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Quand la finance côtoie la quantique

La Pre Anne MacKay et Alexandre Prémont-Foley prennent part à un projet en informatique quantique avec l’École de gestion, l’Autorité des marchés financiers et l'AlgoLab.
La Pre Anne MacKay et Alexandre Prémont-Foley prennent part à un projet en informatique quantique avec l’École de gestion, l’Autorité des marchés financiers et l'AlgoLab.
Photo : Michel Caron - UdeS

Les marchés financiers font partie intégrante de l’économie moderne et de notre société. Plusieurs approches existent pour estimer la valeur fluctuante des prix du marché, et celles qui fonctionnent bien sont en général à l’image de ces marchés, très complexes. L’ordinateur quantique offre de nouveaux outils qui pourraient à terme changer la donne.

Depuis 2022, un projet de recherche réunissant l’École de gestion de l’UdeS, l’AlgoLab de l’Institut quantique (IQ) et l’Autorité des marchés financiers (AMF) du Québec sonde le potentiel de l’informatique quantique pour développer des outils qui pourraient, entre autres, diminuer le temps de calcul d’indicateurs utiles pour la gestion de risque de produits d’assurance liés aux marchés financiers ou encore l’évaluation du prix de certains produits financiers, tels que les options.

Options et estimations de prix

Les options sont des contrats qui donnent aux investisseurs le droit d’acheter ou de vendre un actif sous-jacent à un prix fixe prédéterminé, et ce, dans un délai donné. Les options jouent un rôle crucial dans les marchés financiers, permettant aux investisseurs de minimiser une partie de leurs risques, de spéculer sur les mouvements des prix ou encore de gérer les portefeuilles de façon plus efficace.

Évidemment, le niveau de complexité du calcul d’estimation augmente significativement lorsque l’on considère une option avec plusieurs actifs sous-jacents et leurs fluctuations au fil du temps. Les institutions financières et le milieu universitaire regardent de plus en plus du côté de l’informatique quantique afin d’améliorer ce type de calcul et de potentiellement accélérer les transactions boursières.

« D’une façon abstraite, les prix sont une espérance mathématique, qui est essentiellement une intégrale d’une fonction de la distribution de probabilité. Il y a des algorithmes quantiques qui, théoriquement, peuvent calculer ça rapidement », explique Anne MacKay, professeure au Département de mathématiques et instigatrice de ce projet de recherche en compagnie de son collègue, le professeur Alain Bélanger. Elle se dit particulièrement intéressée par le changement de paradigme en finance qu’offrent certaines méthodes de calculs en informatique quantique.

Physique et finance, un couple improbable

Si l’union entre les deux domaines semble improbable, la finance et la physique se côtoient depuis plusieurs décennies. « On parle souvent du modèle de Black-Scholes, ce sont les premiers qui ont amené les mathématiques avancées pour résoudre ça dans les années 70 en écrivant la dynamique du prix de produits dérivés sous la forme de l’équation de la chaleur, qui est un outil de la physique, souligne la Pre MacKay. Depuis, les modèles se sont multipliés et sont devenus très sophistiqués pour mieux représenter les prix sur le marché. En revanche, mathématiquement, ça devient de plus en plus lourd à calculer avec un ordinateur [classique]. »

Il existe plusieurs approches classiques pour déterminer le prix d’une option. Ainsi, les simulations Monte Carlo sont utilisées pour modéliser des systèmes complexes (comme les produits financiers dérivés) à plusieurs variables, et ce, par le biais d’échantillonnage aléatoire. « Les simulations Monte Carlo, c’est lent et pas forcément très efficace, poursuit la Pre MacKay. Mais leur gros avantage, c’est qu’elles sont flexibles, simples et polyvalentes. C’est pourquoi elles sont si répandues en finance. Moi, je crois qu’il y a d’autres approches, notamment avec des algorithmes quantiques. »

Deux outils quantiques

Alexandre Foley, programmeur en informatique quantique avec l’AlgoLab, y voit également dans ce projet une opportunité d’appliquer des méthodes théoriques de manière pratique : « Il y a une bonne adéquation entre ce type de problème de prédiction et la capacité de l’ordinateur quantique à produire des distributions de probabilités. Il y a moyen de traduire les problèmes pour leur faire prendre la forme de la mécanique quantique. Une fois que cela est fait, nous pouvons les résoudre en principe avec un ordinateur quantique. »

C’est grâce au travail d’Alexandre que le projet a implémenté deux outils pour l’estimation de prix dans un ordinateur quantique. Une de ces méthodes permet d’estimer une moyenne pondérée en mesurant la probabilité d’un seul qubit. La seconde méthode se penche sur la préparation d’une distribution de probabilités dans l’ordinateur quantique. Celle-ci met à profit les réseaux de tenseurs pour construire une représentation intermédiaire qui se convertit facilement en circuit quantique. Pour le moment, ces deux approches fonctionnent pour une seule variable.

Commencer aujourd’hui pour mieux saisir demain

Pour l’Autorité des marchés financiers (AMF), ce projet de recherche est une occasion de se tenir au fait des percées qui pourraient avoir un impact sur le monde de la finance : « Les ordinateurs quantiques vont fort probablement générer des changements dans le secteur financier, notamment en ce qui a trait à la sécurité informatique, aux algorithmes de calculs utilisés en gestion du risque et au développement de modèles d’intelligence artificielle, souligne Emmanuel Hamel, scientifique de données à l’AMF. La participation de l’Autorité à ces travaux fournit une occasion d’approfondir sa compréhension des ordinateurs quantiques et de mieux évaluer les impacts de leur utilisation, tant pour les intervenants du secteur financier que pour les consommateurs de produits et services financiers. »

La première partie de ce projet visait à appliquer certaines méthodes de la littérature, notamment les deux outils de calcul développés par l’AlgoLab. L’équipe se concentrera à présent sur l’aspect temporel de l’évolution d’états afin de pouvoir introduire, par exemple, des intervalles spécifiques de temps. Dans un futur rapproché, les avancées techniques pourraient également permettre d’intégrer plus de variables au circuit quantique et ainsi rendre l’outil d’estimation beaucoup plus apte à résoudre des problèmes pratiques de la finance et en actuariat.

« Une des aspirations, c’est de mettre ces outils ensemble dans un format facile d’utilisation pour les gens qui ne sont pas des spécialistes en informatique quantique, explique Alexandre. On veut que ce soit utile et, pour ça, il faut que les gens soient capables de décrire leur problème, et que le logiciel puisse traduire ça dans un format traitable pour un ordinateur quantique pour fournir un résultat qu’ils comprennent sans faire d’erreur. »

L’informatique quantique pourrait bien être appliquée de manière hybride pour des aspects spécifiques d’un problème en combinaison avec des approches classiques : « En général c’est ce que l’on cherche à faire, c’est-à-dire utiliser l’ordinateur quantique pour la partie où il va être le plus efficace. C’est un nouvel outil, un peu comme l’apprentissage automatique il y a dix ans. C’est bien de se positionner dès le début, puisque ça va prendre de l’ampleur », ajoute la Pre MacKay.

Pour elle, la valeur scientifique du projet est évidente : « Je pense qu’avec l’aide des programmeurs de l’AlgoLab, on va pouvoir contribuer à améliorer des algorithmes et la littérature dans l’application de l’informatique quantique à la finance. Pour moi, contribuer à la recherche et l’avancement des connaissances, c’est amplement suffisant, et c’est ce que je veux faire. »