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Portrait de l’enseignant Denis Audette

« Un éléphant, ça se mange une bouchée à la fois »

Denis Audette est enseignant au Centre universitaire de formation en environnement et développement durable (CUFE) depuis 2016. Il donne le cours « Enjeux environnementaux du Nord québécois » du programme de maîtrise en environnement. Il collabore également au cours de formation continue « Comment favoriser l’acceptabilité sociale d’un projet? », en particulier au chapitre des questions et des enjeux autochtones.

Il partage avec nous son parcours riche en expériences et la réalité particulière de son coin de pays, l’Abitibi, où il a influencé les façons de modeler le paysage.

Quel est votre domaine d'expertise?

Je me considère davantage comme un généraliste dans le domaine de l’environnement, car j’ai acquis des connaissances étendues de plusieurs sous-spécialités de l’environnement au cours des 30 dernières années, y compris, bien entendu, le milieu nordique et les nations autochtones qui y habitent depuis des millénaires. À cela s’ajoute la gestion intégrée des principales ressources naturelles de ce territoire, soit la forêt, les mines et l’hydroélectricité. Enfin, ma grande connaissance des processus d’évaluation environnementale et sociale en milieu nordique m’a amené à jouer un rôle proactif, dans le but de veiller à ce que les travaux et les ouvrages soient planifiés et réalisés à la lumière des préoccupations des populations qui y vivent et, bien entendu, dans le respect des principes fondamentaux de développement durable.

Avez-vous une réalisation personnelle ou professionnelle dont vous êtes particulièrement fier?

En participant à la planification et à la réalisation de la route 167 vers les monts Otish, j’ai mis à profit les compétences que j’avais acquises dans les différents ministères où j’ai travaillé (Environnement, Ressources naturelles, etc). J’ai également contribué à élever les standards de mesures d’atténuation des travaux en milieu nordique; je pense, entre autres, à l’aménagement (pour la toute première fois) de passages fauniques sur une route au nord du 50e parallèle et à l’installation de ponceaux avec déversoirs et bassins de dissipation en aval pour faciliter le libre passage du poisson. Aussi, grâce aux nombreux contacts que j’ai cultivés avec la communauté crie de Mistissini, j’ai compris l’importance d’intégrer le savoir traditionnel dans la planification d’une infrastructure routière. Enfin, le choix du MTQ de confier la construction de la moitié de la route à une communauté autochtone a confirmé la capacité des nations autochtones à effectuer des travaux dans le respect des exigences techniques et environnementales.

Sur le plan professionnel, j’apporte toujours une pointe d’humour dans mes conversations avec mes collègues fonctionnaires et professionnels afin que notre mandat de service à la population du Québec se fasse dans la bonne humeur, malgré les contraintes administratives. 

Quelle est votre formation, quel est votre parcours professionnel?

Je suis titulaire d’un baccalauréat en biologie de l’Université de Sherbrooke. Puis, en raison du contexte économique peu favorable au début des années 80, j’y ai poursuivi des études de maîtrise en environnement (7e cohorte) afin d’élargir mon champ de connaissances. J’ai commencé ma carrière professionnelle auprès d’une firme de génie-conseil; j’y ai appris l’importance de la notion fondamentale de « service à la clientèle », notion qui m’a d’ailleurs servi tout au long de ma carrière.

À la fin des années 80, après avoir entendu « l’appel du Nord », j’ai déménagé à Kuujjuaq pour me joindre à l’équipe de l’Administration régionale Kativik à titre de spécialiste en environnement. J’y ai fait la découverte d’un nouveau mode de vie, celui du peuple inuit, et des principaux enjeux environnementaux liés à la sédentarisation des 14 villages d’une région du Québec qu’on appelle aujourd’hui Nunavik : gestion des matières résiduelles, approvisionnement en eau potable, gestion des eaux usées, construction d’infrastructures aéroportuaires, exploitation minière sans planification environnementale des promoteurs…

En 1989, je suis revenu dans ma région natale, l’Abitibi, pour poursuivre ma carrière en biologie et en environnement et pour élargir mes connaissances dans différents ministères du gouvernement du Québec : Environnement (1989), Loisirs, Chasse et Pêche (1995) et Ressources naturelles (1999). Pendant plus de 20 ans, je me suis consacré à l’avancement d’une multitude de dossiers touchant le territoire d’Eeyou Istchee Baie-James et celui du Nunavik, et j’ai eu l’occasion de rencontrer et d’échanger avec les nations autochtones cries, inuites, algonquines et naskapies.

Mes proches et mes collègues en ont parfois marre de m’entendre dire « un éléphant, ça se mange une bouchée à la fois ». Quels que soient les défis à relever ou les procédures administratives à changer, la meilleure façon d’y arriver, c’est par étape. Mon parcours professionnel abonde en petites victoires obtenues à force de patience et de persévérance, dans une volonté de faire « bouger » la machine bureaucratique et d’instaurer de meilleures pratiques pour protéger l’environnement.

En 2009, j’ai voulu relever de nouveaux défis au Bureau de la coordination du Nord-du-Québec (BCNQ) du ministère des Transports du Québec (MTQ). Parmi les mandats clés qui m’ont été confiés, la coordination de la première étude d’évaluation environnementale et sociale associée au Plan Nord compte au nombre des défis professionnels les plus ambitieux et les plus exigeants que j’ai eu à relever dans les dernières années. L’étude se penchait sur le prolongement de la route 167, au nord de Chibougamau, en direction des monts Otish. Parallèlement, j’ai participé à la planification et à la réalisation de plusieurs travaux liés aux transports routier et aérien dans le Nord-du-Québec, et ce, avec une préoccupation d’intégrer, sur le terrain, les principes de développement durable.

Comment le goût d’enseigner est-il arrivé dans votre parcours?

J’ai toujours eu une soif d’apprendre et de communiquer mes connaissances. Étudiant au cégep, j’ai été moniteur pendant deux étés dans un camp de sciences naturelles en pleine nature. Cette expérience a été véritablement enrichissante tant au plan humain qu’éducatif, puisque le séjour des stagiaires et des moniteurs au camp durait de 7 à 14 jours, selon le groupe d’âge. Quelques décennies plus tard, quand l’Université de Sherbrooke m’a approché pour donner le premier cours sur les Enjeux environnementaux du Nord québécois peu après la mise en œuvre du Plan Nord, je me suis lancé dans cette belle aventure, et ce, malgré les contraintes logistiques. En effet, de 2016 à 2018, j’ai donné le cours selon une formule d’enseignement hybride, qui combinait déplacements entre Rouyn-Noranda et Longueuil ou Sherbrooke et cours à distance depuis le sous-sol de ma résidence.

Que souhaitez-vous transmettre à vos étudiants?

Deux axes principaux guident mon enseignement. Le premier repose sur l’importance de bien connaitre son passé afin d’agir adéquatement au présent et de mieux planifier notre futur; ainsi, la connaissance des relations passées avec les communautés autochtones occupe une place prépondérante dans mon cours.

Le second consiste à transmettre aux étudiantes et aux étudiants la pertinence du développement et de la protection des ressources naturelles, de façon concertée, en intégrant des jeux de rôles dans mon cours; les étudiantes et étudiants doivent prendre en compte les préoccupations des différents intervenants (communauté autochtone, promoteur, groupe environnemental, consultant, gouvernements fédéral et provincial) pour réaliser une meilleure planification en amont.

Quelles sont, selon vous, les compétences que doivent développer les futurs professionnels en environnement?

Les préoccupations en environnement évoluent au gré du temps. Pendant mes études de maîtrise, il était surtout question des pluies acides et du principe pollueur-payeur. Aujourd’hui, ce sont les changements climatiques et le marché du carbone qui retiennent l’attention. À mon avis, les futures ressources professionnelles en environnement devront mettre l’Humain en avant-plan pour affronter les enjeux du 21e siècle; cela implique de tenir compte des préoccupations des Autochtones qui habitent le territoire depuis des millénaires et que les gouvernements ont ignorés, voire tenté d’assimiler. Par ailleurs, ces ressources professionnelles devront intégrer la notion d’acceptabilité sociale dans le moindre processus de planification et de développement pour en assurer la pérennité.

Une lecture ou un documentaire que vous jugez incontournable à la compréhension des défis actuels en environnement?

Dans le contexte actuel où les défis en environnement s’accélèrent, je trouve important de s’outiller de « bonnes » façons d’influencer les changements, même à petite échelle. Je recommande l’ouvrage Le point de bascule (Tipping point dans sa version originale anglaise) du journaliste Malcolm Gladwell. De façon succincte, il explique, avec des exemples concrets, comment faire une grande différence en faisant de très petits gestes. L’ouvrage fournit des points d’ancrage précis à quiconque souhaite amorcer un mouvement qui fera boule de neige. Il prouve que, avec un peu d’imagination et un bon levier, il est possible de faire bouger le monde. Après votre lecture, vous comprendrez pourquoi le film L’Erreur Boréale de Richard Desjardins a contribué à améliorer les pratiques d’aménagement forestier.

Que faites-vous lorsque vous n’enseignez pas?

Côté personnel, mes rapports professionnels avec plusieurs communautés autochtones des 30 dernières années me ramènent aux « vraies » valeurs et me rappellent l’importance de se ressourcer dans la nature. Que je fasse une marche en famille ou avec des amis ou une randonnée en raquettes, en solitaire, c’est dans la nature que je réussis le mieux à charger mes « batteries », sans devoir creuser une mine de lithium!

Autre chose que vous aimeriez partager avec nos lecteurs?
Je ne peux pas passer sous silence les conséquences que la pandémie de Covid-19 ont eues sur notre vie personnelle et professionnelle au cours des deux dernières années. Quelle leçon doit-on tirer de cette situation, qui se poursuit dans un contexte où les changements climatiques sont une réalité? À mon humble avis, il faut continuer de faire preuve d’optimisme, car les « points de bascule » sont déjà en marche tant à l’échelle mondiale avec la COP26 ou à l’échelle locale, avec le mouvement vireauvert.org qui, grâce à une initiative de mobilisation citoyenne, a su mettre les enjeux environnementaux au cœur de plusieurs élections municipales au Québec.


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