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Former du personnel pour aider à la reconstruction d’Haïti

Claude Julie Bourque, chargée de cours à la Faculté d’éducation, mène une enquête terrain sur la formation professionnelle et technique dans la région du Sud-Est haïtien

Deux étudiantes de l'Université publique du Sud-Est à Jacmel, Nadine Saint-Germain et Louisena Gontrand, et le directeur de l'École professionnelle de Jacmel, Christian Duplan, dans l'un des ateliers du réseau coopératif APTECH à La Biche.
Deux étudiantes de l'Université publique du Sud-Est à Jacmel, Nadine Saint-Germain et Louisena Gontrand, et le directeur de l'École professionnelle de Jacmel, Christian Duplan, dans l'un des ateliers du réseau coopératif APTECH à La Biche.
Photo : fournie

Écoles effondrées, routes impraticables, infrastructures socio-sanitaires déficientes : trois ans après le séisme de janvier 2010, beaucoup de choses restent à reconstruire en Haïti. Face aux besoins criants, on pourrait croire que les perspectives d’insertion professionnelle des jeunes qui suivent une formation technique sont assurées. Mais la situation est tout sauf simple. Claude Julie Bourque, chargée de cours à la Faculté d’éducation, s’est rendue dans les moindres recoins de la région du sud-est d’Haïti. Elle constate que si l’offre de formation technique se déploie sous diverses formes, elle ne répond pas toujours aux besoins immédiats du pays, particulièrement dans le domaine de la construction et des infrastructures. Elle présentera deux conférences sur le sujet au congrès de l’Acfas, les 7 et 8 mai, à Québec.

Le casse-tête de la formation technique

Claude Julie Bourque est sociologue et docteure en éducation. Elle s’est rendue en Haïti dans le cadre du Programme de coopération volontaire (PCV2) financé par des organismes canadiens d’aide humanitaire. Son mandat était de voir quel était le taux d’insertion en emploi des personnes titulaires d’un diplôme de formation technique ou professionnelle. Cependant, la chercheuse a vite constaté qu’aucun organisme officiel ne pouvait fournir une liste à jour des écoles en activité dans la région ou des programmes de formation offerts.

Il lui a donc fallu former une équipe d’assistants de recherche à la faculté des sciences de la gestion de l’Université publique du Sud-Est à Jacmel et aller sur le terrain – notamment dans des lieux difficilement accessibles par la route – pour trouver quelles écoles étaient ouvertes, et quelles formations s’y donnaient.

«Ce travail nous a permis de constater qu’il y a énormément d’écoles, et ce, de plusieurs types : des écoles d’État qui offrent un peu de formation en mécanique automobile, en construction et en couture, dit-elle. Mais il existe aussi des écoles gérées par l’Église catholique et par d’autres organisations religieuses qui offrent divers programmes allant de l’informatique aux "arts ménagers". À cela s’ajoutent plusieurs écoles privées et les activités de formation spécifiques offertes par la coopération internationale.»

Déséquilibre et concurrence

Malgré la variété des formations, on note un certain déséquilibre et une inadéquation avec les besoins de main-d’œuvre. Par exemple, malgré de bonnes intentions au départ, les organisations de coopération internationale qui offrent des formations à la pièce concurrencent parfois les formations des écoles déjà établies localement, qui peinent à survivre.

Lors de son séjour en 2012, Claude Julie Bourque a constaté que le discours sur la relance du tourisme était très en vogue. Certains y fondaient beaucoup d’espoir. «On a vu des jeunes recrutés par un organisme de bienfaisance étatsunien suivre des cours en hôtellerie haut de gamme pour devenir sommeliers, dit-elle. Mais en réalité, il n’y a pas de marché pour cela et les hôteliers n’ont pas les moyens d’embaucher ces jeunes ni de les payer davantage parce qu’ils ont une formation pointue. Plusieurs acteurs du milieu touristique sont plutôt d’avis que si le rêve de recréer la Perle des Antilles est formidable, avant d’attirer les masses de touristes, il faut d’abord régler les besoins en infrastructures liées à la salubrité, au transport et à la sécurité.»

Or, les besoins immédiats de travailleurs qualifiés en construction sont criants : «Dans le Sud-Est, on fait venir des travailleurs du pays voisin, la République dominicaine, pour reconstruire les routes et les nouveaux bâtiments, alors que tant de jeunes ne demandent qu’à apprendre et à travailler», dit la chercheuse.

Lier le terrain aux sphères de décision

À Jacmel, l’école d’État qui offrait des cours de construction – dont un bon programme de maçonnerie – est un tas de gravats depuis plus de trois ans. Seuls des bureaux ont été reconstruits dans un petit bâtiment de brique, tandis que quelques cours sont donnés dans des tentes et des hangars. «Une bonne partie des équipements n’a pas pu être récupérée parce que la zone a été déclarée patrimoniale et interdite d’accès. Quant à l’édifice, personne ne peut y toucher, on ne peut pas le réparer ni le démolir. L’équipement est pris dans les décombres», relate la chercheuse.

Pour Claude Julie Bourque, cette situation illustre bien le décalage qui existe entre les besoins du terrain et les décideurs. Par exemple, l’école d’État de Jacmel a perdu le financement pour la reconstruction de nouveaux bâtiments parce qu’elle n’a pas pu obtenir les titres de propriété officiels du terrain offert par la municipalité malgré des mois d’efforts en ce sens. Cela dit, la chercheuse se dit très consciente des difficultés auxquelles fait face le gouvernement haïtien. Néanmoins, elle espère «humblement» que le constat de cette réalité, par le biais de la communication des résultats de la recherche aux décideurs, servira éventuellement à éclairer la mise en place de solutions durables.

Un «rapport Parent» pour une solution haïtienne?

L’étude qu’a menée Claude Julie Bourque en Haïti lui a rappelé la lecture du rapport Parent, qui a amené la réforme du système d’éducation au Québec dans les années 1960.

L'École professionnelle de Jacmel dispose maintenant d’un module de construction en maçonnerie chaînée installé qui soutient une série de formations spécialisées en construction antisismique, un projet de ONU Habitat.
L'École professionnelle de Jacmel dispose maintenant d’un module de construction en maçonnerie chaînée installé qui soutient une série de formations spécialisées en construction antisismique, un projet de ONU Habitat.
Photo : Claude Julie Bourque

«Quand on a fait le tour de la situation de l’offre de formation, à l’époque, c’était un peu anarchique, dit-elle. On trouvait un peu de tout, des écoles liées aux structures religieuses, et des programmes plus ou moins normés. Ça a pris un immense travail et beaucoup de temps pour mettre en place les nouvelles structures de formation professionnelle et technique que nous avons et qui continuent d’évoluer, dit-elle. Haïti se trouve à un carrefour semblable : ce ne sont pas les rapports ni les études qui manquent et encore moins le talent sur le terrain, mais une véritable stratégie pour mettre en place des solutions originales qui reflètent les besoins et les idéaux du peuple haïtien. Il y a malgré tout de très bonnes formations disponibles et des modèles intéressants qui ont été développés par des leaders bien formés et bien informés sur place à qui l’on ne donne malheureusement pas de moyens concrets d’agir.»

À titre d’exemple, afin de mieux former les travailleurs de la construction en contexte postséisme, les élèves de l'École professionnelle de Jacmel disposent maintenant d’un module de construction en maçonnerie chaînée installé de manière permanente. Cette installation réalisée par ONU Habitat soutient une série de formations spécialisées en construction antisismique. Un autre module du même type sera installé dans la ville de Jacmel pour permettre à toute la population de voir comment une construction doit être faite selon les règles de l’art, en observant ce travail en miniature.

«C'est un très beau projet, très pertinent, qui a un très grand potentiel pédagogique, autant pour les étudiants en construction que pour le grand public, et à un coût très raisonnable», conclut Claude Julie Bourque, qui revient tout juste d’un séjour de suivi de quelques semaines à Haïti.

Elle retournera à Haïti pour mettre à jour ses données, bonifier la formation en recherche-intervention aux étudiants de l’UPSEJ et rencontrer un chercheur britannique qui a recruté l’un des assistants de recherche qu’elle a formés. Ils travailleront avec le logiciel NVivo offert gracieusement par le développeur QSR International pour lequel la chercheuse est formatrice accréditée, tout comme le professeur Sylvain Bourdon avec qui elle donne des cours d’analyse qualitative avancés depuis 2007.

Une grande expertise en méthodologie de recherche s’est développée à la Faculté d’éducation de l’UdeS, ce qui se reflète dans le nouveau microprogramme de 3e cycle en méthodologie de la recherche, et ses activités contribuent au rayonnement international du savoir-faire d’ici.


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