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Romain Paquette

LA MONDIALISATION, UN RÊVE INACHEVÉ…

par

Romain Paquette,

Professeur à la retraite,
Université de Sherbrooke

©
Le 12 novembre 2003
Adresse courriel : « Romain.Paquette@Usherbrooke.ca »

« …la sourde inquiétude à l’égard de la mondialisation… »
(Wolton, 2003, p. 41)

Acculé à la mondialisation, l’homme a la douloureuse impression que le contrôle sur son monde lui échappe. Il n’a pas le choix : la mondialisation s’impose à lui inexorablement. Ce caractère d’inévitabilité agace, dérange, provoque. Certains la prétendent mauvaise, il faut donc la rejeter. D’autres pensent plutôt qu’il est préférable de veiller à mieux l’orienter pour qu’elle serve davantage les intérêts de l’humanité dans son ensemble et non pas seulement ceux des corporations transnationales ou des pays meneurs du monde. D’autres enfin invitent à reconnaître les multiples indices d’une alternative en train de se forger, et croient nécessaire de s’employer à renforcer cette alternative. Comment s’y retrouver? Au fond, nous partageons tous un idéal, et cet idéal nous apparaît trahi. Dans les mots d’un écrivain italien,

“…la globalisation, telle qu’on est en train de nous la vendre, n’est pas un rêve erroné: c’est un rêve petit.  Arrêté, bloqué. C’est un rêve en gris, parce qu’il sort directement de l’imaginaire des chefs d’entreprises et des banquiers. En un certain sens, il s’agirait de commencer à rêver ce rêve à leur place et à le réaliser.  C’est une question d’imagination, de ténacité et de colère…”[1]

Idéalement, l’absence de frontières devrait constituer la caractéristique principale du système-monde. Dans ce monde idéal, la circulation des idées, des biens et des personnes devrait pouvoir se faire partout librement sans véritable contrainte. Les communications entre les populations de cultures différentes s’établiraient dans le respect de leurs différences. Des échanges de toute nature (sociaux, culturels, commerciaux) auraient lieu sans obstacle dans tous les sens. Ainsi conçue, la mondialisation n’est évidemment qu’à l’état de projet. Ce qui n’empêche pas que des initiatives isolées puissent être en cours (Médecins sans frontière, Ingénieurs sans frontière, Rapporteurs sans frontière, etc…).

Depuis toujours l’homme comme l’animal a démarqué son territoire.  Cette démarcation territoriale s’inscrivait dans sa nature ; limitée par la technologie dont il disposait, la satisfaction de ses besoins essentiels restait liée à ce territoire. À titre d’exemple, les roitelets d’Europe au Moyen-Âge régnaient chacun sur une portion restreinte de territoire. L’Europe était alors découpée en une multitude de petits royaumes. Beaucoup de frontières qui  les démarquaient ont ensuite été effacées quand les grands royaumes des siècles subséquents réussirent à imposer leur emprise. Pareillement, les frontières que les Européens ont tracé artificiellement entre leurs colonies en Afrique ont rendu moins significatives les multiples frontières intertribales qui préexistaient ; d’autant plus que chaque pays colonisateur instituait par son pacte colonial une “mondialisation partielle”[2]. Mais, avec la mise en place des États-Nations, les frontières restantes ont acquis une  légitimité nouvelle qui les a incrustées solidement dans l’espace.

Mondialisation rêvée

Dans la mesure où elles durcissaient les différences entre États-nations, ces frontières ne pouvaient que rendre complexes leurs interrelations et multiplier les occasions de friction et de blocage. Voilà pourquoi le système-monde moderne s’emploie à faire disparaître ce solde de frontières endurcies qui continuent de séparer les États-nations, en  favorisant l’éclosion d’un monde nouveau. La dynamique de l’effacement des frontières parait désormais bien enclenchée. Aucune action ne l’affirme  avec autant de vigueur que la création récente d’une monnaie commune par les pays membres de l’Union Européenne, qui a réduit encore davantage la raison d’être des frontières qui les séparent.

Dans le système-monde actuel, où règne l’insécurité, les frontières ciblées pour atténuation ont d’abord été d’ordre politique. Le monde rêvé va beaucoup plus loin : il s’en prend à toutes les  frontières créatrices de divisions ou d’exclusions, qu’elles soient économiques, sociales,   culturelles, ou même psychologiques, Sous cet angle, le rêve de la mondialisation est à peine amorcé.

D’ailleurs, “la mondialisation est le résultat d’un long processus historique, cahoteux et irrégulier dans son rythme, faisant parfois marche arrière, avançant parfois énergiquement”[3]. La mondialisation rêvée est donc encore en construction. Elle peut même apparaître comme mal partie, comme l’insinue l’auteur cité précédemment[4].

Fondamentalement, l’objectif poursuivi est celui du bien-être de tous les êtres humains :

Faire bénéficier l'humanité entière des avantages obtenus et des connaissances acquises par les uns et les autres.   En  d'autres mots, la mondialisation s'emploie à la construction d'un monde de paix, d'égalité, de sécurité, de démocratie, de solidarité et de prospérité pour le bien-être de tous les êtres humains.

Depuis les années 80, beaucoup ont pensé que l’effacement des frontières  devait essentiellement passer par le plein respect des avantages naturels de tous les pays ou de toutes les régions. Mais, c’était sans tenir compte des différences d’accumulations de richesse par les individus ou les groupements d’individus: les avantages naturels ou absolus ont donc été remplacés par les avantages comparatifs qui se prêtaient davantage à la protection des droits de propriété. C’est aux frontières que sont appliquées les barrières tarifaires et non tarifaires qui assurent le respect de cette protection. Ce sont ces frontières qui nuisent au bon fonctionnement des échanges. On a donc concentré les efforts de construction de la mondialisation sur l’atténuation de ce seul effet de barrière. Tel qu’il s’implante présentement, le rêve est amputé de toutes ses autres dimensions.

Ralentissement de cette forme de mondialisation

Des circonstances particulières peuvent parfois contrecarrer cet effet d’atténuation de barrière. À titre d’exemple, la barrière que constitue la frontière entre la République Dominicaine et Haïti vise à contenir les Haïtiens à l’intérieur de leur pays et à les empêcher d’émigrer clandestinement en République Dominicaine. Mieux connu, le renforcement de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique pour contenir l’immigration clandestine des mexicains aux Etats-Unis, un refoulement qui va nettement à l’encontre de l’objectif d’un monde sans frontière. Et, plus près de nous, le durcissement des mesures de contrôle aux frontières entre le Canada et les Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001, sous prétexte qu’elles paraissaient une “passoire” pour des terroristes potentiels, nous apporte des images saisissantes du ralentissement des échanges entre nos deux pays.

Bien plus, certains ont pu voir dans ces attentats du 11 septembre 2001  la fin de la mondialisation. Un écrivain italien a bien résumé les fondements de cette impression :

Avec une certaine logique, beaucoup ont dit que …la globalisation était morte. Et indéniablement, un monde où la guerre est revenue, où les marchés financiers sont dans les cordes et où les gens ont peur de monter dans un avion n’est pas le meilleur paysage où imaginer des perspectives globalistes heureuses. Disons-le carrément : c’est la négation de tout projet de ce genre. La globalisation a donc été mise ne hibernation, si l’on peut dire, en attendant des jours meilleurs. Elle est sortie des médias et des débats télévisés. Si elle existe encore, elle le fait silencieusement, en léchant ses blessures”[5]

Dans les faits, ces attentats ont été l’occasion d’un ralliement de sympathie incroyable à l’échelle mondiale contre le terrorisme. Le même écrivain y a plutôt détecté une manifestation de la vitalité de la mondialisation  :

“…politiquement, on n’avait jamais vu un monde aussi globalisé ; tous rangés presque unanimement aux côtés des Etats-Unis. Y a-t-il jamais eu de guerre avec une alliance aussi large? Les gens ont peut-être peur de monter dans les avions, mais ils s’entraînent en même temps pour l’appartenance à un énorme pays global, coalisé contre un ennemi unique pour défendre les valeurs fondamentales de la cohabitation des citoyens  Pas mal comme entraînement à la globalisation”[6].

Aux yeux de cet écrivain, ces attentats ont même contribué à l’éveil d’une “conscience collective” à l’échelle planétaire, c’est-à-dire un sentiment d’être citoyen du monde :

“Les dégâts techniques se réparent, mais la création d’une conscience collective reste. Il n’est pas absurde de penser qu’à long terme, le 11 septembre apparaîtra comme un ciment précieux plutôt que comme une blessure qui affaiblit. Pendant ces jours-là, les gens ont appris ce que veut dire être citoyen du monde :  sans ce sentiment particulier, aucune globalisation ne serait réellement possible. Ce genre de sentiment se forme dans la conscience collective avec la lenteur d’une mutation génétique : le 11 septembre a fait en quelques jours ce que des années de propagande patiente n’auraient jamais pu espérer obtenir.  Il a fallu des décennies pour que nous nous sentions, au moins un peu, européens. En quelques jours, nous étions déjà tous américains”[7].

Évidemment, ce sentiment d’être soudainement devenu citoyen du monde s’est vite émoussé par la suite, dans la mesure où la “blessure” s’est  transformée en “bavures”.

La mondialisation réalisée à la pièce

De par sa nature, un rêve recompose ou réarrange avec des distorsions des éléments disparates en provenance du monde réel : certains sont amplifiés et d’autres diminués en importance. Quand il s’agit d’un monde, ces éléments peuvent être d’ordre politique, économique ou culturel : quand seuls les premiers sont amplifiés, les derniers risquent de se voir diminués ou même éliminés.  De plus, dans la mesure où tout rêve s’élabore spontanément dans le cadre d’une culture, il en porte les marques, il y est profondément ancré, il y baigne. 

La mondialisation, telle    qu’elle se construit  présentement, a  pu  faire croire à l’apparition d’une “culture mondiale”. Ainsi baigné dans la culture à laquelle il appartient, le rêve de la mondialisation présente en effet des ressemblances avec une culture mondiale, dans la mesure où il comporte “un élargissement du patrimoine commun”, et renvoie à “une culture moyenne” qui accompagne la démocratie de masse [8].

Mais, comme implantation d’un “demi-métissage”[9], elle bouleverse les identités culturelles, les cadres d’interprétation et les points de repères. La signification accordée aux différentes composantes du rêve de la mondialisation se prête ainsi à de nombreuses variations ; on peut interpréter différemment, selon la culture à laquelle on appartient, la paix, la démocratie, l’égalité, la sécurité, la solidarité, la prospérité, la démocratie. Selon Wolton, le défi à relever consiste à “organiser la cohabitation culturelle”, c'est-à-dire à “assurer un minimum de compréhension mutuelle pour amortir les effets de la mondialisation”[10].

Pour Wolton, les deux premiers piliers de la mondialisation ont été d’abord politique avec la création de l’ONU, puis économique avec les trente Glorieuses ; la troisième est culturelle, “elle concerne la cohabitation culturelle au plan mondial”[11]. Il parle indistinctement de trois étapes d’une même mondialisation ou de trois mondialisations distinctes. Il considère leur succession comme une évolution, sans préciser que la succession aurait pu être différente. Dans le présent travail, nous parlerons plutôt de trois formulations partielles d’un même rêve de mondialisation à trois moments différents de notre histoire récente. La première étant marquée par la politique, la seconde par l’économique, et la troisième, encore nébuleuse, culturelle. 

Le “socle” ou le “substrat”[12] de la mondialisation

Toute concrétisation de ce rêve de mondialisation ne pouvait donner sa pleine mesure qu’avec l’apport d’une technologie capable d’en faire bénéficier toutes les populations de la planète. La généralisation de l’instrumentation nécessaire à cet effet n’a vraiment été efficace qu’au cours de la seconde tentative de réalisation de ce rêve. C’est alors que les frontières entre États-nations se sont mises à perdre leur signification. L’avènement des technologies de l’information et des communications (TIC), notamment celles du transport (l’aéronautique) et des communications (l’Internet), a ainsi permis l’élargissement de la mondialisation, jusque-là limitée au domaine politique, à l’ensemble de l’économie.

Selon Roy, la “conquête du monde” vue comme “marche vers un modèle commun”[13] s’est déroulée en peu de temps au cours des années 90. La “nouvelle technologie” s’est accompagnée d’une nouvelle productivité et d’une nouvelle économie[14]. Née aux Etats-Unis, la “révolution digitale”  s’est étendue à tous les domaines et au monde entier : “elle ne représente plus l’incarnation du modèle américain, mais bien un bien commun”[15]. Notre conception du monde est “bouleversée” par l’exploration de l’espace[16] et celle de la molécule[17]; “la rigueur numérique” y a ouvert des horizons insoupçonnés.

“L’étape actuelle se caractérise par la dissémination universelle immédiate des acquis, leurs interventions et les travaux d’équipes disséminées à travers le monde, du Japon au Brésil, de l’Union européenne à la Chine, de la Russie à l’Inde”[18] 

En conséquence, les frontières entre les États-nations s’avèrent moins nécessaires ; au contraire, elles apparaissent plutôt obsolètes, comme des barrières qui nuisent à la diffusion du bien-être dans le monde.

 Concrétisations du monde idéalisées

Toutefois, la forte impulsion donnée au rêve de la mondialisation par les technologies nouvelles n’a pas suscité l’adhésion universelle. Son succès reste encore partiel, s’accommodant même de grossières déformations. C’est qu’il a dû faire face à de multiples difficultés d’opération. On s’était rendu compte de ces difficultés bien avant le coup de pouce des TICs, chaque fois qu’on tentait de dégager les forces en présence. Au milieu des années 90, le Club de Lisbonne a résumé ces oppositions dans une matrice à deux axes « le long desquels les futures configurations de l’économie mondiale pourraient se répartir »[19] : un axe horizontal entre localisme / fragmentation d’un côté et mondialisation/intégration de l’autre ; et un axe vertical entre la gouvernance fondée sur le marché d’un côté et la gouvernance réalisée par la coopération de l’autre. Les scénarios qu’il en a dégagés n’ont rien perdu de leur valeur.

Dans la réalité, aucun de ces scénarios ne s’est réalisé à l’état pur. Les tentatives de concrétisation de la mondialisation ont plutôt recomposé à leur façon  les éléments de cette matrice. Ces tentatives ont correspondu chacune à des moments forts de l’histoire récente de l’humanité. On peut distinguer trois moments forts. D’abord  ¬ avant l’avènement des TICs, entre les deux Guerres Mondiales : ils s’agissait alors de “réhumaniser l’humanité”[20]. Puis, ­ après l’avènement des TICs, ce fut la démolition du mur de Berlin en Allemagne et surtout la chute de l’Empire Soviétique. Et enfin ® l’après 11 septembre 2001[21]. Tous ces moments lui ont insufflé une vigueur nouvelle.

Mondialisation politique

La mondialisation a ainsi pris des formes diverses dans le cadre de la diversité des cultures selon les préoccupations du moment. Quant on visait à éviter que le monde ne connaisse à nouveau une guerre aussi dévastatrice que celle qui avait divisé l’Europe à deux reprises au cours du 20ème siècle, les pays se déclaraient disposés à céder une partie de leur souveraineté à un organisme représentant l’ensemble du monde. Déjà après la 1ère Guerre Mondiale, ils avaient misé “sur la “sécurité collective” et sur sa concrétisation institutionnelle, la Société des nations :

“Notre objectif, déclara l’un des principaux dirigeants de la Société, était de rendre la guerre impossible, de la tuer, de l’anéantir. Pour y parvenir, il nous fallait créer un système[22]” Mais le “système” ne fonctionna pas, en partie parce que ses principaux membres n’avaient ni le pouvoir ni la volonté de le faire marcher.”[23].

Un système d’institutions internationales plus étoffé prit la relève après la 2ème Guerre mondiale. Parmi elles, l’ONU (Organisation des Nations Unies) constituait “l’un des legs les plus précieux du XXème siècle à notre temps”[24]

Mais, la carte du monde n’a en rien été modifiée ; au contraire, les frontières existantes entre les nations ont été confirmées. La seule concession se limitait à la reconnaissance de cette institution par les nations constituantes comme tribune de discussion pour la recherche de solutions à leurs désaccords éventuels à propos de ces frontières. Le monde demeurait aussi effrité qu’auparavant.

La création du Fonds Monétaires International et de la Banque Mondiale en 1945 visait à procurer la stabilité à l’économie mondiale, par l’imposition aux pays pauvres d’un ensemble de normes susceptibles de favoriser un meilleur contrôle de leur économie. Ces deux institutions internationales devaient s’employer à éviter que ne se creusent des écarts économiques perturbateurs entre les nations. et à les corriger là où il s’en trouvait. Pour sa part, le GATT (General Agreement on Trade and Tarifs) avait la tâche d’éviter que les tarifs douaniers n’accentuent délibérément l’effet de frontière et constituent des sources de conflits. Ainsi, la première concrétisation du rêve de la mondialisation prenait une coloration nettement politique.  

Maintenant, un demi-siècle plus tard, le contexte international a tellement changé que ces institutions internationales apparaissent obsolètes. Comme l’a écrit le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, “c’est le système multilatéral mis en place après la guerre qui a rendu possibles l’émergence et l’essor d’une nouvelle mondialisation, mais c’est la mondialisation qui, progressivement, a rendu le système caduc”[25].  Cette caducité prend plusieurs formes. Mentionnons le “caractère inéquitable” de ces institutions en raison notamment des privilèges dont jouissent certaines nations, v.g. : 

“La présidence de la Banque mondiale réservée à un Américain, la direction du FMI réservée à un Européen, la présence au Conseil de sécurité des Nations Unies de la France et de la Grande Bretagne, présence qui traduit une réalité internationale issue directement de la période coloniale davantage que les réalités du monde au début du troisième millénaire”[26].  Également, le “caractère sectoriel (de ces institutions) dans un monde global apparaît obsolète, inefficace et peu susceptible de résultats d’ensemble. Ce caractère repose sur une multiplication de structures de financement, de gestion et de décision qui épongent une partie des ressources disponibles et limitent grandement les indispensables interventions convergentes.”[27].

Après 1945, les pays alliés ont donc constitué un ensemble d’organismes internationaux alors jugés capables d’assurer la paix, de relancer l’Europe et de lutter contre le sous-développement des pays colonisés. L’ONU regroupait alors tous les pays, petits et gros ; et à mesure que les anciennes colonies obtenaient leur indépendance, elles sollicitaient l’adhésion à cette institution.  Mais, la guerre froide a suscité une division du monde en deux camps, la puissance capitaliste (essentiellement l’Amérique et l’Europe de l’Ouest) et la puissance socialiste (surtout l’URSS et la Chine). Tout au long de cette période qui s’est prolongée jusqu’à la fin des années 90, les principaux pays du premier monde ont répondu au défi présenté par le socialisme des pays du deuxième monde en augmentant l’offre de services sociaux à leurs populations ; ils sont devenus de véritables États-providence. Peu à peu, la montée des dépenses, les déficits budgétaires à répétition et l’endettement croissant des gouvernements dans les pays du premier monde ont semé l’inquiétude.

Alors que les forces économiques du deuxième monde s’effritaient lentement (surtout en URSS), celles du premier monde s’organisaient sous la bannière des firmes multinationales, surtout américaines : dans une sorte de huis clos, en silence et lentement, le néo-libéralisme prenait forme et gagnait en acceptabilité. Dès les années 80, les Etats-Unis se sont affichés comme d’ardents promoteurs du néo-libéralisme. Enfin, après l’effondrement de l’Empire Soviétique, ils ont démontré ouvertement leur réticence à céder une partie de leur souveraineté à toute institution internationale et à affirmer leur tendance à l’unilatéralisme et à l’hégémonie mondiale.

Depuis l’après-guerre jusqu’à la fin des années 90, ces deux camps se sont aussi disputé l’allégeance des pays d’un troisième camp, constitué de pays qui au début se voulaient neutres, et désigné troisième monde ou Tiers Monde. Cette régionalisation du monde créée par la guerre froide a accaparé tout l’espace des relations internationales L’ONU n’a donc pas eu la chance de donner sa pleine mesure ; elle a été obligée de se replier sur la seule promotion des intérêts des pays de ce Tiers Monde. Mais, son action n’a pas empêché que la compétition entre les deux premiers blocs n’engage  plusieurs pays du troisième bloc dans des projets disproportionnés par rapport à leurs moyens. La plupart d’entre eux, à la fin des années 70 et au début des années 80, se sont enlisés dans un endettement profond. Pour qu’ils puissent s’en sortir, le FMI leur a imposé des “ajustements structurels” fortement imprégnés de néo-libéralisme, qui ne tenaient nullement compte de leurs réalités sociales et culturelles.

Dans les pays riches, “la mondialisation oppose en permanence  l’individu citoyen à l’individu consommateur. Le consommateur surpuissant est flatté sans arrêt tandis que le citoyen se sent de plus en plus réduit à l’impuissance[28]. L’achat “canadien” ou “québécois” a de moins en moins de sens : “les demandes et les droits des citoyens se nourrissent de plus en plus de l’environnement international”. La place qu’occupe la restauration rapide (i.e. le “fast food”) en est un exemple particulièrement éloquent, que l’ouvrage de Schlosser[29] met clairement en évidence. Au contraire, “les dispositifs redistributifs continuent à être organisés sur une base strictement nationale”[30]. `L’écart risque de s’accentuer :

“Il y a donc un risque assez grand de voir s’accentuer cet écart entre une demande sociale structurée sur des bases mondiales et une offre politique qui continuera à s’exprimer sur une base nationale, et cela tant que l’on ne disposera pas d’institutions supranationales ou de mécanises de redistribution supranationaux”[31].  

Le désir de consommation est efficacement nourri par une publicité de plus en plus envahissante, tandis qu’un scepticisme profond ne cesse de s’insinuer dans le politique à tous les niveaux.

Mondialisation économique ou globalisation des marchés

Les promesses de la mondialisation politique n’ont donc été réalisées qu’en partie. Pareillement, l’espoir de voir apparaître un “village global” s’est largement avéré illusoire: 

“…l’on en est venu à assimiler progrès technique et progrès de la communication, au point de parler de “village global” pour ce nouvel espace mondial de l’information. Mais la communication mondiale demeure un leurre. Lentement et sûrement l’écart se creuse entre des techniques toujours plus performantes et la communication humaine et sociale nécessairement plus aléatoire…”[32].

“Il y a eu un consensus sur la notion de village global. On a cru pendant trente ans qu’il allait rapprocher les hommes, parce que les techniques réduisaient les distances géographiques. C’est l’inverse qui s’est produit. C’est parce que le monde est devenu fini, petit, sans possibilité d’en sortir, d’aller plus loin, de s’échapper, que la réalité de la cohabitation s’impose. Tant qu’il y avait de l’ailleurs, même fantasmatique, la question de l’Autre pouvait être repoussée. L’Autre restait un être ethnologique, En cinquante ans, l’Autre est devenu une réalité sociologique. L’Autre, hier lointain, est aujourd’hui un voisin. Il est là à la télévision, dans l’immeuble, ou dans la rue. Il n’y a plus d’ailleurs. Le village global n’est pas une “libération”, c’ est une contrainte. C’est toute la différence entre une approche technique et une approche humaine de la communication. Être proches et visibles les uns des autres oblige à un réel effort de tolérance, puisqu’on ne se ressemble pas. Apprendre à cohabiter est fondamentalement un enjeu politique. Face à un chantier, on a fait le plus facile : disposer d’outils performants, et encore ne sont-ils pas égalitairement répartis dans le monde. Le problème essentiel ensuite, est celui de la cohabitation des hommes et des sociétés.”[33]

Même si elle n’a pris toute son ampleur que tout récemment, la dimension économique de la mondialisation s’est élaborée peu à peu en parallèle avec celle de sa dimension politique. Cameron et Grass Stein reconnaissent trois périodes de sa mise en place : d’abord au tournant du 20ème siècle, une immigration massive, résultant de fortes inégalités, sert de moteur pour atténuer les inégalités ; puis, entre 1930 et 1970, la recherche du bien-être l’emporte sur l’immigration ; et enfin, avec la contestation de “l’aide sociale” en Angleterre et aux Etats-Unis et la fin du dirigisme de l’État dans les pays de l’Europe de l’Est, le libéralisme du marché devient l’orthodoxie régnante[34].  

La remise en question du rôle de l’État ouvrait donc la porte à d’autres initiatives. Depuis déjà un certain temps, divers groupes d’intérêt privé et public, dont le FME (Forum Mondial Économique de Davos) et le G6 (devenu le G8, depuis l’ajout du Canada et de la Chine), avaient entrepris une réflexion à ce sujet.   Après la chute de l’URSS, leur action réussit enfin  à remplacer le GATT par l’OMC en 1994 : ce nouvel organisme devint à la fois une tribune de discussion pour les conflits commerciaux entre pays, de même que le tribunal suprême disposant des pouvoirs nécessaires à leur solution. L’objectif visé est l’éclosion d’un véritable libre-échange de biens et de services à l’échelle mondiale, dont tous les peuples sans exception bénéficieraient. Voilà le sens profond de la mondialisation / globalisation : un commerce auquel aucun bien ou service n’échappe, libre de toute forme de protectionnisme, réel ou apparent, profitable à tous!

Désormais, le marché est roi, et la planète entière sa patinoire, sans bande aucune, sans ligne bleue ou rouge : aucune entrave au commerce international n’est tolérée, qu’elle soit d’ordre social ou environnemental. Biens, capitaux, services (privés et publics), idées, cultures, tout est devenu objet de commerce, tout est “marchandisable”. Le moindre obstacle à leur libre circulation dans le monde est menacé de représailles économiques.

Mais, cette idée de libre-échange globalisateur n’est pas parvenue à remplir ses promesses : une partie importante de l’humanité se sent laissée pour compte :

“Pour une majorité de pays du monde et surtout pour des centaines de millions de personnes, l’intégration économique et les règles de l’OMC équivalent à une calamité collective et à un désastre individuel.

Les désaccords actuels reposent sur des conceptions irréconciliables du développement. Pour certains, celui-ci se réduit à la seule croissance économique et aux retombées bénéfiques annoncées pour toutes les sociétés et, dans chacune d’elles, pour toutes les couches de la société. D’autres y voient “un processus global, économique, social, culturel et politique, qui vise à améliorer sans cesse le bien-être de l’ensemble de la population et de tous les individus, sur la base de leur participation active, libre et significative au développement et au partage équitable des bienfaits qui en découlent” [35]..    

De multiples mesures d’austérité ou “ajustements structurels” leur ont été imposées d’autorité par le FMI, les acculant à un profond endettement, et par le fait même à un accroissement de leur pauvreté. Pour leur part, contrairement à la doctrine qu’ils prêchent, les pays riches, surtout l’Union européenne et les Etats-Unis, continuent de pratiquer impunément diverses formes de protectionnisme qui aggravent le déficit commercial des pays pauvres. Les Etats-Unis affichent même des tendances nettement unilatéralistes[36] qui nuisent au bon fonctionnement de l’appareil de globalisation, au détriment notamment des pays pauvres. Devant ces formes d’obstruction, beaucoup de pays ont entrepris d’organiser leur forme de libre-échange à une échelle plus régionale.

Mondialisation de substitution par les Etats-Unis

L’endossement théorique de la globalisation par les Etats-Unis donne à cette globalisation un caractère d’irréversibilité difficile à surmonter. Les transnationales, dont la plupart sont américaines, étendent leurs tentacules dans la plupart des pays du monde, et imposent la domination du marché avec la protection du gouvernement américain. Leur domination en recherche et développement est telle qu’elle assure aux Etats-Unis une suprématie incontestable au XXème siècle[37].  La dimension économique de la mondialisation se voit ainsi survalorisée par rapport à ses  ses dimensions politique et civile.

Les Etats-Unis ont été le pays qui a le plus “prêché l’évangile de la mondialisation économique”[38]. À l’encontre de leurs positions antérieures en faveur d’une mondialisation politique, la mondialisation désormais défendue se confondait avec la globalisation conçue comme “intégration des économies nationales et des entités corporatives au moyen du commerce et de l’investissement au-delà des frontières à l’échelle de l’ensemble du monde”[39]. C’est que la fin de la Guerre Froide créait une situation toute nouvelle : l’économie de marché l’emportait clairement sur l’économie dirigée, et les Etats-Unis ressortaient comme le pouvoir économique nettement dominant. Même si ces deux réalités étaient distinctes, elles pouvaient s’amalgamer en une seule, les Etats-Unis personnifiant la nouvelle économie.

Ainsi, les Etats-Unis ont pu se substituer à la communauté internationale. Ce faisant, ils ont agi à contre-courant dans cette communauté et se sont exposés à se mettre à dos une bonne partie de cette même communauté internationale. Un auteur récent américain, d’allégeance politique républicaine, lui prête l’étiquette de Nation Voyou (“Rogue Nation”, c’est le titre même de son ouvrage) :

“ America can be like a “rogue wave”, a large swell that, running contrary to the general direction of the waves, takes sailors by surprise and causes unexpected destruction. America is a big and unpredictable nation and has a long history of an alternately generous and uncaring approach to the rest of the world…”[40]

C’est que cette nation qui s’est fait le champion du multilatéralisme au plan international depuis les accords de Bretton Woods en 1947 ne cesse maintenant de poser des actes de façon unilatérale, depuis effondrement de l’Union Soviétique, et surtout depuis les évènements du 11 septembre 2001.

S’ils s’étaient contentés d’une participation à la construction d’un nouvel ordre mondial au début de la période qui a suivi la 2ème Guerre Mondiale,  les autorités américaines ambitionnaient bien davantage au début des années 90 :

(they) thought they would achieve nirvana automatically. They just had to follow Ronald Reagan’s advice and “stay the course”. Fukuyama argued that liberal democracy represents a political end state because it “accords the individual the self-worth he has been seeking throughout history.” A world of like-minded liberal democracies would have little incentive for war because as everyone knew, democracies don`t go to war with each other. They’d rather trade and get rich. A world of such democracies would constitute a stable peaceful order. The top U.S. Priority should thus be to promote the expansion of the realm of democracy, and the question of how to do this was answered with the single intoxicating word “globalization”. This seductive tune was considered so catchy that countries would be willing to adopt quite demanding common rules (Tom Friedman’s “golden straight- jacket”) in order to get rich. Globalization would automatically make countries become more democratic; and in becoming both richer and more democratic, they would become more modern and thereby more dedicated to peace, stability, and the innocent pursuit of happiness”[41].

L’attentat contre les tours du World Trade Center le 9 septembre 2001 a brutalement transformé ce rêve en cauchemar, un cauchemar qui offrait pourtant aux Etats-Unis une occasion unique de se ressaisir et de se réaligner sur le rêve grandiose de l’humanité. On s’est même pris alors à espérer qu’il “rapproche l’Amérique du lot commun de l’humanité, la rende plus sensible aux problèmes des pauvres et des faibles” :

“Le monde fit un rêve : la reconnaissance par toutes les nations, ou presque toutes, de la légitimité du pouvoir des États-Unis allait conduire à l’émergence d’un véritable empire du bien, les dominés planétaires acceptant un pouvoir central, les dominants américains se soumettant à l’idée de justice.”[42].

Mais, ce rêve d’une mondialisation humaine allait vite être déçu. En très peu de temps, des gestes allaient être posés qui accentueraient le clivage entre les Etats-Unis et le reste du monde. Même devenus un empire, les Etats-Unis ne se reconnaissent pas comme un empire[43] ; ne s’étaient-ils pas construits en se révoltant contre un empire?. Mais, depuis le début ils se sont aussi considérés comme une exception à la règle : ce qui explique que tout au long de leur histoire ils ont tenté de construire un monde conforme à leurs intérêts. Dans cette construction, la promotion de la “globalization” a servi d’instrument, “en liaison avec des “coalitions de pays consentants” pour effectuer les changements de régimes jugés dangereux“[44]:

“In this context, globalization is seen as a kind of “soft power” that will induce integration within the empire by dint of others wanting voluntarily to do what we want them to do. It is believed that people will see integration as the way to prosperity, that prosperity will yield liberalization and democratization, and that in turn will lead to permanent peace and stability. This soft power, exerted by American markets, culture and institutions, is seen by the cognoscenti as a kind of secret, unique weapon that, in contrast to the Roman and British examples, will make the American empire a voluntary one that remains largely unacknowledged because it will be based on cooperative arrangements led by the United States and held together by the glue of American soft power….”[45]

Ce scénario tout plein de souplesse et de bienveillance, qui devait susciter une intégration volontaire des autres pays à l’empire américain, apparaît séduisant, si on peut oublier qu’il est animé par les lois du marché. Mais, la croyance naïve que deux pays bénéficiant de restaurants McDonalds n’entreraient jamais en guerre l’un contre l’autre s’est avérée fantaisiste : elle “s’est évaporée avec la répression des Serbes au Kosovo et les enfants-soldats au Sierra-Leone vêtus de chemises arborant les emblèmes de leurs équipes favorites aux États-Unis tout en sectionnant les mains de leurs prisonniers…”[46]     

L’événement qui a probablement constitué le point tournant dans l’attitude des Etats-Unis face au multilatéralisme semble avoir été  l’abolition de la convertibilité entre le dollar américain et l’étalon or dans le système de paiement international mis en place à Bretton Woods après la 2ème Guerre Mondiale.  On avait alors convenu que le dollar américain deviendrait la devise internationale et qu’il resterait  convertible en or à taux fixe. Pour rendre l’accord acceptable aux autres pays, les Etats-Unis avaient aussi pris l’engagement de garder des réserves d’or en quantité suffisante pour assurer le bon fonctionnement de l’économie mondiale. Entre 1947 et 1961, les tarifs ont enregistré une chute de l’ordre de 73% grâce à ce système, et le commerce international a prospéré.

Mais, l’augmentation subséquente du déficit commercial américain a  fragilisé ce bel arrangement. Pour couvrir leurs importations, les Etats-Unis imprimèrent de plus en plus de dollars, et plusieurs pays exportateurs en accumulèrent en abondance. De la sorte, les Etats-Unis, dont le déficit commercial avec les reste du monde se gonflait démesurément, réussissaient à se soustraire  aux onéreux ajustements structurels auxquels le FMI astreignait tout pays qui enregistrait un déficit commercial au plan international. Mais, il leur fut de plus en plus difficile de conserver suffisamment d’or en réserve. Ces réserves finirent par s’épuiser de sorte qu’ils durent se résoudre en 1974 à abandonner la convertibilité du dollar. Dès lors,  le dollar remplaça l’or comme étalon dans le commerce international, sans obligation réciproque de la part des Etats-Unis.

La monnaie des autres pays n’avaient plus qu’à flotter au gré des caprices du dollar américain, et leurs économies se voyaient condamnées à s’ajuster à ceux de l’économie américaine. Comme l’écrit Prestowitz, pour les Etats-Unis, c’était la vraie liberté ; mais pour le reste du monde, c’était l’intégration forcée à l’économie américaine. Ainsi, “la capacité virtuellement illimitée d’imprimer la monnaie mondiale donna à l’Amérique d’immenses avantages dans le façonnement de la globalisation. Par dessus tout, elle permit à l’Amérique de devenir le consommateur mondial de dernier ressort : on pouvait se permettre d’oublier les questions d’épargne et s’adonner à loisir à des déficits continus. …”[47].

Évidemment, cette prise en charge de l’économie mondiale à la place d’une autorité internationale n’aurait pas eu lieu si l’économie américaine n’avait pu profiter en même temps des avantages que lui a toujours procurés la  disponibilité d’une source d’énergie à bon marché, surtout le pétrole obtenu en abondance auprès des pays producteurs : les américains se comportent, selon Petrovitz, comme s’ils avaient un droit acquis à la naissance de toujours pouvoir compter sur une énergie à bon marché, sans avoir à se préoccuper de questions d’économie d’énergie.[48]S’ils “ne peuvent pas changer leurs façons de faire et devenir de bons citoyens du monde, ils courent le risque de ressembler de plus en plus aux voyous qu’ils s’efforcent de discipliner”[49].  

Dans leurs relations extérieures, les Etats-Unis manifestent donc une nette tendance à l’unilatétralisme et à la méfiance à l’égard de toute forme de multilatéralisme[50]. Le gouvernement des Etats-Unis semble ainsi vouloir  imposer au monde son hégémonie, une déformation de la mondialisation politico-économique qui se substitue à celle des Nations-Unis. Cette imposition survient à un moment où les organisations civiles ne jouissent pas encore d’une crédibilité suffisante pour rendre acceptable leur projet d’altermondialisation.

Deux formes de réaction à la mondialisation

a) L’Antimondialisation

Devant les menaces que la forme néolibérale de mondialisation faisait peser ait sur les acquis sociaux et sur l’environnement, beaucoup ont d’abord rejeté la mondialisation elle-même. Une multiplicité d’organismes hétéroclites (écologiques, sociaux, syndicaux, communautaires, étudiants, professionnels…) se sont mis à protester et à manifester. Les manifestations, facilement infiltrées par des manifestants spécialistes du désordre, ont parfois même tourné à la violence. Celles qui ont marqué la récente réunion de l’OMC à Montréal, préparatoire à celle de Cancun, n’ont pas échappé à cette violence. L’atmosphère de quasi-complot dans lequel la mondialisation dominante a été concoctée et sa brusque irruption avec le Thatchérisme et le Reaganisme n’a pas permis la formation d’une opposition mûrie et réfléchie. On a pu assimiler les réactions désordonnées des opposants à “cette “révolution conservatrice” qui s’exprime dans le monde, depuis le début des années 1990” qui ont eu comme conséquence  

“la destruction des anciennes sociétés, phénomène inévitable, nécessaire et libérateur, mais souvent douloureux. Les formations sociales confrontées à la brutalité de ce changement ont eu des réactions plus ou moins violentes, qui sont allées pour certaines, celles qui ont peu ou pas profité de la mondialisation, jusqu’au rejet du modèle démocratique. En prenant de l’ampleur, ces réactions sont devenues une menace, non seulement pour les Etats-Unis et leurs alliés, mais d’abord et avant tout pour les sociétés qui en abritent les propagateurs”.[51] 

Ces premières réactions trahissaient un désarroi certain, savamment exploité par des agitateurs professionnels. Heureusement, l’opposition a par la suite réussi à s’auto discipliner. On s’est aperçu qu’il fallait distinguer entre le fond de la mondialisation, dorénavant devenu incontournable, et la forme de mondialisation qu’on tentait d’imposer au monde. L’idée d’une  mondialisation différente allait prendre forme.  “Une mondialisation de remplacement” est devenue un impératif[52].

b) l’Altermondialisation ou Mondialisation civile :

Mais, si cette altermondialisation reste encore très diffuse, elle “n’a pas à être pensée ni reconstruite à partir de zéro, comme s’il n’y avait rien à récupérer du cadre théorique envisagé au point de départ et des institutions mises en place depuis lors”[53]. Le “dilemme entre l’abolition et la réparation” subsiste, à savoir entre la tentation de se débarrasser des institutions internationales existantes et en créer de nouvelles et l’effort laborieux de réformer celles qui existent déjà. Pour certains auteurs (Chossudovsky, Hellyer, Zigler) le FMI et la BM sont irréformables ; pour d’autres (v.g. Stiglitz, Carfantan), c’est le contraire. Malgré les efforts louables de réforme que fait le Secrétaire Général actuel des Nations-Unies, Kofi Annan, la régénération des institutions risque de se faire attendre, ce qui rend indispensable qu’une alternative assure l’intérim :

“en l’absence d’instances à la fois crédibles et efficaces , de délibération, la solution se trouve du côté de la mise sur pieds d’instances de délibération alternatives, comme l’est le Forum social mondial (FMS), tenu pour la première fois à Portô Alegre, en janvier 2001”[54].

En des réunions parallèles aux rencontres de l’OMC, du FME, du G8,du FMI et de la BM, les groupes d’opposants cherchent des points communs à leurs positions au-delà de leurs divergences et tentent de coordonner leurs efforts. Depuis peu, ils tiennent annuellement des rencontres mieux structurées à Porto Alegre au Brésil, où se poursuit la réflexion en vue de constituer un meilleur contrepoids à la toute-puissance de la globalisation “à l’américaine” et offrir une alternative de citoyens consciencieux et solidaires au marché globalisateur pour qui seuls comptent les consommateurs. D’autres forums internationaux tentent également de préciser quelle forme pourrait prendre cette mondialisation[55]. Comme beaucoup d’autres, Stiglitz préconise une “mondialisation à visage humain”[56]. De plus en plus se précisent les traits d’une “altermondialisation”, une expression spontanée qui définit une création de la société civile internationale.

Tout d’abord, elle est tout le contraire de la confrontation des cultures imaginée par Samuel Huntington, avec en tête une culture conquérante et au-dessous des cultures assujetties. Dès que s’implante la démocratie, les droits de l’homme s’affirment. Mais cette affirmation prend des formes différentes selon les cultures où ces droits se voient reconnus. Ainsi, une révolution dans les rapports entre hommes et femmes est partout en cours, même si elle reste encore inachevée[57]. Dominique Wolton[58] est probablement l’un des premiers chercheurs à avoir tenté de formuler les bases théoriques sur lesquelles l’altermondialisation repose. 

Selon cet auteur, l’erreur commise par la mondialisation économique est d’avoir négligé la cohabitation culturelle. Notre immense capacité à produire et à transmettre l’information nous a aveuglés sur le contenu occidental (américain) de cette information, qui obstrue les filtres des récepteurs chez les membres des autres groupes culturels : les chocs sont nombreux et l’incompréhension ne peut que grandir. La cohabitation culturelle devient dorénavant l’enjeu de la mondialisation recherchée :

“La cohabitation culturelle surgit, comme enjeu scientifique et politique, sur les décombres du mythe du village global, qui a laissé croire que la compréhension entre les hommes et les sociétés augmenterait au fur et à mesure de la multiplication des technologies de communication et des déplacements”[59]

Wolton s’attarde longuement à démontrer que l’Europe “est la première expérience démocratique en temps réel de cohabitation culturelle”[60]. Or, à cet égard, elle jouit “d’une longueur d’avance sur les Etats-Unis”.

Vue sous l’angle de la cohabitation culturelle, l’altermondialisation conduit nécessairement à la démocratie.:

“La démocratie a été successivement politique, puis sociale. Au XXIème siècle, elle sera culturelle au sens où les individus et les collectivités reconnaîtront des multiples identités culturelles et l’obligation de penser leurs relations sur un mode politique, c’est-à-dire sur un mode qui à la fois garantisse les identités et offre le moyen de les transcender…”[61]

Cette démocratie, que Wolton dit culturelle, appelle nécessairement la participation active de tous les groupes concernés :

“La démocratie participative, c’est la démocratie pratiquée à travers les organisations, les associations, les conférences ou les manifestations. Elle ne passe pas par le bulletin de vote, qui est le privilège de la démocratie représentative. C’est une citoyenneté de droits plus que de devoirs”[62].

Dans ce type de démocratie, la revendication ou la défense de ses droits occupe beaucoup de place, surtout si l’on appartient à un groupe minoritaire. Tandis que dans la démocratie représentative telle que nous la connaissons présentement, cette fonction se voit déléguée aux élus gouvernementaux, davantage préoccupés des intérêts de la majorité et de leur réélection.

La mondialisation à venir

Deux évènements ont refroidi la tendance à l’unitarisme des Etats-Unis. Il y a d’abord eu la multiplication des scandales financiers, qui ont fortement ébranlé la crédibilité des géants mondiaux de la finance, et qui a précipité les Etats-Unis et le reste du monde dans une grave récession dont la fin reste encore nébuleuse. Puis, plus récemment, à la suite de l’occupation de l’Irak par l’armée américaine, la montée de l’humiliant harcèlement de cette armée suréquipée par une population irakienne démunie, pour qui l’occupation apparaît comme une invasion plutôt qu’une libération. L’effet boomerang[63] est déjà à l’œuvre.    

1. Ralentissement et intensification

Nous ne sommes évidemment pas encore arrivés à la fin du processus de mondialisation. À l’instigation des Etats-Unis, “la carte du monde se réorganise de façon rapide et spectaculaire”[64]. Mais, selon Alexandre Adler, la mondialisation pourrait  bientôt ralentir sa pression sur cette carte : “”La mondialisation trop rapide et dénoncée comme telle en Europe sera bientôt un souvenir”. C’est que, d’un côté “la politique américaine sera marquée par un moins grand laisser-faire”; et de l’autre, “la volonté d’un désarmement tarifaire généralisé sera modérée par la nécessité de gérer d’importantes contradictions internes”. Ainsi, dans le domaine du protectionnisme, les généreuses intentions de Doha se voient contredites par les décisions américaines, notamment en agriculture, et depuis Cancun l’éventualité de leur concrétisation en décisions pratiques reportée à plus tard.

Mais, d’après ce même auteur, ce ralentissement sera accompagné d’une intensification de la mondialisation : “les flux d’investissements américains” ailleurs dans le monde “vont augmenter et non pas diminuer le degré de mondialisation”.  Adler conclut que

“Bref, nous allons nous acheminer lentement mais sûrement vers davantage de mondialisation, mais une mondialisation encadrée, avec moins de capitaux à court terme et plus de décisions focalisées prises par des sujets économiques, eux-mêmes plus encadrés politiquement. La guerre actuelle accouchera d’une mondialisation bien plus politique”[65].

Cette combinaison d’un ralentissement et d’une intensification de la mondialisation pourrait bien marquer un affaiblissement du rôle des Etats-Unis au profit d’autres intervenants.

2. Recul du rôle des Etats-Unis? 

Contrairement à ce qu’on “nous serine tous les jours”, selon Adler également, les Etats-Unis  ne constituent pas un empire : ils ne sont pas “un pouvoir militaire conquérant, mais tout au contraire, la première démocratie en mesure d’exercer un pouvoir impérial et qui y renonce très largement, parce qu’elle est une démocratie”. Si hégémonie il y a, il s’agit d’une hégémonie d’amateurs. Depuis le 11 septembre 2001, “l’Amérique… a compris que si la domination mondiale ne lui était pas destinée, il lui fallait en revanche veiller à la sécurité de ses habitants et de ses alliés” [66]. À cet égard, la guerre qu’elle mène au Moyen-Orient est “la première guerre de nature totalement non idéologique… une guerre pragmatique, dépourvue de tout messianisme démocratique”[67]. Pourtant, l’implantation de la démocratie reste la seule justification valable de l’intervention récente des Etats-Unis en Iraq. Adler a clairement une haute idée de la grandeur d’âme américaine. Ce qui l’amène à prendre  position contre l’idée de “rêve brisé”[68] ou de “désarroi de la planète”[69], tels que présentes chez d’autres auteurs comme Emmanuel Todd.

Ce dernier fait de l’hégémonie américaine une réalité indéniable, comme en témoigne le titre de son livre[70], tout en présentant les Etats-Unis comme une “superpuissance économiquement dépendante mais politiquement inutile”[71]. Todd affirme qu’ un “changement de perception” est apparu dans la communauté internationale face à la réémergence de la “tendance à l’unilatéralisme” des États-Unis tout au long de l’année 2002 : “l’image d’une Amérique narcissique, agitée et agressive a remplacé en quelques mois, celle de la nation blessée, sympathique et indispensable à notre équilibre”[72].  Et l’évocation de l’importance de la démocratie pour ce pays ne constitue pas une objection de poids : “la crise des démocraties avancées, de plus en plus visible, de plus en plus préoccupante, surtout en Amérique, ne nous permet plus de considérer les États-Unis comme pacifiques par nature… La démocratie progresse là où elle était faible, mais régresse là où elle était forte”[73].

En bref, là où Adler voit de la grandeur d’âme,  Todd voit  une manifestation de petitesse d’esprit. Tour en reconnaissant que la suprématie des Etats-Unis a effectivement supplanté celle de la vieille Europe, Kagan préfère pour sa part inviter les Américains à s’adapter à l’hégémonie en faisant montre de plus de “générosité” :

“…les Américains sont assez puissants pour ne pas craindre les Européens, même quand ils offrent des cadeaux. Au lieu de voir les Etats-Unis comme un Gulliver retenu par les fils des Lilliputiens, les dirigeants américains devraient comprendre qu’ils ne subissent aucune contrainte, que l’Europe n’est pas vraiment en mesure d’imposer quoi que ce soit aux Etats-Unis. Si elle parvenait à dépasser l’angoisse engendrée par cette impression inexacte de contrainte, l’Amérique pourrait commencer à montrer plus de compréhension pour la sensibilité d’autrui, un peu plus de cette générosité d’esprit qui caractérisa sa politique étrangère au temps de la guerre froide. Elle pourrait manifester plus de respect pour le multilatéralisme et pour l’autorité de la loi, et tenter de se constituer un capital politique pour les moments où le multilatéralisme est impossible et l’action unilatérale inévitable. Bref, elle pourrait s’attacher davantage à témoigner ce que les Pères fondateurs du pays appelaient un “juste respect pour l’opinion d’autrui”. Cette politique fut toujours la plus avisée, et les Etats-Unis ont sans aucun doute tout à gagner à la pratiquer : mieux vaut, à coup sûr, obtenir le soutien matériel et moral des amis et des alliés, surtout en Europe, qu’agir seuls face à l’inquiétude et à l’hostilité du vieux continent”[74].

Pour sa part, l’ouvrage récent de Clyde Prestowitz[75] qui se penche sur l’image que projettent actuellement les Etats-Unis à l’étranger présente un dossier particulièrement bien étoffé de la longue série des actes d’unilatéralisme posés par ce pays à l’encontre des positions prises par la grande majorité des autres pays. La perte de crédibilité est quasi-universelle, et l’appel à une plus grande sensibilité à l’égard des positions des autres pays ne manque pas d’être émouvant. Sans doute, les déceptions présentement éprouvées par les Américains à la suite de la résistance des Irakiens à l’occupation de leur pays pourraient-elles contribuer à susciter un adoucissement de l’arrogance qui a présidé à leur action unilatérale, qui constituerait un prélude à la reconnaissance de la nécessité d’un minimum de multilatéralisme!

3. Résistance d’un nombre grandissant de pays

Tout en dénonçant les erreurs d’aiguillage du FMI, Stiglitz précisait que

“…les pays pour lesquels elle (la mondialisation ) a été le plus profitable ont été ceux qui ont pris eux-mêmes leur destin en main et ont compris le rôle que peut jouer l’État dans le développement : ils ne s’en sont pas remis à l’idée d’un marché autorégulateur qui résoudrait seul les problèmes qu’il crée.”[76]

Bien plus, il rapportait ici et là dans son livre des exemples de pays pauvres qui ont amélioré les conditions de vie de leurs populations en refusant de se plier aux conditions du FMI, plus précisément la Chine et la Pologne[77] …. Depuis la parution de l’ouvrage de Stiglitz, d’autres pays se sont ajoutés à cette liste, notamment l’Ouganda[78], l’Argentine[79]… Certains pays ont même élu des gouvernements fortement compromis à lutter contre la faim et la pauvreté (Brésil[80]), à effectuer des réformes en profondeur pour un meilleur partage des ressources naturelles (Vénézuéla[81]), à pratiquer une utilisation des ressources naturelles pour le bien-être de la majorité (Bolivie[82])…

4. D’abord les grands ensembles, Modèle de blocs régionaux

Mais, pour ce qui a trait à l’avenir, les prévisions de Todd s’accordent avec celles d’Adler, dans la mesure où

“le monde qui se crée ne sera pas un empire contrôlé par une seule puissance. Il s’agira d’un système complexe, dans lequel s’équilibreront un ensemble de nations ou de méta-nations, d’échelles équivalentes, même si elles ne sont pas à proprement parler égales…”[83]. 

Un “néoprotectionnisme” se mettra en place sur la base de ces grandes régions ou méta-nations[84]. Parallèlement, selon Adler,

“pour la première fois dans l’histoire, la mondialisation fait émerger la réalité de “grandes régions”. La première mondialisation, celle du XIXème siècle, était encore à géométrie plane…. À présent, avec la mondialisation, les régions s’organisent… Bref, après la Cité-État et l’État-Nation, nous voiçi dans la troisième étape de la réunion de l’humanité : les grands ensembles régionaux. Ceux-ci laissent à la périphérie de petites Cités-États et de petits États-Nations, les restes de l’ancienne société. …”[85]  

Pourtant, la “conquête du monde” réussie par le modèle que présentent les Etats-Unis, dans lequel les États sont mobilisés par le gouvernement Fédéral pour œuvrer d’un commun accord, sert d’inspiration à la mondialisation actuelle[86]. Selon Roy, la “révolution digitale” ouvre la porte à un “modèle commun” pour la planête entière. La super-puissance américaine serait alors appelée à régner sans contrepoids véritable  aux plans militaire et scientifique[87].

Cette américanisation du monde ne convient évidemment pas à l’Europe en construction.  L’Union Européenne veut offrir une alternative viable :

“… comme le souligne le commissaire de l’UE Chris Patten, “l’intégration européenne montre que le compromis et la réconciliation sont possibles après des siècles de préjugés, de guerres et de souffrance”.  La transmission du miracle européen au reste du monde est devenue la nouvelle mission civilisatrice du vieux continent. De même que les Américains ont toujours été persuadés d’avoir découvert le secret du bonheur et ont voulu l’exporter au reste du monde, de même les Européens se voient aujourd’hui investis d’une nouvelle mission née de leur propre découverte de la paix éternelle”[88].

La puissance antérieure de l’Europe insuffle à sa présente faiblesse un fort dynamisme, inspiré des stratégies abandonnées par les Etats-Unis, mais aussi animé par une idéologie qui creuse le fossé entre elle et les États-Unis[89]. Voilà pourquoi elle relève présentement le défi de la “continentalisation”[90]. Il ne s’agit pas de mettre en place un super État à l’américaine. “Cette communauté solidaire a vocation de rassembler des États-nations et non à se substituer à elles”[91]. Ainsi, tout en considérant l’anglais comme langue commune, elle reconnaît pas moins de quinze langues officielles, et s’apprête même à en ajouter cinq autres[92], La “souveraineté commune” résulte donc des concessions consenties par les États membres. Pour réaliser son rêve de contrepoids à la puissance américaine l’Europe a besoin de se doter d’institutions politiques fortes[93]. Ce qui ne l’empêche pas de considérer son expérience, même si elle reste inachevée, comme un modèle plus approprié pour la mondialisation. 

Pour sa part, l’Asie trouve prétentieux le “statut de supériorité morale autoproclamée à partir duquel (l’Ouest) interpelle le monde” [94]. Pour “mettre fin à la domination occidentale sur la planète”, la Chine veut tirer partie des “avantages comparatifs” dont elle jouit. Un embryon de coopération entre certains peuples d’Asie existe déjà dans le cadre de l’APEC (Organisation de Coopération Asie Pacifique) et de l’ASEAN (Association des Nations de l’Asie du Sud Est) ; plus prometteuse est la zone de libre-échange que la Chine cherche à former avec les dix pays membres de l’ASEAN[95]. Une communauté asiatique calquée sur le modèle européen, c’est-à-dire “l’émergence graduelle d’un troisième bloc dans la configuration mondiale”, n’est donc plus une utopie :

“Ce bloc asiatique serait le plus actif après l’Europe et disposerait de mécanismes plus complets et plus diversifiés que l’ALÉNA : mécanisme monétaire régional et mécanisme de surveillance régionale pour prévenir et intervenir en cas de crises ; ententes commerciales multilatérales au plan régional et rapprochement avec la FTA regroupant l’Australie et la Nouvelle-Zélande”[96]  

Pour le moment, l’Inde s’abstient de participer à ce groupement ; depuis Seattle et Doha, elle est “installée dans une position de “minorité de blocage” là où la Chine donne l’impression de participer sans état d’âme à la consolidation de la nouvelle ère globale”[97].

5. Les droits de la personne et la force exécutoire de l’ONU[98]

Ce monde fragmenté en blocs régionaux peut difficilement déboucher sur une mondialisation équitable sans être chapeauté par des institutions internationales réformées, dotées de pouvoirs suffisants pour faire valoir les droits de tous les peuples et tous les individus.

Dans l’état actuel des choses, la “valeur marchande” des droits de la personne reconnus par les Nations-Unies n’est pas contrebalancée par un organisme qui dispose du pouvoir d’exécution comparable à celui dont dispose la “valeur marchande” des produits et des services dans l’OMC. La proposition de doter les Nations-Unies d’un Conseil de sécurité économique et social, telle que discutée par Mireille Delmas-Marty[99] et Stéphane Hessel[100], tombe à point : ce Conseil se substituerait aux agences spécialisées de l’ONU. Pour le moment, les défenseurs du libéralisme tel qu’il s’impose dans le Consensus de Washington sont seuls à jouir de la “capacité de négociation et de coercition”. Le conseil proposé

“aurait la même capacité de décision que le Conseil de sécurité actuel. Cet organe serait comme un G8 élargi regroupant les grands pays du Nord et du Sud, ainsi que les pays ayant la population la plus nombreuse. Il serait accompagné d’un secrétariat général qui fonctionnerait comme un procureur signalant les décalages entre les promesses et les actes. Son rôle serait d’inciter enfin au respect des normes fixées et de veiller à l’application des programmes d’action”[101].

Les institutions qui ne relèvent pas de l’ONU comme l’OMC, la BM et le FMI, devront évoluer pour “contribuer à la maîtrise de la globalisation” et devenir “des leviers efficaces de la croissance et du développement pour tous”[102]. La mise en place de la Cour pénale internationale (CPI) démontre la capacité de la communauté internationale de se doter d’institutions disposant d’un pouvoir de coercition à l’échelle mondiale. Elle constitue un bon commencement, malgré le refus de certains États d’y participer.

6. La communauté mondiale

La conférence de l’OMC tenue à Montréal en juillet dernier a été reconnue comme l’amorce du “passage” de la mondialisation à la communauté mondiale  :

“Faire cohabiter l’économie de marché et un régime de reconnaissance des droits sociaux au sein d’une politique mondiale commune constitue le premier défi de ce temps  L’antidote aussi à l’incivilité, aux conflits, à la violence et au terrorisme conduisant à une fragmentation explosive du monde”[103]

Ce que Roy appelle “la capacité de l’humanité à se penser comme un ensemble”[104] crée une mentalité qui cimente la communauté mondiale. Présentement, les membres des États-nations continuent de se réclamer de ces États ; à l’avenir, plus la véritable mondialisation parviendra à s’imposer, plus ils se considéreront comme citoyens du monde.

7. Le défi fondamental, ou la principale pierre d’achoppement

Dans la globalité persiste une déchirante fracture[105]. Si la mondialisation a amélioré les conditions de vie d’une partie importante des populations dans les pays riches, elle a également aggravé la pauvreté d’une autre partie aussi considérable de l’humanité, concentrée principalement dans les pays dits du Tiers Monde. La persistance de cette fracture, malgré l’immense potentiel que recèle la mondialisation, résulte d’une conception trop étroite du libéralisme tel qu’implanté jusqu’à maintenant.    

Face aux pays riches, et surtout face aux géants que sont les Etats-Unis et l’Union européenne, des doutes sérieux peuvent continuer à subsister. L’OMC est vraisemblablement l’institution qui se prête le plus à la contestation. Depuis leur succès à la conférence de Seattle en 1999, les contestataires se sentent en position de force. La conférence de Montréal en juillet 2003 n’a pas échappé à cette opposition[106]. Même si beaucoup de gens doutent de l’utilité de ce genre de conférence, certains trouvent que celle de Montréal a été utile[107]. Ce qui n’exempte personne d’être vigilant. À cet égard, le travail de sensibilisation que mène José Hové en France garde toute sa pertinence[108]. La mobilisation commence déjà à porter fruit puisque, malgré l’échec de Cancun, des pressions se font présentement pour que les pourparlers entre les peuples reprennent, de façon à ce que se poursuive la ronde de Doha. Si la conciliation entre les intérêts des Américains et ceux des Européens paraît difficile, celle de parvenir à une position commune à l’intérieur du G21, en gros entre les pays pauvres eux-mêmes, pourrait s’avérer insurmontable[109].

De plus, la thèse du tout marchandisable, défendue avec ardeur par les tenants du néolibéralisme, commence à avoir du plomb dans l’aile. La “mégapanne” d’électricité survenue le 15 août dernier dans une grande partie de l’Amérique du Nord résulte largement de la déréglementation, imposée dans un cadre de politiques néolibérales aux Etats-Unis et en Ontario : cette déréglementation a suscité un grave sous investissement dans l’infrastructure de la transmission de l’énergie électrique par les  propriétaires de ces infrastructures. La ratée du système a été monumentale, puisqu’elle a affecté plus de 50 millions de personnes. Dans ce cas-ci, le privé n’a pas donné les résultats attendus : la concurrence n’a pas conduit à l’efficacité nécessaire pour répondre à la demande. Au contraire, une compagnie d’État, qui a le monopole de la production et de la transmission de l’électricité au Québec a complètement échappé à ces avatars.

De plus, le système de santé aux Etats-Unis tombe lui aussi sous le coup de la critique[110].  Dans le prestigieux Journal of the American Medical Association,  plus de 8000 médecins dénoncent l’incapacité du privé à assurer une couverture à tous les américains :

“Nous avons eu 80 ans pour essayer de faire fonctionner le système privé et, malgré ça, il n’y a jamais eu autant de personnes sans couverture médicale de toute l’histoire des Etats-Unis, même depuis la création dans les années 60 du Medicaid et du Medicare…”

L’empire pharmaceutique, lui aussi largement américain, se voit aujourd’hui sérieusement remis en question[111]. Il règne sur “des marchés ultra-lucratifs et ultra-protégés”. Il s’agit là d’un exemple particulièrement odieux de protectionnisme qui brouille sérieusement la faveur dont jouit le libre-échange dans le monde néolibéral des Etats-Unis.      

Conclusion : la mondialisation dans sa globalité

Fondamentalement, l’inquiétude à l’égard de la mondialisation ne peut se dissoudre que par l’avènement d’une mondialisation équilibrée, où seront intégrés le politique, l’économique, l’écologique, le social et le culturel. La mondialisation dont rêvent les être humains repose sur cet équilibre. Or, telle qu’elle est pratiquée présentement, elle affiche de grossières distorsions. Principalement, elle  accentue démesurément l’importance du marché et elle sous-estime les apports indispensables du social et du culturel qui relèvent normalement de  l’État. À l’échelle mondiale, la reconstitution, le maintien et la gestion de cet équilibre ne peuvent être assurés que par des institutions internationales fortes, capables d’atténuer ou même de corriger, les distorsions créées par le marché dans la mesure où elles échappent à la compétence de l’État, distorsions entre pays riches et pays pauvres, distorsions à l’intérieur des pays eux-mêmes entre riches et pauvres, distorsions entre petits et grands groupes culturels (cohabitation culturelle), distorsions entre environnements protégés et menacés, etc… 

Dans la mesure où “elle fabrique de la proximité” et “sécrète symétriquement et parfois violemment de la différence et de la distance”, la mondialisation crée de la “tension entre soi et l’autre, entre l’ici et l’ailleurs, entre le Hors et le Là”. Elle constitue une invitation à “une redéfinition identitaire des frontières de soi”[112]. Parce qu’elle “avance plus vite que la réflexion sur les mutations qui en résultent”[113], elle ébranle brusquement notre rapport à l’altérité, Ces observations, respectivement de Zaiki Laidi et de Domique Wolton, s’accordent pour identifier un malaise profond dans la mondialisation actuelle. Le ralentissement dans son implantation annoncé par Adler s’impose donc de lui-même pour tenter de remédier à ce malaise.

BIBLIOGRAPHE

Ouvrages

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Annexe A

La culture selon Wolton (2003)

 La “culture au sens large” … “ revêt de multiples significations, et n’a pas le même sens selon les pays”, parce qu’elle comporte trois phénomènes :
-“un élargissement du patrimoine commun…”. Ce qui émerge présentement n’est pas une culture mondiale, mais un patrimoine culturel mondial. La mondialisation des informations crée “une sorte de “mosaïque” d’expériences culturelles communes”[114].
­  “une culture moyenne  comme acquis de la démocratie de masse…”. “Les “différentes formes de la mondialisation ne sont pas affectées de la même manière par la mondialisation de la communication”. La culture “la plus aisément mondialisée” est celle de l’élite. Pour sa part, “la culture de masse, liée à la démocratisation et aux medias fait aussi assez bon ménage avec la mondialisation”[115].
- “un bouleversement des identités culturelles, des cadres d’interprétation et des repères…”. “…les cultures s’exportent, bougent, ne sont pas seulement liées à des histoires et à des territoires…” “en un demi-siècle beaucoup de fragments de culture appartenant à différentes identités nationales ont circulé, dépassé leurs frontières et touché tous les milieux sociaux”. Wolton qualifie cette dimension de la mondialisation de la communication de “mini-métissage”[116].

Annexe B

La Conférence de l’OMC à Montréal

- Le déroulement de cette conférence qui a eu lieu en juillet 2003 a été saisi par les manchettes du Devoir :   28/08/03 : “Toutes oppositions confondues. Plus de 1500 personnes manifestent pacifiquement contre
le mini-sommet de l’OMC qui s’ouvre à Montréal”, par Geneviève Otis-Dionne, p. 1.
- Dernière chance? Un dernier sprint avant Cancun”, par Alec Castonguay, p. 1 et 2.
- 29/08/03 : “La police vide la rue. La manifestation contre l’OMC se solde par l’arrestation en bloc de 200 personnes”, par Bryan Myles, p. A1 et A8.
- “Les ONG appellent les ministres à tenir compte des pays pauvres”, par Geneviève Otis-Dionne, lp. A3
- “Aux riches de presser le pas, Le directeur général de l’O(MC contredit Pierre Pettigrew”, par Éric Desrosiers, p. B1 et B4.
- ”Qui négocie quoi et au nom de qui?, La Mini-ministérielle de l’OMC à Montréal”, par Dorval Brunelle et Normand Pépin, p. A7[117].
- 30/08/03 : “Les fermiers américains verrouillent l’OMC. Représentés à Montréal, ils s’opposent à toute contraction des subventions agricoles/, par Alec Castonguay, p. A1 et A8.
- “L’impossible entente”,  éditorial de Jean-Robert Sansfaçon, p. A6[118].
- “Les pays pauvres sont au coton. L’exemple du coton montre combien les politiques de subventions agricoles dans les pays riches peuvent avoir de graves conséquences dans les pays pauvres”, par Alec Castonguay, p. A3.
- “Des manifestations refroidies. L’opération policière de la veille semble avoir calmé considérablement l’ardeur des manifestants antimondialisation”, par Brian Myles, p. A3.
- L’Organisation mondiale du commerce : au service de qui? Les manifestations citoyennes en cours rappellent avec raison qu’il faut remettre sévèrement en question le mythe des bienfaits infinis du libre-échange”, par Abdurahman Ahmed, Lorraine Guay et Robert Jasmin, p. A7.
- 31/08/03 : “Washington se dit prêt à réduire les subventions agricoles. “Il reste beaucoup de travail à faire et peu de temps pour le faire”,  estime Pettigrew”, par Alec Castonguay, p. A1 et A8.[119],
- “Le mini-sommet se termine dans le calme. Militants et policiers font un bilan positif”, par Geneviève Otis-Dionne, p. A3.
- “Les pays pauvres font les frais de l’antagonisme américano-européen.  Oxfam-Québec fait son bilan” par Rollande Parent, p. A3.
Dans une rétrospective de cette dernière conférence, le même quotidien concluait piteusement que “mieux vaut un bon accord qu’un accord  rapide”:
- 2-3/08/03 : Doha entre le Nord et le Sud. Le cycle de négociations commerciales en cours connaît des ratés, par Alec Castonguay, p. B1 et B2.

[1] Baricco, 2002, p. 69.
[2] Adler, 2002, p. 229.
[3] Cameron et Grass Stein, 2003, p. 10.
[4] Cf. p. 3.
[5] Baricco, 2002, p. 88.
[6] Idem, p. 88-89.
[7] Ibidem.
[8] Cf Annexe A.
[9] Wolton, 2003, p. 49.
[10] Idem, p. 48.
[11] Idem, p. 11-12. L’idée de « troisième » mondialisation est centrale à cet ouvrage : v.g. p. 151.
[12] Roy, Jean-Louis, 2003, p. 68.
[13] Idem, p.45.
[14]Idem, p.46.
[15]Idem, p. 56. .
[16]Idem, Ch. !!!, pp.59-83.
[17] Idem, Ch. IV, pp. 85-123.
[18] Roy, 2003, p. 66.
[19] Club de Lisbonne, 1995, p. 145 ss..
[20] Wolton, 2003, p. 171.
[21] Todd, 2002, pl. 13.
[22] Cité dans Kagan, 2003, p. 25..
[23] Kagan, Ibidem.
[24] Roy, 2003, p. 190.
[25] Cité dans Roy, 2003, p. 191.
[26]Idem, p. 193.
[27]Ibidem.
[28]Laidi, Zaki, 2002, p. 26.
[29]Schlosser, Eric, 2003.
[30]Laidi, Zaki, p. 27.
[31]Ibidem.
[32]Wolton, 2003, p. 17.
[33]Wolton, 2003, p. 140.
[34] Caméron et Grass Stein,. 2003, p. 14-15..
[35] Roy, Le Devoir, 28 juillet 2003, section « Idées ». N.B. Le texte en italique est une déclaration de l’ONU.
[36] Cf. Prestowitz, 2003.
[37] Roy, 2003, pp. 59-123.
[38] Expression de Clyde Prestowitz, The Rogue Nation, 2003, p. 2é
[39] Idem, p. 52.
[40]Idem, p. 6.
[41]Prestowitz, Clyde, 2003, p. 228.
[42] Todd, 2002, p. 13.
[43] Le chapitre 3 de l’ouvrage de Prestowitz s’intitule « The Unacknowledged Empire », pp. 19-49. Dobbin (2003, p. 14) écrit « que les Américains s s’irritaient d’être considérés comme un « empire ».
[44]Idem, p. 41.
[45]Ibidem.
[46]Idem, p. 43.
[47] Prestowitz, 2003, pp.72-73.
[48] Le chapitre 4 de l’ouvrage de Prestowitz s’intitule « Rouler à vide », c’est-à-dire « toujours pouvoir remplir son réservoir d’automobile avec une essence importée à bon marché »..
[49] Idem, p.109.
[50] Kagan, Robert, 2003 : cet auteur explique cette tendance par la puissance militaire de ce pays.
[51] Adler, Alexandre, 2002, p. 70.
[52] Brunelle, 2003, p. 179.
[53] Brunelle, 2003, p. 179.
[54] Brunelle, 2003, p. 187.
[55] Barret-Ducrocq, Françoise, Dir., Quelle Mondialisation?, Forum International Quelle Mondialisation?, Grande-Halle de la Villette, Bernard Grasset, Paris, 2002, 336 pages.
[56] Stiglitz, 2002, p.315 ss.
[57] Dossier « Hommes-Femmes, le remue-ménage mondial », dans Alternatives Internationales,  No. 09, juillet-août 2003, pp. 26-41.
[58] Wolton, Dominique, 2003, 206 pages.
[59]Idem, p. 84.
[60]Idem, p. 157-197.
[61]Idem, p.69-70.
[62] Laidi, Zaki, 2002, pl. 27.
[63] cf. Truffaut, Serge, L’effet Boomerang, éditorial, Le Devoir, 19/20 juillet 2003, p. B4.
[64]Idem, p. 307.
[65]Adler, 2002, p. 330.
[66]Idem, p. 305.
[67]Idem, p. 79.
[68]Todd, 2002, p.13.
[69]Idem, p. 26.
[70] Todd, Après l’Empire…, 2002.
[71] Idem, p. 26.
[72]Idem, p. 14.
[73]Todd, 2002, p. 26-27..
[74]Kagan, 2003, p.158-159.
[75]Prestowitz, 2003, 284 pages.
[76]Stiglitz, 2002, p. 317.
[77]Idem,  p.237-246..
[78] Uganda Benefits From Dfying World Bank», dans The CCPA Monitor, Vol 10, No 3, July/August 2003, p.6.
[79]Martin, Mike, Workers in Argentina Successfully Running Occupied Factories,  dans CCPA Monitor, Vol.10, No 3, July/August 2003, p. 23.
[80] Corten, André, Où le pilote conduit-il le paquebot Brésil, dans Le Devoir, 16 juillet, p. A7.
[81]Ismi, Asad, U.S. Fails (Twice) to Overthrow Venezuela’s Elected President; Chavez’s Social Reforms Vastly Improve Conditions for the Poor ; Venezuela Sets Example for Third World in Opposing Neoliberalism , dans The CCPA Monitor, Vol.10, No 3, July/August 2003, p.14-16.
[82] Villarreal (Frida). Seifert (Ana Maria), et Paniagua ( Roxana), Une population qui ne veut plus faire de cadeaux. Pour les Boliviens, le projet d’exportation de gaz est devenu le symbole de lutte contre une situation d’exploitation qui n’a pas cessé de s’accroître », dans Le Devoir, 17 octobre 2003, p. A9.
[83] Todd, 2002,  p. 226.
[84] Idem, p. 227.
[85] Adler, 2002, p. 229-230.
[86] Roy, Jean-Louis, 2003, 45-57.
[87]Idem, pp. 61-123.
[88]Kagan, 2003, p. 97-98.
[89]Kagan, Robert, 2003, p. 21..
[90] Idem, pp. 125-153.
[91] Idem, p. 140.
[92] Le Soleil, 8 août 2003…
[93] Idem, p. 143.
[94] Idem, pp. 155-174.
[95] Roy, Jean-Louis, 2003, p. 170.
[96] Idem, p.171.
[97] Idem, p. 173.
[98] Delmas,-Marty, Mireille, 2003, p. 4-5 ; cf. aussi Roy, 2003, p. 195..
[99]Idem.
[100]Hessel, Stéphane, 2003, p. 4.
[101]Hessel, 2003, p. 4.
[102] Roy, HMH, 2003, p. 196.
[103] Roy, Le Soleil, 2 août 2003, p. D5.
[104]Roy, HMH, 2003,  p. 190.
[105]Idem, pp. 175-190.
[106] Cf. Annexe B.
[107] Roy, Jean-Louis, Le Soleil, 02/08/03, p. D-5.
[108] Agence France-Presse, « Bové lance la première salve contre le sommet de Cancun », dans Le Devoir, 9-10/08/03, p. A5 ; « « Larzac 2003 » : un rassemblement d’espoir et de solidarité », 11/08/03, p. A4.
[109] Claire De Oliveira, « Brésil, Lula est pris entre les paysans sans terre et les propriétaires », dans Le Devoir, 13 août 2003..
[110] Alec Castonguay, « l’hospitalisation, cause première des faillites aux États-Unis. Un groupe de 8000 médecins américains réclame la création d’un système de santé universel et gratuit », dans Le Devoir, 18 août 2003, p. A1 et A8. 
[111] Fabien Déglise, « L’entrevue. Le déclin de l’empire pharmaceutique. L’auteur Philippe Pignarre trace le portait d’une industrie qui s’accroche », dans Le Devoir, 18 août 2003, p. A1 et A8.
[112]Laidi, Zaiki, 2002, p. 15.
[113]Wolton, 2003, p. 16.
[114]Idem, p. 47.
[115]Ibidem.
[116]Idem, p. 49.
[117] Dans Le Soleil, la même journée, Gerry Barr et Mohammed Chikhaoui se demandaient « Pour qui la mini-ministérielle de Montréal? » ((30/07/03, p. A-15).
[118] Dans Le Soleil , l’éditorial de la veille (29/07/03, p. A-11), sous la plume de Jean-Marc Salvet, titrait « Sortir de la jungle »
[119] Hélène Baril, dans Le Soleil »  de la veille (30/08/03 : « Petit espoir de déblocage. La question agricole semble faire des progrès », p. A2.) abondait dans le même sens.