont exacerbés par les séparations qu'entraîne un mode de vie déséquilibré, c'est-à-dire tenté par la perfection ou obnubilé par le pouvoir, que cette vie soit régie par le réel ou gouvernée par l'idéel. Car, et c'est ce que je comprends dans L'envers et l'endroit et L'exil et le royaume, idéel et réel sont deux absolus qui poussent ceux et celles qui y obéissent à délimiter les espaces, à ériger des murs, réels ou imaginaires, pour éloigner, rejeter, voire nier, ce qui ne leur semble pas désirable. Pour que la vie prenne forme, il faut donc rompre avec ces tentations d'absolu, réunir l'idéel et le réel, en essayant non pas de les fusionner, mais bien de les équilibrer, sans quoi on se condamne à la facilité, à l'illusion, à ce que Camus appelle une vie par procuration. C'est en tout cas ce que me donnent à lire les deux textes de Camus que j'ai retenus, sorte de plaidoyers en faveur de cette irréductible dualité unissant l'un et l'autre, relation certes désespérante par les conflits qu'elle suscite, mais seule garante de véritable progrès.