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Quel sens peut-on donner à l’évolution religieuse du Québec?

Causerie à l’Association des prof. retraité/es de l’Université de Sherbrooke, 16 février 2005

Introd.

Merci.  Plaisir.

Je lisais art. de Jocelyn Létourneau dans CHR.  Perception des jeunes de l’histoire du Québec.  Second. IV, V, cegep, université I.  Surprise : la même vision, plutôt nationaliste, basée sur une vision pessimiste, mélancolique du Québec.  Cours d’hist. du Canada = second. IV.  La vision existe avant, et n’est pas changée après.  Examine les manuels : pas en cause.  On acquiert dans la culture un certain bagage, qui ne change pas, ou peu, après.

C’est un peu la même chose pour le sujet qui nous occupe aujourd’hui.  Nous avons tous vécu les années 1960 et les changements importants qui s’y sont produits dans les rapports entre l’Église catholique et la société québécoise.  Nous avons acquis une vision, positive ou négative, de cette relation, que nous renforcissons par les lectures que nous faisons, les films ou les téléséries que nous voyons.  Ex. : le film Ma vie en cinémascope : l’image du prédicateur qui annonce les flammes de l’enfer (péché mortel) pour une femme qui fréquente un homme marié.

Alors, je ne viens pas ici pour donner la «bonne» version, ou pour essayer de vous faire changer d’idée, si vous n’avez pas la mienne.  Plutôt, je souhaite un échange de points de vue, toujours enrichissant.  Il y a maintenant trente ans que la question soulevée ici est au coeur de mon enseignement et de mes recherches.  Je suis très heureux de pouvoir échanger sur le sujet avec vous, car je ne vous cacherai pas que je trouve l’enseignement difficile aujourd’hui.  Non pas à cause des étudiants, que je trouve plus sympathiques et ouverts que jamais, mais à cause de la base culturelle.  À cause du milieu sociologique ambiant, il me semble que cette question n’est pas, ne peut pas être, au coeur de leurs préoccupations.  Quand ils me disent que ça les intéresse, c’est pour ajouter, comme raison : ça me permet de mieux comprendre mes grands-parents!  Vous comprenez que ce n’est pas une motivation bien forte pour un professeur!  Alors qu’avec vous, je partage un même vécu : nous avons connu les années 50 et 60, nous avons vécu le changement fondamental qu’a vécu alors la société québécoise et qu’on coiffe commodément du nom de révolution tranquille, dont les bienfaits sont bien remis en cause par les jeunes historiens et historiennes d’aujourd’hui.

Quel sens peut-on donner à l’évolution religieuse du Québec? On peut prendre la question de proche, parler de l’évolution depuis 1960, ou de loin, parler de l’évolution depuis le début.  On fera un peu des deux.  J’ai pensé diviser mon exposé en trois points et, comme j’aimerais que notre rencontre prenne la forme d’un échange, j’ai ménagé quelques minutes d’échange entre chacune des trois parties, avec un plus long échange à la fin.  Nous avons une heure en tout, si j’ai bien compris.

La première partie irait des débuts à 1920, la deuxième de 1920 à nos jours, et la troisième serait la réflexion sur la question : mais quel sens peut-on donner à cette évolution?

A. Des origines à 1920

Je connais peu la période qu’on appelle de la Nouvelle-France, de 1600 à 1760.  Il faudrait évoquer ici les spiritualités des peuples autochtones, qui ont longtemps formé la majorité de la population.  Puis, en Acadie et sur les rives du Saint-Laurent, puis le long des rivières (Richelieu, par exemple), se sont installés des colons français.

Je connais peu la période, mais j’en retiendrai surtout deux traits, pour mon propos, peut-être trois.

* D’abord, les Français qui arrivent ici au 17e siècle sont les mêmes qui sont en France.  Au point de vue religieux, ils viennent de vivre les guerres de religion (catholiques contre protestants, ou huguenots) et, du côté catholique, ils viennent de vivre (au 16e siècle) la Réforme du concile de Trente : résidence des évêques, formation du clergé dans les séminaires, pratique du catéchisme pour les enfants.  De plus, le 17e siècle est, en France, surtout par contraste avec le 18e, une période de grande ferveur religieuse.  Pas étonnant qu’on retrouve cette ferveur pour les missions de Nouvelle France : qu’on pense à Marie Guyart, ursuline, Marie de l’Incarnation, une grande mystique qu’on étudie de plus en plus aujourd’hui, à Marguerite Bourgeoys, qui fonde la Congrégation de Notre-Dame, aux martyrs jésuites, qu’on appellera les saints martyrs canadiens au moment de leur canonisation en 1930, dans un élan nationaliste (il nous fallait nos saints à nous aussi, comme la France venait d’avoir Jeanne d’Arc et sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus).  Qu’on pense aussi à la fondation de Montréal.  On discute beaucoup aujourd’hui pour savoir si le moteur de l’établissement sur les rives du Saint-Laurent fut le commerce des fourrures ou un désir d’évangélisation.  On se demande aussi si cette évangélisation fut avant tout une déculturation.  Chose sûre, les missionnaires ont été aussi influencés par les Indiens qu’ils les ont influencés eux-mêmes.

À côté de cela, du point de vue religieux, le 18e siècle est pâlot : c’est le Siècle des Lumières, le siècle des contestations, le siècle de Voltaire, le siècle de Rousseau, le siècle de la Révolution française, et les Canadiens ont suivi tout cela de près, la presse en atteste.

* Un autre trait que je voudrais signaler pour cette période, c’est la nature des institutions, ce qu’on a appelé l’Ancien Régime.  Dans ce régime, Église et État sont intimement liés.  C’est le Roi qui nomme les évêques, c’est lui qui décide du nombre de membres dans une communauté religieuse, puisqu’il lui faut payer pour soutenir les communautés.  En retour de ce soutien (par exemple, des terres ou seigneuries qu’on donne aux communautés : pensons par exemple à l’île de Montréal qui fut donnée aux sulpiciens), il revient aux communautés de s’acquitter des fonctions d’éducation, d’hospitalisation (hôtel-Dieu pour les malades, hôpital général pour les orphelins et les vieillards), soin des pauvres.  Tout le monde est d’accord, sous l’Ancien Régime, pour dire que ces fonctions relèvent d’office de l’Église, dans ses missions d’éducation et de charité.

* Autre différence qui peut nous surprendre un peu aujourd’hui, et qui peut défaire une image reçue : le catholicisme, au temps de Nouvelle-France, est surtout fort dans les villes.  C’est là que résident les élites, c’est là que se recrutent les officiers et les membres du clergé.

Voilà donc le portrait que nous laissent les 65 000 Canadiens qui, en 1759, vivent la défaite des Plaines d’Abraham et voient arriver les Anglais.  Ceux-ci changeront complètement la donne, du point de vue religieux.  On peut dire que l’Église catholique vit là ses heures les plus sombres.  Les Anglais, protestants, sont les maîtres, et les autorités religieuses tentent de maintenir, du mieux qu’elles le peuvent, la religion catholique.  On a dit, preuves à l’appui, que les évêques avaient souvent «rampé» devant les nouveaux maîtres pour obtenir une bonne situation pour l’Église et pour eux-mêmes.  On en voit vraiment beaucoup de traces.  En 1791, arrive un évêque anglican à Québec; c’est vers 1818 que l’évêque de Québec sera reconnu comme tel par les autorités britanniques.  Chose sûre, les Canadiens sont restés catholiques, dans leur pratique, en tout cas, malgré un encadrement religieux extrêmement limité.

Cet encadrement recommence à augmenter vers 1820, avec l’établissement de toute une série de petits séminaires : après Nicolet en 1803, on peut relever L’Assomption, Sainte-Anne de la Pocatière, Sainte-Thérèse et bien d’autres de ce qu’on appellera désormais des collèges classiques.  Mais comment expliquer que l’Église catholique ait repris du poil de la bête dans les années 1820 et 1830?  Je ne saurais comment répondre à cette question.

On fait grand cas aussi, dans notre histoire, du rôle de Mgr Lartigue, le premier évêque de Montréal, au moment du soulèvement des patriotes en 1837.  Il émet un mandement demandant à tous de respecter l’ordre établi et privant des sacrements ceux qui prendront les armes.  Là aussi, on pourrait discuter beaucoup du contexte de l’époque et relever que, sous bien des aspects, Lartigue était libéral (influence de Lamennais, par exemple).

Vient ensuite, à partir de 1840, la période de grand renouveau religieux, qu’on appelle parfois de réveil religieux, avec surtout la figure de l’ultramontain Mgr Ignace Bourget.  Rarement un homme fut si actif, ce qui peut nous faire réfléchir sur l’influence d’un homme dans l’histoire.  L’ultramontanisme, dont on peut dire qu’il joua un rôle important entre 1840 et 1900, a deux effets principaux :

   1- instaurer une société religieuse, où la religion a priorité sur tout, y compris sur l’État;

   2- rendre la religion populaire, par des manifestations de masse, et en exploitant le sentiment religieux (ex. : mouvement de tempérance, processions, zouaves pontificaux).

   C’est à ce moment-là, par exemple, entre 1840 et 1875, que l’Église catholique met la main sur tout le système d’éducation, du primaire à l’université, avec la fondation de l’Université Laval en 1852, qui fut fondée expressément pour empêcher que des laïcs n’en fondent une.  En 1875, on supprime le ministère de l’Instruction publique, et l’éducation, du côté catholique, est contrôlée par le Comité catholique, dont les évêques sont tous membres, avec un nombre égal de laïcs, ce qui assure la majorité de fait aux évêques.  Cette situation durera jusqu’à la création du Ministère de l’éducation, en 1964.

La puissance de l’Église augmentera considérablement pendant cette période, de 1840 à 1920, avec la multiplication des paroisses, l’augmentation du nombre de prêtres, de communautés religieuses, dont les plus importants furent fondées ou implantées de France dans les années 1840.  À quel moment l’Église catholique, comme institution, atteignit-elle son apogée au Québec?  Je serais porté à dire : entre 1920 et 1940.  Mais cela nous entraînera déjà dans notre deuxième période. 

Ouvrons un moment d’échange sur cette première période, du début à 1920.

B. De 1920 à nos jours

Le moment clé de cette période est évidemment 1960 avec, pour la société québécoise, la révolution tranquille et pour l’Église catholique, le concile Vatican II, deux moments qui ont bouleversé la société et en particulier les rapports entre Église et société.  La tentation est d’en faire un moment inaugural alors que, dans un cas comme dans l’autre, ces moments ont été préparés de longue main.  Laissons ici de côté les réformes internes à l’Église (liturgie, Bible, oecuménisme, morale, pastorale) pour essayer de voir à quand remontent les sources de changement dans la société. 

On voit des signes annonciateurs dans les années d’après-guerre (Refus global, la grève de l’amiante, Cité libre, la télévision); de toute évidence, la deuxième guerre mondiale a amené des transformations considérables (instruction obligatoire, suffrage féminin, relations de travail, Hydro-Québec).  Mais on peut aussi remonter plus loin : avec la crise, la dureté économique a entraîné des remises en question fondamentales, qui ont amené un brassage d’idées sans précédent, qui a conduit à la mise en place des débuts de l’État-providence.  Mais, pour ma part, c’est à 1920 que je fais remonter le début de ce remue-ménage (d’où le choix de cette date comme charnière dans mon exposé), avec l’adoption de toute une série de lois par le nouveau gouvernement Taschereau et en particulier son secrétaire de la province, Athanase David.

Je fais référence surtout ici à la loi de l’Assistance publique.  Devant la montée des coûts hospitaliers, le gouvernement adopte en 1921 une loi qui répartit désormais les coûts d’hospitalisation des pauvres de la manière suivante : 1/3 payé par le gouvernement, 1/3 par la municipalité et 1/3 par la communauté religieuse qui tient l’établissement.  Certaines communautés tinrent tête au gouvernement dans cette affaire, en refusant d’adhérer au régime, en tête, l’Hôtel-Dieu de Québec.  Mais je crois qu’on peut voir là le début de l’«intrusion» de l’État dans les affaires de l’Église. 

À partir de 1960, on verra plusieurs de nos élites intellectuelles, tant civiles que religieuses,  inventer un concept commode pour réécrire l’histoire : celui de la suppléance.  Comme l’État n’assumait pas ses fonctions, l’Église a dû suppléer, que ce soit en éducation, pour les soins de santé, ou les services sociaux.  Interprétation complètement contraire à l’histoire : bien au contraire, l’Église revendiquait comme lui appartenant ces domaines.  On le vit jusque dans les années 50, alors que, par exemple, elle voulut contrôler le domaine des loisirs, d’où par exemple l’Oeuvre des Terrains de Jeu (l’OTJ).

Donc, en 1920 déjà, l’État met le pied à l’étrier.  Le mouvement se continue dans les années 1930, avec les pensions de vieillesse et autres pensions du même genre : on n’a qu’à penser à Duplessis et ses pensions aux mères nécessiteuses, pour reprendre le langage de l’époque.

Du côté des idées, on voit souvent la période dominée par l’Église (en gros, 1840-1960) comme une période où elle règne sans partage.  Il suffit qu’elle lève le bout du doigt pour que tout marche à sa guise.  On n’a qu’à penser au roman Les demi-civilisés de Jean-Charles Harvey (1934), interdit à Québec (Harvey perdit aussitôt son emploi au Soleil), ou au manifeste Refus global en 1948 : là, c’est Paul-Émile Borduas qui perdit le sien à l’École du meuble, qui relevait alors du ministère dirigé par Paul Sauvé.

J’ai déjà dit que je considérais la période de l’entre-deux-guerres comme celle où l’Église catholique – et on pourrait sans doute dire la même chose des autres Églises – atteignit au Québec son summum.  Mais déjà, le ver est dans le fruit.  On le voit notamment par la courbe des vocations : celles-ci se mettent à diminuer fortement à partir des années 1940.  Certes, cela ne paraît pas trop au début, car les chiffres absolus continuent d’augmenter.  Mais en proportion de la population, ce n’est pas le cas, et le phénomène n’a pas échappé au clergé, qui doit dès lors multiplier les croisades de toute sorte en faveur des vocations.  Cet âge d’or se manifeste aussi par le mouvement missionnaire : c’est quand une société se sent forte qu’elle trouve approprié de vouloir étendre son modèle de civilisation à l’étranger.  Jamais le mouvement missionnaire n’a connu une telle ampleur au Québec que dans les années 1920 et 1930, dans le sillage d’ailleurs des directives du pape Pie XI, très actif (et avant-gardiste) en ce domaine.

Les années de la crise (1932-1936 surtout) sont décisives au niveau des idées au Québec.  Je pense par exemple au Programme de restauration sociale, issu de tout le mouvement de la doctrine sociale de l’Église (avec une encyclique comme Quadragesimo anno, en 1931), qui donne des ailes aux réformateurs sociaux.  On retrouve ici une des caractéristiques qui me frappent le plus dans l’évolution de notre histoire religieuse : ce sont souvent des membres du clergé qui sont à l’avant-garde des transformations sociales, y compris celles qui enlèvent du pouvoir à l’Église, au profit de l’État, donc de la collectivité.

On tient là un mot clé : «de la collectivité».  La vraie question, le véritable enjeu, devient alors peut-être : où la collectivité se retrouve-t-elle le plus?  dans l’Église ou dans l’État?  Cette façon d’aborder la question pourrait être intéressante, notamment pour la période 1940-1965.

La guerre et l’après-guerre transforment complètement la société.  La plus grande accession des femmes au marché du travail, l’urbanisation, la consommation, l’automobile, la télévision, transforment les mentalités.  Mais en même temps, l’Église catholique aussi connaît de grands renouveaux : on n’a qu’à penser, par exemple, aux mouvements d’Action catholique, avec un leader comme Claude Ryan (et on pourrait en nommer bien d’autres).

Et on arrive à la révolution tranquille, soit dans sa phase plus active, 1960-1970, soit dans son prolongement (jusqu’en 1985?  jusqu’à nos jours?).  Le grand phénomène, ici, pour moi, est celui de la sécularisation.  Laïcisation des structures (écoles, collèges, universités, hôpitaux, orphelinats, services sociaux), laïcisation des personnes.  Les années 1962 à 1974 environ sont celles où d’abord les frères enseignants, puis les prêtres, enfin les religieuses, se sécularisent en grand nombre.  Pour quelle raison?  Les raisons sont multiples, et d’ordre bien divers, allant de motivations personnelles à une déception devant le manque d’adaptation de l’Église à la société moderne.  Mais le résultat est le même : la société se sécularise.  La diminution des vocations est sans doute le phénomène qui a les conséquences les plus incalculables : on le voit bien aujourd’hui, au moment où on peut en mesurer les conséquences. Ces phénomènes touchent l’Église.

Bien plus importants sont les changements qui touchent les mentalités.  La vision du monde change du tout au tout, y compris pour les responsables religieux.  Qui aujourd’hui se soucie de «péché mortel» ou de crainte de l’enfer?  Qu’est-il arrivé de ce respect extraordinaire qu’on pouvait avoir pour le sacré, qu’on pense par exemple au sanctuaire dans une église ou au fait de toucher une hostie?  Des idées comme celle qu’il faut souffrir sur terre pour mériter le ciel ont peut-être encore cours, mais elles ne sont plus de mode et ne sont certainement pas encouragées par les responsables religieux.

Essayons pour un moment de nous transporter dans l’univers des jeunes d’aujourd’hui (pensons, par exemple, à des jeunes de 18 à 35 ans).  À moins que leurs parents soient très impliqués dans l’un ou l’autre mouvement religieux, ce qui peut être le cas, mais pour une toute petite minorité, ou à moins qu’ils ne fassent partie de communautés récemment immigrées (disons, depuis quarante ans), l’univers catholique, tel que nous l’entendons, existe à peine pour eux.  Je n’ai osé dire «l’univers religieux»...  Car les sociologues de la religion ont maintenant l’art – il faut bien sauver leur métier – de voir des manifestations du religieux, qu’ils définissent comme la quête d’absolu, partout, de la croyance à la réincarnation aux spectacles rock, pop ou rave où les jeunes se retrouvent en grand nombre et communient à je ne sais quelle grand’messe...

Un cas test qui permet aussi très bien de mesurer l’impact actuel du religieux au Québec est le débat (et surtout l’action) sur le patrimoine religieux.  Que faire de toutes ces églises et de tous ces couvents qui ne servent plus?  À qui appartiennent-ils au juste?  Qui doit en assumer l’entretien?  Ce sont là des questions concrètes et les réponses qu’on leur apporte est un des traits les plus significatifs pour mesurer l’attachement à certaines valeurs dans notre société.

Réflexions, interventions, échanges.

C. Quel sens peut-on donner à cette évolution?

Je n’en sais évidemment pas plus que vous à ce sujet.  L’historien découvre les faits, les phénomènes, les met en relation les uns avec les autres, en cherche les causes, les conséquences.  Mais pour ce qui est du sens de l’histoire, cela, je crois, est laissé à chacun, surtout aux philosophes de l’histoire, ce que je suis loin d’être.

Je peux tout de même risquer, à titre d’hypothèse et pour lancer le débat, qui pourra se poursuivre pendant le dîner, étant donné que le temps nous manquera manifestement pour aller au bout de nos idées, deux hypothèses.

Hypothèse A. 

L’histoire religieuse du Québec est faite de hauts et de bas. C’est un peu comme une courbe qui monte et qui descend, une courbe sinusoïdale.  Au 17e siècle, elle est montée très haut.  Puis, avec le 18e, elle est descendu très bas, pour atteindre un creux au début du 19e.  De 1820 à 1920, elle a connu une si forte remontée qu’on a pu croire, nous qui avons connu l’Église dans les années 1950, qu’elle avait toujours eu cette puissance qui semblait omnipotente.  À partir de 1920, de manière souterraine, mais de manière plus visible à partir de 1965, les structures de l’Église et sa puissance sur la société québécoise ont diminué considérablement.  La chute semble se poursuivre aujourd’hui avec des conséquences graves, puisque non seulement il n’y a plus de personnel religieux, mais on vend les édifices et les mentalités des jeunes ne comprennent même plus de références catholiques (pour un grand nombre, en tout cas).  Mais comme la mèche brûle encore et qu’il y a encore des communautés chrétiennes vivantes à travers tout le pays, on peut penser qu’un jour, il pourrait y avoir résurgence, comme cela s’est produit dans le passé.

Hypothèse B.

Une autre hypothèse peut venir à l’esprit.  Celle-ci part d’une prémisse à la Auguste Comte, qui voit dans l’effacement du phénomène religieux un progrès de l’humanité.  Dans cette vision des choses, qui est peut-être la plus répandue chez les intellectuels québécois aujourd’hui, la rencontre entre les missionnaires et les Amérindiens fut une catastrophe pour ceux-ci, réussissant presque à éteindre complètement leur civilisation.  La domination de l’Église sur le peuple, son maintien dans l’ignorance, son infantilisation, son aplaventrisme devant le pouvoir, la domination des consciences, sont autant de points négatifs dont la Révolution tranquille nous a heureusement débarrassés.

Aujourd’hui, on est devant la perspective de voir presque complètement s’effacer un mode d’encadrement des fidèles : d’ici trente ans, il n’y aura plus au Québec ni clergé ni communautés religieuses, et les Québécois ne s’en porteront pas plus mal.  Certes, il restera quelques bastions de religion populaire (l’Oratoire Saint-Joseph, Notre-Dame du Cap et Sainte-Anne de Beaupré), sans doute, il viendra ici des prêtres d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Asie, mais l’Église catholique deviendra un groupe de pression parmi d’autres, qui n’influencera pas plus la société que les autres.

En somme, la question peut se résumer en deux mots : extinction ou renouveau?  À chacun de s’en faire une idée ou d’émettre son hypothèse.

Échange.

Guy Laperrière

Département d’histoire

N’hésitez pas à communiquer avec moi si vous le désirez : Guy.Laperriere@USherbrooke.ca