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Pierre-Claude Aitcin

LE PONT CHAMPLAIN : L’ANCIEN ET LE NOUVEAU.

« LE PONT CHAMPLAIN : L’ANCIEN ET LE NOUVEAU. »

Une présentation faite à l’APPRUS, le mercredi, 9 novembre 2016, par

Pierre-Claude Aïtcin

Le Pont Champlain actuel (3,4 km)

La construction du Pont Champlain  a commencé en 1955, il a été ouvert à la circulation le 28 juin 1962. Il comporte deux types de structures : une structure métallique traditionnelle au-dessus de la voie maritime du St-Laurent et une structure en béton pré et post contraint de chaque côté de la structure métallique. C’est le pont le plus achalandé au Canada (150 000 véhicules par jour).

La structure en béton était à l’époque une des premières structures en béton pré et post contraint en Amérique du Nord. Cette structure a été bien conçue et bien calculée à deux détails près : l’évacuation des sels de déverglaçage utilisés l’hiver pour offrir une surface de roulement non glacée et sa démolition.

La partie métallique du Pont qui enjambe la Voie maritime

Il s’agit d’une structure en acier, lourde, inélégante, tout à fait classique des ponts construits par les ingénieurs à la fin du 19ième siècle et du début du 20ième siècle. (Vieux pont de Québec, Pont Victoria, Pont Jacques-Cartier, Pont Mercier etc…). Ces ponts sont solides, mais 90% de l’acier qu’ils comportent servent à soutenir le 10% d’acier qui permet aux véhicules de les traverser et il faut les repeindre continuellement.

Au Québec, ces ponts présentent un autre inconvénient au niveau de la surface de roulement en asphalte lorsqu’ils ont une pente comme dans le cas du Pont Champlain dans son approche depuis Brossard. Vu le très grand écart de température subi par le revêtement bitumineux entre l’hiver (-500C) et l’été (+500C) il est très difficile, voire même impossible, de choisir un bitume qui puisse couvrir de façon satisfaisante un tel écart de température. Si l’on choisit un bitume qui conserve une certaine souplesse l’hiver, il a tendance à fondre en été; par contre, si on choisit un de bitume assez ferme l’été, il est cassant comme du verre au plus froid de l’hiver. Il faut donc faire des compromis sur la nature du bitume et sur le mode d’ancrage de cette couche de béton bitumineux sur le tablier en acier.

Cette partie du pont est encore en bon état, structuralement parlant, mais elle commence à être fatiguée suite à l’augmentation continuelle des charges des camions. Sa démolition ne devrait causer aucun problème majeur; elle devra être faite l’hiver quand la Voie Maritime du St Laurent est fermée. Il suffira de mettre en œuvre, à  l’envers, sa technique d’érection qui est bien documentée. L’acier du pont sera recyclé.

La partie en béton du Pont Champlain actuel

Le pont présente 50 travées situées des deux côtés de la structure métallique. Chaque travée est une structure complexe constituée de 7 poutres préfabriquées en béton post-contraint qui reposent sur des chevêtres. Ces poutres sont reliées les unes aux autres par un tablier précontraint et par des diaphragmes, si bien que quand un camion ou un autobus passe sur une voie, sa charge se répartit sur les 6 autres travées du pont avec plus ou moins d’intensité selon la distance de cette voie par rapport à celle ou passe le camion. Ce type de construction est assez unique en Amérique du Nord.

Le Pont Champlain actuel présente un grave défaut de conception soit une très mauvaise évacuation des eaux chargées de sel de déverglaçage l’hiver, qui a été aggravé par un manque flagrant d’entretien, malgré les cris d’alarme répétés du bureau de Montréal de la Société des Ponts Jacques Cartier et Champlain auprès du Ministère des Transports fédéral puisque le pont appartient au Gouvernement  fédéral. Ces deux causes ont entraîné sa ruine prématurée : 100 poutres de rive sont dans un état de dégradation plus ou moins avancé, alors que les 250 autres poutres qui se trouvent sous le pont sont, en général, en assez bon état.

Le problème de sel et de sable de déverglaçage

A la base des deux parapets de chaque côté du pont il existe bien un certain nombre d’orifices d’évacuation par où devraient s’écouler les sels de déverglaçage avant de tomber dans le fleuve (on n’était pas très soucieux de l’environnement à l’époque) mais ils sont beaucoup trop petits et ils manquent de hauteur si bien qu’ils sont très rapidement bouchés par la neige et le sable après le passage des charrues. La seule autre évacuation possible se trouve au niveau des joints qui se trouvent entre chaque travée, juste au-dessus du système d’ancrage des câbles de post contrainte des poutres de rive. Au fil des ans, les sels de déverglaçage se sont introduits dans les gaines des câbles de  post contrainte et les ont attaqué jusqu’au point de les sectionner. Actuellement, dans certaines poutres de rive, plus de la moitié des câbles ont été sectionnés, ce sont les poutres les plus à risque qui mettent en danger la sécurité du pont.

Au début de l’hiver 2014, une poutre de rive s’est fendue et il a fallu la soutenir par le dessus du tablier avec la fameuse super-poutre en acier. En fait, 2 super poutres avaient été fabriquées au cas où...  La super-poutre a été installée de façon   s’appuyer sur les travées adjacentes plus ou moins saines pour y reporter sur les chevêtres les charges vives et mortes qui s’exerçaient sur la poutre fendue.

Que ce serait-il passé si deux autres poutres s’étaient cassées? La deuxième poutre fendue aurait été remplacée par la 2ième supe-poutre; par contre si une troisième poutre s’était fendue, il aurait fallu  fermer le pont jusqu’à ce qu’on puisse soutenir les poutres fendues par en-dessous. Ce scénario catastrophe ne s’est heureusement pas produit.

Durant l’hiver, la Société des Ponts Jacques Cartier et Champlain a fait construire une poutre-treillis pour soutenir la poutre défectueuse par en-dessous, une première mondiale. Il a fallu placer cette poutre sous le pont et la fixer sur les piles au printemps suivant. Ça n’a pas été facile mais l’entrepreneur engagé pour ce travail a su trouver les moyens pour la fixer convenablement et il a pu même suggérer des modifications dans la conception des poutres-treillis, dans leur mode de fixation et dans la façon de les mettre en place. Depuis cet incident, 53 autres poutres de rive ont été renforcées de cette façon-là.  

Avant d’en arriver à cette solution coûteuse (400 millions de dollars) plusieurs tentatives de renforcement moins onéreuses avaient été mises œuvre en utilisant diverses techniques de post contrainte extérieure. Cependant une analyse effectuée sur des modèles mathématiques développés par Bruno Massicote de l’École Polytechnique et Denis Mitchell de l’Université McGill a démontré que ces solutions ne présentaient pas une très grande efficacité en comparaison du renforcement généré par les poutres-treillis actuelles.

UN PONT SOUS HAUTE SURVEILLANCE

Les poutres les plus à risque sont inspectées continuellement; on note l’apparition de fissures s’il y a lieu et un système de censeurs permet d’évaluer, deux fois par mois, les déformations enregistrées lors du passage d’un camion chargé roulant à une vitesse déterminé. Les données de tous ces censeurs sont analysées instantanément en fonction de seuils d’alerte. Dès qu’une alerte est donnée, une équipe va inspecter la poutre concernée.

Le système fonctionne bien et permet d’assurer une utilisation sécuritaire du pont, mais il a fallu par exemple imposer récemment des restrictions très sévères au niveau des charges de très gros camions et déplacer la voie de circulation des camions dans la voie centrale.

Il est certain qu’en renforçant toutes les poutres de rive avec des poutres- treillis, la Société des Ponts Jacques Cartier et Champlain en fait trop mais en matière de sécurité publique, on n’a pas le droit de prendre des risques.

 Cela coûte très cher pour maintenir aux soins intensifs un pont qui sera démoli en 2019.

LA DÉMOLITION DE LA PARTIE EN BÉTON DU VIEUX PONT CHAMPLAIN

Ce ne sera une tâche facile car le tablier, les poutres et les diaphragmes sont solidaires les uns des autres, et les poutres sont post contraintes  tandis que le tablier est pré contraint. Il va falloir découper les 50 travées séparément tout au long des 300 poutres. Des ponts en béton pré et post contraint ont bien déjà été démolis en Europe mais aucun n’avait été conçu comme le vieux Pont Champlain. (Actuellement quand on  conçoit une structure il faut décrire  son mode de démolition à la fin de sa vie utile). Les travaux de démolition devraient s’étaler sur 2 ou 3 ans et devraient coûter quelques milliards de dollars.

La Société des Ponts Jacques Cartier et Champlain a commencé à réfléchir au scénario à mettre en place pour assurer une démolition dans le respect de l’environnement.

Le béton du pont sera recyclé.

LE NOUVEAU PONT CHAMPLAIN

Ce n’est que depuis peu qu’on demande à des architectes de concevoir de grands ponts esthétiques qui s’harmonisent avec l’environnement dans lequel ils sont érigés. Par exemple, dans le cas du Viaduc de Millau, les 8 consortiums qui avaient proposé des solutions techniques devaient être dirigés par un architecte.  Ces premières esquisses ont été soumises à un comité d’évaluation d’une quarantaine de personnes (ingénieurs, architectes, élus locaux, environnementalistes) qui ont choisi la solution finale.  C’est la proposition dirigée par Sir Foster, un architecte anglais de renommé internationale, qui comprenait l’entrepreneur français Eiffage,(Société crée par Gustave Eiffel)  et  l’ingénieur Michel Virlogeux qui était responsable du calcul des différentes travées haubanées.

 Notons que d’un point de vue technique, ce n’est pas la charge des camions qui est le facteur critique dans le calcul du pont mais le vent. Le Viaduc de Millau peut résister à des vents de plus de 200 km par contre mais il est fermé à la circulation cause de ses vibrations quand les rafales de vent atteignent 90km, si je me souviens bien.

Il y encore assez peu d’architectes spécialisés dans le domaine du dessin de ponts si bien que le choix de l’architecte responsable de l’esthétique du Nouveau Pont Champlain était assez limité. L’architecte danois Poul OLe Jenssen choisi s’est déjà illustré lors de la conception du pont qui relie le Danemark à la Suède et lors de la construction d’un pont à Hong Kong. Il a esquissé un pont élégant qui n’a rien de révolutionnaire mais qui répond à toutes les restrictions imposées.

La partie métallique actuelle du Pont Champlain sera remplacée par un pont haubané très élégant qui devra être mis en place durant l’hiver 2017-2018 à partir d’une rampe de lancement située du côté de Brossard. Un système de très gros vérins (comme dans le cas du Viaduc de Millau) poussera la structure du pont jusqu’au pilier (Le diapason) situé le terreplein situé entre le fleuve et la voie maritime et les haubans en acier seront tendus.

La partie en béton du pont est entièrement préfabriquée même les semelles  qui reposent sur le roc. Les dalles du tablier seront préfabriquées à St-Eugène.

En fait, le pont comporte 3 tabliers :

·       un tablier central pour le train léger  (2 voies);

·       un tablier amont comportant 3 voies pour les voitures et les camions;

·       un tablier comportant 4 voies du côté aval, 3 voies pour les voitures et les camions et une voie pour les cyclistes et les piétons.

Sur la  voie réservée aux cyclistes et aux piétons l’architecte a prévu un certain nombre de promontoires  avec des bancs pour admirer Montréal.

Il existe des contraintes de construction :

·       la présence de deux voies réservées au transport en commun, bus d’abord puis train léger qui fait passer le nombre de voies de circulation de 6 à 8 (plus une voie additionnelle pour les cyclistes et les piétons);

·       les raccords aux réseaux de circulation sur les rives nord et sud du St-Laurent; la ligne à haute tension d’Hydro-Québec sur la rive sud.

Le nouveau pont est construit à l’aval du vieux pont, le plus près possible de celui-ci, 5 m (15 pieds) dans sa partie sud à cause de la présence de la ligne à haute tension d’Hydro-Québec et aussi pour faciliter le raccord au réseau de circulation actuel de la rive sud. Sur l’Ile des Sœurs, il aura une station du train léger en hauteur pour que le train léger puisse bifurquera vers la droite vers le centre-ville alors que les autres véhicules puissent continuer pour franchir le bras du fleuve qui sépare l’Ile des Sœurs et l’Ile de Montréal vers un nouveau pont à 6 voies actuellement en construction.

Il est prévu que si le consortium ne respecte pas la date butoir du 1er décembre 2018, une pénalité de 5 millions par jour de retard lui sera imposée jusqu’à concurrence de 150 millions. Il est fort probable que les travaux de finition ne soient pas terminés mais les autos et les camions pourront passer. La fin de semaine qui précèdera le 1 décembre 2018, il faudra raccorder le réseau de circulation actuel au nouveau pont pour que les 150 000 véhicules par jour soient redirigés vers le nouveau pont le lundi matin suivant.

Tout un défi!

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