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André Lachance

LA NAISSANCE DE L’AMÉRIQUE FRANÇAISE

Conférence prononcée le 15 octobre 2008

devant les membres de l’APPRUS

Par André Lachance Dans cette Amérique du Nord majoritairement anglophone, nous sommes aujourd’hui des millions à porter des patronymes français et à parler la langue de Molière: la Nouvelle-France d’hier est devenue la francophonie d’Amérique. À quelques jours du Sommet de la francophonie  qui se tient à Québec les 17, 18 et 19 octobre, dans le cadre restreint de cette conférence j’esquisserai à grands traits la genèse de cette Amérique française, depuis le XVI e siècle jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Les grandes découvertes La naissance de l’Amérique française est liée au mouvement des grandes découvertes du XVIe siècle et des explorations à la recherche d'une route vers les richesses des Indes et de la Chine. Ces découvertes s’appuient sur les progrès scientifiques réalisés à la Renaissance comme la certitude que la terre est ronde et  qu’il est possible en se dirigeant vers l’Ouest d’atteindre l’Asie. Aussi les innovations technologiques comme la caravelle  et l’astrolabe jouèrent un rôle important dans ces «découvertes» en améliorant la navigation en haute mer. On a pu ainsi penser s’aventurer sur l’Atlantique en se dirigeant vers l’Ouest. C’est d’abord le Portugal et l’Espagne qui s’aventurent sur l’Atlantique à la recherche d’une route par l’Ouest vers les Indes où se trouvent les épices dont l’Europe ne peut plus se passer. Les épices sont indispensables pour la conservation des aliments et pour masquer le goût et les odeurs d’une nourriture plus ou moins gâtée. Or, ces épices coûtent très chers. On raconte qu’il fut un temps où la livre de gingembre valait le prix d’un mouton et que le poivre se vendait grain par grain. On voulut donc trouver une route par l’Ouest qui permettrait de se passer de tous les intermédiaires (Vénitiens, Génois) qui en augmentaient le coût. Puis, après la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb en 1492, c’est au tour de l’Angleterre de s’aventurer sur l’Atlantique à la suite de l’Espagne. Elle envoie un marin Génois, Jean Cabot (Giovanni Caboto). Il longe la côte est de Terre-Neuve en 1497. Mais la France qui est de tous les pays à façade atlantique un des plus riches et des plus puissants, tarde à s’aventurer dans ces «découvertes» trop encore centrée sur son commerce orienté vers la Méditerranée. Aussi, l’Europe l’intéresse davantage. Au tournant du XVe et du XVIe siècle, les rois de France ne songeaient qu'à récupérer les anciennes possessions italiennes qu'ils avaient perdues et en 1521 les guerres d'Italie reprennent de plus belles entre François Ier et Charles Quint. Toutefois, à l'occasion d’événements comme le voyage autour du monde de Magellan (1518-1522) et  la prise des trésors péruviens par Cortès (1519) pour le compte de l’Espagne, la France¸ malgré ses préoccupations territoriales, prend  conscience de l'importance des voies commerciales qui sont en train de s'ouvrir. Elle se dit que si de telles richesses avaient été trouvées au Pérou, pourquoi ne s'en trouverait-il pas aussi plus au nord de l'Amérique? Et surtout, il y a en France des banquiers italiens qui sont prêts à s'engager dans la recherche d'une nouvelle route vers l'Asie par l’Ouest. Alors assuré d'obtenir le financement nécessaire, François 1er lance  sa première mission française d'exploration en Amérique du Nord dont l’objectif est la découverte d’une route vers la Chine (Cathay), plus courte que celle de Magellan. Ce fut un navigateur florentin  Verrazano qui fut chargé de cette mission en 1524. Il explore toute la cote est des États-Unis mais sa recherche d’une route vers l’Asie s’avère vaine. Il a surtout le mérite d’avoir constaté qu’une barrière continentale se dressait sur la route entre l’Europe et l’Asie depuis la Floride jusqu’à Terre-Neuve. C’est avec Verrazano que le nom de Nouvelle-France apparaît pour la première fois sur une carte (Nom latin Nova Gallia). Sa Nouvelle-France se limite donc à la côte atlantique américaine. L’idée cependant de trouver un nouveau passage vers la Chine par l’Ouest n’est pas abandonnée. Le Grand Aumônier de France, Jean Le Veneur, était convaincu qu’on pouvait trouver un passage vers le Cathay en se dirigeant vers l’ouest. Lors d’un pèlerinage de François Ier au Mont-Saint-Michel Il  réussit à le convaincre. Il lui présenta alors un de ses parents, Jacques Cartier, un pilote malouin expérimenté qui s’était déjà rendu sur les côtes du Brésil et de Terre-Neuve. Cartier était considéré comme un des meilleurs marins de son temps.  François se décida à reprendre les explorations là où Verrazano les avaient laissées. Toutefois, il fallut attendre une dizaine d’année (1534) avant que le projet puisse se concrétiser car le roi était trop occupé avant par ses guerres avec Charles Quint. Finalement, en 1534 il envoie Cartier poursuivre les explorations là où les avait laissées Verrazano. Il lui enjoint de « faire le voyage de ce royaume [dans les] terres Neufves pour descouvrir certaines isles où l’on dit qu’il se doit trouver grande quantité d’or et autres riches choses». Cartier effectuera trois voyages en Amérique du Nord en 1534, 1535 et 1541. La tentative du noble huguenot La Roque de Roberval d’établir une colonie permanente à Québec en 1542 se solde par un échec. Pour le roi de France, les entreprises de «découvertes » et de colonisation sur le continent américain se terminent par un constat négatif. On n'a pas découvert la route de l'Asie par l’Ouest. La colonisation s'est avérée impossible à cause des rigueurs du climat et du caractère difficile des Amérindiens. Alors dépité, préoccupé par sa situation politique et religieuse, le roi de France abandonne le continent nord américain. Pourtant même si les trois voyages de Cartier furent un échec aux yeux du roi de France. Tout de même, l’explorateur malouin a livré à la France un territoire: la vallée du Saint-Laurent et surtout un fleuve très bien situé géographiquement qui deviendra l’axe principal de l’empire français en Amérique du Nord. De plus, ce continent regorge de ressources qui, pendant le demi-siècle qui suit, attireront des pêcheurs et peu à peu des commerçants de fourrures. Les pêcheries et les fourrures La naissance de l’Amérique française est aussi liée à un autre mouvement plus anonyme mais tout aussi important pour la pénétration du continent nord américain par le Saint-Laurent, celui des pêcheries et des fourrures. Vous savez sans doute qu’en Europe au XVIe siècle des millions de catholiques font maigre pendant près de 150 jours chaque année Or, sur les côtes européennes la morue,   un des aliments consommés pendant ces jours-là, se raréfie comme aussi la présence de la baleine qui fournit l’huile pour s’éclairer. Les pêcheurs basques, connus comme d’habiles chasseurs de baleines,   vont les poursuivre sur l’Atlantique. C’est ainsi qu’au XVe siècle, ils arrivent  sur les côtes du Labrador et de Terre-Neuve à la poursuite des baleines et découvrent les grands bancs de morue. La trouvaille est assez rapidement connue des autres pêcheurs, si bien que les Basques sont vite entourés de Bretons, de Normands et de Portugais. La route de Terre-Neuve et la présence des bancs de morue ne sont  alors connues que des pêcheurs. Elles le demeureront jusqu'à l'expédition de Jean Cabot en 1497 qui, en découvrant officiellement l’Île de Terre-Neuve, rend public ce secret si bien gardé jusque-là. Il note dans son récit de voyage que le poisson s’y trouve en si grande abondance qu’on peut y pêcher « not only with the net, but in baskets let down with a stone». Alors au XVIe siècle, suite à cette découverte de Cabot, des milliers d'équipages de pêche européens, bravent l'immensité de l'Atlantique, et mettent voile vers les grands bancs de Terre Neuve, vers le détroit de Belle-Isle, la côte sud du Labrador, le golfe du Saint-Laurent et sa côte nord. Pour conserver ce poisson jusqu’au retour des bateaux en France, on le vidait et le salait sur le bateau. Or, on devait utiliser beaucoup de sel pour que le poisson ne se gâte pas. Le sel coûte cher à l’époque, alors pour en utiliser moins, les pêcheurs débarqueront sur  les côtes et feront sécher leur poisson au soleil sur des échafauds. En descendant ainsi, les pêcheurs de morue comme aussi  les chasseurs de baleine qui, eux, débarquent pour faire fondre la graisse des baleines, entrent en contact avec les Amérindiens : c'est l'origine du commerce des  fourrures. Ces Amérindiens que les pêcheurs rencontrent, habitent le nouveau continent depuis des millénaires. Lorsque les Européens arrivent en Amérique du Nord au XVIe siècle, ils sont de trois à douze millions. À l'échelle du continent, les chercheurs estiment que la population pourrait avoir totalisé entre soixante et cent dix millions de personnes. Or, lorsqu’ils rencontrent les Européens, les Amérindiens, déjà habitués au troc avec leurs congénères, leur proposent, tout naturellement, des fourrures en échange d'objets très précieux pour eux, comme des articles en métal – haches, marmites, parures et couteaux. Toutefois, pour les Amérindiens, ces produits de traite introduiront jusqu'au cœur du continent nord-américain des maladies infectieuses contre lesquelles les populations amérindiennes ne sont pas naturellement immunisées, un simple rhume pouvant leur être fatal.  C’est ainsi que, entre eux et les Européens, ce contact leur sera très néfaste. En quelques décennies, des villages amérindiens entiers sont anéantis, l'effet des épidémies s'ajoutant à celui des guerres qui opposent les groupes entre eux. À la fin du XVIIe  siècle, les chercheurs estiment que 90 à 95 % des autochtones avaient disparu, une conséquence, entre autres, de la traite des fourrures. Les bateaux européens, en plus de rapporter de la morue salée ou de l'huile de baleine, se chargeront donc de fourrures obtenues par troc lors de ces rencontres fortuites avec des Amérindiens. Les pêcheurs s’aperçoivent que ce qui n’était au début qu’un revenu d’appoint à leur voyage de pêche, peut être très lucratif.  Peu à peu, tout au cours de la seconde moitié du XVIe siècle, cette traite des fourrures, d'abord une activité commerciale complémentaire, prendra de plus en plus d’importance dans les voyages qu’ils feront  en Amérique du Nord.  Alors, des compagnies de commerce se mettent sur pied et commencent à envoyer des navires chargés uniquement d'objets de traite, dont le seul but est de faire le commerce des pelleteries et de rapporter dans la mère-patrie des fourrures en grande quantité. Et, c’est ainsi que peu à peu la pénétration du continent nord-américain menée par des particuliers sera de plus en plus une entreprise économique. Puis, vers la fin du siècle, la couronne française s'assure du contrôle de cette activité en octroyant des monopoles de commerce à des compagnies qui, en retour doivent s’occuper de coloniser le pays. Samuel de Champlain et la fondation de Québec, berceau de la francophonie C’est dans ce contexte des monopoles de commerce qu’un armateur et homme d'affaires français, du nom de  Pierre Dugua de Monts, envoie Samuel de Champlain fonder à Québec, en 1608, le premier établissement permanent de la France en Amérique du Nord. Ce choix de Québec résulte d'une période de tentatives infructueuses, de tâtonnements, dans la recherche du meilleur site d'établissement.  En 1600, par exemple, Pierre Chauvin avait établi à Tadoussac le premier poste de traite français en Amérique du Nord toutefois, il ne put en faire un établissement permanent. Sur les 16 hommes qu’il y laissa pour passer l’hiver, seul cinq survécurent,  grâce à l’aide qu’ils reçurent des autochtones. La France revint à cet endroit par la suite pour y faire la traite mais cela prendra du temps avant qu’on s’y installe de façon permanente. En 1603, Champlain fait son premier voyage au Canada à titre d’observateur. En compagnie de François  Gravé Du Pont, il se rend à Tadoussac. Il y rencontre des Amérindiens. Après avoir discuté avec eux, ceux-ci consentent à ce que les Français peuplent le pays. Leur chef lui déclara «Qu’il estait fort aise que sadicte Majesté peuplast leur terre». Puis le géographe et explorateur remonte le Saint-Laurent jusqu’au Saut Saint-Louis (à Hochelaga). Il note au passage le site de Québec (toponyme amérindien qui veut dire «resserrement»), et surtout celui de Trois-Rivières. Il mentionne dans ses Voyages que ce site «serait à mon jugement un lieu propre pour habiter» à cause du commerce des fourrures que l’on pourrait y faire. En 1604,  Pierre Dugua de Monts obtient le monopole du commerce et décide d’établir une colonie plus au sud, sur les côtes de l’Acadie «pour jouir d’un air plus doux et agréable» écrira Champlain en 1632, et parce que l’espérance d’y trouver des mines était plus forte que le long du Saint-Laurent. L’Acadie réunissaient les conditions idéales de colonisation selon de Monts et Champlain: proximité de la mer, amérindiens dociles, abondance de mines, fertilité du sol et route d’eau qui pourrait mener vers l’Asie. Après avoir passé un hiver désastreux sur la petite île Sainte-Croix, située à l’embouchure de la rivière du même nom. Champlain et Dugua de Monts  décident en 1605 de déménager à Port-Royal où un environnement plus clément permet à la colonie de subsister jusqu’en  1607. Champlain écrit : «Ce lieu était le plus propre et plaisant pour habiter que nous eussions vu». Malgré cela, Champlain en compagnie de Dugua de Monts mènera  plusieurs explorations de reconnaissance depuis Port-Royal vers le sud afin de trouver un meilleur lieu pour établir une colonie mais sans succès. Et en 1607, les marchands et les pêcheurs basques et bretons qui n’avaient jamais accepté que le roi accorde le monopole du commerce à Dugua de Monts obtiennent la révocation de son  monopole. Tout le monde à Port-Royal est obligé de rentrer en France. Par la suite, l’Acadie aura une existence plutôt tragique, étant située entre deux colonies ennemies, la Nouvelle-France et la Nouvelle-Angleterre. Elle sera conquise à plusieurs reprises par les Anglais et sa population française est finalement déportée entre 1755 et 1763.  Quelques temps après son retour dans la mère-patrie Pierre Dugua de Monts réussit à obtenir le renouvellement de son monopole de commerce à la condition expresse qu'il se fixe à l'intérieur du continent et non sur les côtes, le roi  trouvant  «bon de continuer l'habitation pour que ses sujets puissent y aller trafiquer les pelleteries et autres marchandises». Champlain qui, en 1603, était venu à Tadoussac avec Gravé Du Pont et  avait alors noté deux sites possibles pour un établissement permanent : Trois-Rivières et Québec, opte pour Québec. Ce site lui parait plus avantageux car il est assez  facile d'accès, ensuite il se trouve à la jonction d'axes commerciaux, aussi le climat à Québec est tempéré et enfin, étant situé sur un promontoire, il offre  une certaine sécurité.  Selon Champlain, un autre argument en faveur de Québec est que ce site est assez haut dans le Saint-Laurent pour que les autres pays ne viennent pas y faire la traite. En plus, il ajoute qu’à plus long terme la fertilité des sols environnants permettra d'envisager de nourrir une population de résidents permanents. En terminant, il note que le rétrécissement du fleuve laisse entrevoir la réalisation d'un vieux rêve: avoir la mainmise et le contrôle sur le commerce avec la Chine (Cathay) car les bateaux étrangers se dirigeant vers l’Asie devront s’arrêter à Québec et payer des frais de douane pour pouvoir continuer leur route, ce qui sera autant de revenus supplémentaires pour le roi de France. Québec, pense Champlain, deviendra la porte d’entrée de la route menant à la Chine. Par conséquent, Samuel de Champlain et son groupe de nouveaux colons, une trentaine, engagés et payés par la nouvelle compagnie de Pierre Dugua de Mons partent avec deux navires chargés de provisions pour une année et des matériaux nécessaires pour construire un poste fortifié permanent, en vue de la traite des fourrures, du peuplement et de l'évangélisation. Le 3  juillet 1608, Champlain débarque sur le site de Québec. C'est un événement  majeur, car il s’agit du premier aboutissement terrestre de tout le lent processus de la France depuis le XVIe siècle en vue de l'implantation d'une colonie française en Amérique du Nord. Aussitôt arrivé, Champlain fait défricher le terrain et construire  une première «habitation». On commence aussi les jardinages sous l'œil curieux mais bienveillant des autochtones, vite devenus proches des  Français. Toutefois, il faudra attendre une trentaine d’année avant que Québec devienne autre chose qu’un comptoir de traite. Encore en 1627, dix-neuf ans après sa fondation, et cela malgré les tentatives de Samuel de Champlain d’en faire une colonie commerciale, Québec n’est toujours qu’un poste de traite, un comptoir de fourrures.  Au total, ce comptoir n’est peuplé  que de 72 personnes parmi lesquelles ne se trouvent que quatre familles, soit celles de Louis Hébert, Guillaume Couillard, Pierre Desportes et Abraham Martin, et peu de femmes: neuf en tout dont cinq petites filles  (Louise et Marguerite Couillard, Marguerite et Hélène Martin, et Hélène Desportes). Cette population principalement masculine est constituée en majorité d’ouvriers utiles dans un comptoir de traite comme armurier, charpentier, menuisier, serrurier-forgeron, maçon, scieur de long etc… venus travailler quelque  temps pour le compte de la Compagnie et décidés à rentrer en France à la fin de leur contrat comme la majorité des 400 personnes environ, originaires principalement de la Normandie, de l’Île-de-France et de la Bretagne, qui sont venues dans la colonie française entre 1608 et 1627. Quant au défrichement, il est encore peu avancé. Le jésuite Jérôme Lalemant écrit en 1626 dans sa Relation, «Ce qui a été cultivé en ce lieu par les Français est peu de choses, s’il y a 18 ou 20 arpents de terre, c’est le bout du monde». Seule la famille Hébert, les Récollets et les Jésuites possèdent des terres où se font de la culture à Québec. Le poste de Québec dépend toujours de la France pour son approvisionnement en nourriture et risque la famine chaque hiver. Le récollet Gabriel Sagard écrit dans Le grand voyage au pays des Hurons: «si on eut manqué une seule année d’y porter des vivres de France, tous les Français de l’habitation eussent péri de faim».  À prime abord dépassés et angoissés devant cette terre nouvelle, son climat et ses autochtones, les premiers immigrants apprendront peu à peu à la connaître et à l’apprivoiser. Une fois, adaptés à cet environnement différent de celui qu’ils ont connu dans la mère-patrie, les colons français voudront explorer cette nature sauvage qui les entoure pour en découvrir toutes les richesses. La Nouvelle-France et l’expansion de la francophonie Le site de Québec deviendra le lieu de la capitale de la Nouvelle-France. Les grands enjeux de la colonie et les stratégies de développement et d'aménagement du territoire y  seront définis. L'habitation du début deviendra ainsi peu à peu le centre administratif de la Nouvelle-France et la ville dotée du port en eau profonde le plus avancé à l'intérieur des terres. Par la suite, la ville sera la  plaque tournante du commerce extérieur et le principal centre de peuplement et de services en liaison avec la mère- patrie pour toutes les questions administratives. C’est à Québec que se décidera avec l’accord de la métropole le développement de la Nouvelle-France. Mais cela prendra du temps avant que la France prenne vraiment racine sur les bords du Saint-Laurent. On compte à peine 100 habitants en Nouvelle-France en 1628. En Nouvelle-Angleterre et Nouvelle-Hollande, à la même période, il y en a 2 700. Vers 1663, il y a 3500 personnes environ dans la colonie et 80 000 en Nouvelle-Angleterre et Nouvelle-Hollande. La Nouvelle-France aura 14 600 habitants en 1693, autour de 32 000  en 1720, de 78 800 en1752 et de 85 000 en 1765 contre 1 700 000 en Nouvelle-Angleterre. En 1800, il y  aura environ 190 000 habitants d’origine française au Canada.  Toute cette progression démographique est due en grande partie à l’accroissement naturelle et non à l’immigration car on estime que de 1608 à 1760, 33 000 personnes environ seraient venues dans la colonie. Parmi eux, 14 000 demeureront  au pays dont 10 000 se marieront dans la colonie et feront souche. C’est peu. Par contre le taux de natalité oscille pendant ce temps entre 53 et 51 pour 1000 h. et celui de la mortalité entre 20 et 33 pour 1000 h. L'emprise sur le sol américain de la France va progresser en conséquence. Au fur et à mesure que le peuplement augmente, que les terres sont occupées et que l’on commence à les défricher de nouveaux pôles de croissance se développent et les champs d'activité se diversifient. Sur le plan territorial, vers la fin de la première moitié du XVIIe siècle (1660), l'expansion de l’Amérique française sur le continent nord américain se résume à l’Acadie, aux deux rives du Saint-Laurent et aux Grands Lacs.  C’est à peu près là où on en était lorsque Champlain meurt à Québec le 25 décembre 1635. La situation demeurera ainsi jusqu’à la prise en mains de la colonie par le roi en 1663. L’occupation territoriale va alors s’étendre rapidement grâce aux explorations menées du côté de la Baie d’Hudson, puis au-delà du Lac Supérieur et jusqu’au Golfe du Mexique. C’est ainsi qu’au début du XVIIIe siècle, la Nouvelle-France atteint son apogée territoriale. C’est le sommet de la puissance française en Amérique du Nord.  Le territoire français d'Amérique du Nord couvre alors les trois quarts du continent. La France contrôle tous les bassins fluviaux qui mènent aux fourrures, elle domine dans le golfe Saint-Laurent et commence à mettre en valeur la Louisiane. De fait, le territoire français s'étend de la Louisiane à la baie d'Hudson, et de Terre-Neuve jusqu'aux territoires encore inexplorés de l'Ouest, au-delà des Grands Lacs et de Détroit. La vallée du Saint-Laurent (le Canada) constitue le cœur de la Nouvelle-France. Elle est le pays colonisé. Depuis Tadoussac , le peuplement s`est progressivement fixé de plus en plus haut le long du fleuve, surtout à l'embouchure de ses principaux affluents, successivement à Québec, à Trois-Rivières, à Montréal et un peu au delà. Le noyau central de la colonisation française s'est ainsi implanté sur les rives fertiles du Saint-Laurent, faciles d'accès par voie d’eau. Les bâtiments de haute mer remontent jusqu'à Québec: les embarcations de 15 tonneaux et moins se rendent à Montréal et empruntent les rivières navigables. Au-delà de Montréal, le Haut-Saint-Laurent est parsemé de rapides, et seuls les déplacements en canot permettent de gagner la région des Grands Lacs. Le peuplement s'est fixé autour de trois centres principaux. Québec, port d'arrivée et d'exportation, siège du gouvernement de toute la Nouvelle-France, centre religieux et de services, Trois-Rivières, ville de passage, poste de relais entre les deux plus grandes agglomérations, et  Montréal, porte d’entrée des Grands Lacs et du pays des fourrures. Elle est le centre du commerce des fourrures. Elle commande tout le réseau d'échange. C’est de là que partent toutes les expéditions vers les régions plus à l’Ouest. Entre ces agglomérations, au fur et à mesure de l'extension du peuplement, une population rurale s'est installée, comblant peu à peu les espaces vides entre les villes, puis commençant à s'étendre sur la rive sud. Le Saint-Laurent constitue la seule voie de communication entre tous ces lieux de peuplement jusque vers la fin des années 1730 alors qu’une route terrestre relie Québec à Montréal sur la rive nord du fleuve : le «chemin du roi». À la fin du XVIIe  siècle, le peuplement s'étire en un long ruban sur les deux rives du fleuve entre Québec et Montréal. Près de 80% de la population vit de l'agriculture, de cinq cents à un millier d'hommes s'adonnent au commerce des fourrures, les villes comptent ensemble un peu plus de 3 000 habitants vers 1700 et environ 14 000 vers 1755 dont les rangs sont grossis selon les saisons par les équipages de navires ou le retour des coureurs de bois. Le fleuve Saint-Laurent et tout le réseau hydrographique qui lui est relié, ont obligé, en même temps qu’ils ont permis, une pénétration jusqu'au cœur du continent. La France, au contraire des colonies britanniques confinées au littoral atlantique par la chaîne de montagnes des Alleghany, a pu se constituer un immense empire territorial.  Mais cette immensité avait pour contrepartie la fragilité et la faiblesse de la pénétration en profondeur. La France a tout au plus réussi à prendre possession de territoires sans vraiment les occuper, les assujettir, voire même les contrôler, faute de population pour s’y établir. Des Amérindiens qui occupaient ces lieux, la France n'a pu que tenter de se concilier l'amitié et l'alliance commerciale. Face aux concurrents britanniques toujours plus nombreux et plus entreprenants, elle a dû ériger en système de défense une chaîne de forts et de postes dont la force apparente n'a d'égal que «la faiblesse de ses maillons». De même, la richesse et le potentiel des espaces marins restent méconnus, comme si cette présence saisonnière de milliers de pêcheurs surtout métropolitains sur les côtes de Terre-Neuve, du Labrador et du golfe Saint-Laurent répondait bien peu aux objectifs coloniaux. Enfin, dans la zone plus densément peupler de la vallée laurentienne, le paysage n'est souvent encore qu'une immense forêt, entrecoupé de petites habitations. Mais ces possessions françaises d'Amérique semblent de plus en plus menacées par les coloniaux britanniques de plus en plus nombreux et de plus en plus à l’étroit entre les montagnes et l’Atlantique. Cette menace se concrétise à la fin du XVIIe siècle si bien qu’au début du XVIIIe siècle, suite à la de guerre de Succession d’Espagne, la France vaincue en Europe, est obligé, en 1713, d’accepter le traité d'Utrecht. Elle doit abandonner à l’Angleterre une partie des territoires découverts et conquis en Amérique dont la Baie d'Hudson, Terre-Neuve et l'Acadie française qui sont cédés à l'Angleterre. L'Iroquoisie  passe dans l'orbite anglaise. Ce sont là de durs coups. Désormais le plus beau réservoir de fourrures appartient à l'Angleterre et, fait plus grave, les Anglais, par l'Iroquoisie, ont directement accès aux Grands Lacs et peuvent ainsi couper la Nouvelle-France en deux, en isolant la vallée laurentienne du bassin du Mississipi. Pour contrer ces pertes et conserver ses acquis, la France érige de toutes pièces la forteresse de Louisbourg sur l’Île Royale (Cap Breton) afin de défendre la porte d’entrée du Saint-Laurent et protéger ses pêcheurs principalement métropolitains. De plus,  elle se doit de fortifier davantage les villes de Québec et Montréal en remplaçant les fortifications de pieux par des enceintes en pierre. Aussi, pour compenser ses pertes, la France doit continuer ses explorations à la recherche de la «Mer de l’Ouest » conduisant en Chine (Cathay). Elle enverra les La Vérandrye, père et fils, vers les territoires non découverts de la «Mer de l’Ouest». Ils se rendront jusqu’aux pieds des Rocheuses au nom du roi de France. Pendant un certain temps, la France réussit ainsi à contrer les effets négatifs du traité d’Utrecht et à river les Anglais aux pourtours de l’Atlantique et de la Baie d’Hudson. Cependant, cette tâche dépassait les capacités de la France et de sa colonie. À peine peuplée de 80 000 habitants en 1760, la Nouvelle-France ne pouvait indéfiniment tenir dans un étau entre les montagnes de la chaine de l’Alleghany et l’Atlantique les treize colonies anglaises lorsque l’on sait que leur population dépassait le million et demi et pouvait s’appuyer sur une métropole riche et dynamique. L’expansion territoriale de la Nouvelle-France masquait ses faiblesses internes et son peu de population. Quand la coalition anglo-américaine décide de se sortir des pinces de l’étau français, la Nouvelle-France s’écroule. En 1758, l’importante forteresse de Louisbourg capitule puis c’est au tour de Québec en 1759 et enfin en 1760 la ville de Montréal se rend.. Le traité de Paris signé en février 1763 confirme l’abandon de la Nouvelle-France par la France. Après 150 ans d’expansion, l’empire français n’est plus. Le cœur de l'ancienne colonie française, la vallée du Saint-Laurent devient la «Province of  Quebec». Tout le reste, depuis les Grands Lacs jusqu'au bassin de la Floride, depuis la rive est du Mississippi jusqu'aux Appalaches, est réservé, «pour le présent» précise le texte de la Proclamation royale, pour l'usage des Amérindiens. Les Canadiens, ces descendants d’immigrants français, sont abandonnés. La France ne peut plus rien pour eux. Ils ont dix-huit mois pour quitter une colonie qui devient britannique. S'ils le font, ils peuvent vendre leurs biens, mais uniquement à des sujets britanniques. Les dirigeants de la colonie française, eux, n’ont pas le choix, ils quittent et une partie des élites également. En tout, quatre milles personnes, soit environ 5% de la population rentrent en France. Les familles qui restent, pleurent leurs morts et reconstruisent leurs maisons. Les paysans reconstituent leurs troupeaux. L’argent français ne vaut pratiquement plus rien. Il faut repartir à zéro. Le commerce change de mains; les charges publiques sont réservées aux anciens sujets, c'est-à-dire aux Britanniques. Les Canadiens de religion catholique ne pouvant prêté le serment du Test sans renier leur foi en sont exclus. «En 1763, il reste encore des Canadiens, mais il ne reste plus de Canada», écrit l'historien Guy Frégault. Suite à la conquête britannique, la Nouvelle-France n'est plus, mais sur les dizaines de milliers de Français venus en Nouvelle-France avant 1760, dix milles environ se sont mariés dans la colonie et ont laissé une descendance dans la vallée du Saint-Laurent. En 1763, quelque 50 000 d'entre eux vivent de l'agriculture. Ils occupent alors environ un million d'arpents de terre répartis en 200 seigneuries ou fiefs. Leur taux de natalité est élevé. Pour l’instant, dans la vallée du Saint-Laurent, les Canadiens ont pour eux le nombre, la conquête britannique n'a pas été suivie d'une forte immigration britannique comme l’avait prévu l’Angleterre. Conclusion Malgré cette faible immigration et le peu d’appui de la France, le fait français a pu prendre racine en Amérique du Nord et se répandre, si bien que tout le continent nord-américain a été marqué par la présence française. Aujourd’hui, l’Amérique du Nord francophone compte environ vingt millions de personnes. Au États-Unis, selon le recensement de l'an 2000, environ treize millions d’Américains se reconnaissaient une origine française. De ce nombre, 2 350 000 se disaient d'origine canadienne-française. À peu près 1 750 000 Américains parlent le français à la maison, soit 0,6 % de la population totale de ce pays … Voilà comment en 400 ans depuis la ville de Québec, le fait français a rayonné en Amérique du Nord et continue à vivre.  BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE Braudel, Fernand, et Michel Mollat du Jourdin,dir., Le monde de Jacques Cartier. L’aventure du XVIe siècle, Montréal et Paris, Libre-Expression et Berger-Levrault, 1984, 318 p. Dumont, Fernand, Genèse de la société québécoise, Montréal, Boréal, 1993, 399 p. Guillet, Bernard et Louise Pothier, dir., France, Nouvelle-France. La naissance d’un peuple français en Amérique, Paris, Montréal, Somogy, éditions d’art, 2005, 127 p. Havard, Gilles, Cécile Vidal, Histoire de l’Amérique française, Paris, Flammarion, 2008, 863 p Lachance, André,  «Des Français en Amérique. L’adaptation des premiers colons» dans Québec œuvre du temps, œuvre des gens, revue Cap-aux Diamants. Hors série, 2004, p.11-15. Litalien, Raymonde , Jean-François Palomino, Denis Vaugeois, La mesure d’un continent. Atlas historique de l’Amérique du Nord, 1492-1814, Sillery, Septentrion, 2008, 299 p. Litalien, Raymonde et Denis Vaugeois, Champlain. La naissance de l’Amérique française, Sillery et Paris, Septentrion et Nouveau Monde éditions, 2004, 400 p.      André Lachance Octobre 2008.