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Gilles Voyer

Gabriel et le philosophe

Éditions Fides, Montréal, 2018, 171 pages

www.ledevoir.com/culture/livres/518959/entrevue-voyer

Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait. Avec son livre Gabriel et le philosophe, ou comment réfléchir aux turbulences de notre temps, qui paraît chez Fides, Gilles Voyer, philosophe et médecin de formation, fait un pas pour pallier l’écart des générations. Sous forme de lettres, le retraité répond à des préoccupations avancées par un jeune homme qui a aujourd’hui vingt ans, Gabriel Caron.

À l’époque, le jeune homme sortait d’une adolescence troublée, se posait des questions sur l’amour, sur l’avenir, sur la vie. « Au départ, il y a eu une rencontre », des conversations plus ou moins à bâtons rompus qui abordent progressivement des sujets plus sérieux, explique Voyer en entrevue.

Le jeune n’a pas fini son secondaire. « Malgré cela (ou peut-être à cause de cela !), il est en train de devenir un vrai philosophe », écrit Voyer dans son avant-propos. 

« Ses lettres m’ont fait découvrir des choses dont je n’étais pas conscient », reconnaît pour sa part le jeune Caron en préambule de l’ouvrage.

Le philosophe livre à Gabriel ses réflexions, glanées au fil des ans, sur l’amour, sur l’art, sur la connaissance et la compréhension. Il aborde également les questions éthiques liées aux soins de fin de vie, à l’euthanasie, aux manipulations génétiques, à l’économisme et au vitalisme.

Ces réflexions constituent davantage une boîte à outils qu’une leçon de vie, insiste Gilles Voyer en entrevue. En fin de compte, il y a des chemins qui ne s’empruntent que seul. Voyer puise dans ses lectures antérieures et remonte jusqu’à la mythologie grecque pour donner sa lecture du monde d’aujourd’hui. 

Ainsi, pour parler de l’amour, le sujet de sa première lettre, il fait référence aux deux dieux Éros, de la mythologie grecque. Le premier Éros émerge du chaos et apporte au monde, « par son amour, l’énergie et la lumière ». Le second, fils d’Aphrodite, que les Romains appellent Cupidon, « est sauvage et capricieux ; il a le même caractère que sa mère ; le monde doit se soumettre à ses jeux ». Voyer distingue ainsi l’homme qui aime et l’homme amoureux (il précise en préambule que ce vocable désigne aussi la femme) et estime que le second, fusionnel, fait le contraire de ce que peut le premier.

Pour aborder le monde, le philosophe-médecin préconise l’approche intuitive plutôt qu’analytique et emprunte au philosophe Henri Bergson. L’homme analytique, explique-t-il, utilise des abstractions. « Il ne connaît que le temps fractionné qui s’écoule. » L’homme intuitif, par contre, « saitimmédiatement, comme s’il était sympathique à tout ce qui est, sympathie par laquelle il saisit l’unicité de chaque chose ».

Pour Gilles Voyer, la médecine n’est pas une science. « La médecine qui traite est pratique plutôt qu’art, une pratique qui utilise la science, sans être elle-même une science », écrit-il.

Pourtant, la médecine moderne est selon lui beaucoup trop analytique, basée sur des symptômes, des signes, des tests, plutôt que d’aborder l’individu dans sa globalité. 

« Une bonne médecine a besoin de deux choses, un esprit analytique, qui relève du domaine de la science, et une bonne intuition, qui relève du domaine de la philosophie », dit-il. 

Or, la philosophie, bien que toujours enseignée de façon obligatoire au cégep, est facilement évacuée de la vie quotidienne, dit-il.

« Je ne sais pas ce qu’il reste [de la philosophie] aux cégépiens après leur cégep. En médecine, poursuit-il, l’aspect analytique est surdéveloppé. » En matière de soins de fin de vie, Voyer affirme que « l’euthanasie est un homicide ». Mais il dit aussi que le vitalisme, ou acharnement thérapeutique, « cette idéologie qui fait de la vie organique de l’homme l’ultime critère de ce qu’est une vie humaine », est un contre-humanisme.

« Sont proportionnés, tranche-t-il, les soins et les traitements qui requièrent une quantité de ressources raisonnable par rapport à leurs chances de succès et qui ont pour issue probable une vie de bonne qualité », tranche-t-il. 

Voyer conclut son livre avec une « très, très courte histoire de la philosophie occidentale », en synthétisant en un paragraphe l’approche de différents penseurs, de Pythagore à Derrida.