«Nous menons une guerre contre la nature. Si nous la gagnons, nous sommes perdus» – Hubert Reeves
L'UdeS a décerné un doctorat d'honneur au célèbre astrophysicien
L'astrophysicien Hubert Reeves a reçu, le 19 octobre, un doctorat honorifique de l'Université de Sherbrooke visant à souligner la qualité de son parcours scientifique et la justesse de ses interventions dans le domaine de l'environnement et de la lutte aux changements climatiques. Le nom d'Hubert Reeves a de multiples résonances, a fait valoir la rectrice Luce Samoisette, lors de son éloge. «Il évoque avant tout l'immense talent de vulgarisateur d'un homme dont les connaissances approfondies n'ont jamais ébranlé l'humilité, a-t-elle souligné. Son apport remarquable à nos connaissances sur l'univers et la conviction éclairée qu'il partage dans sa défense de l'environnement sont des faits d'armes qui rejaillissent sur tous les universitaires.» Après la cérémonie, l'éminent chercheur a offert à la communauté universitaire une conférence illustrant parfaitement les grandes qualités soulignées par la rectrice.
Pour Hubert Reeves, l'humanité est en train de compromettre la biodiversité et sa propre survie : «Nous saccageons notre planète. Nous avons entrepris une guerre contre la nature. Si nous la gagnons, nous sommes perdus.» Comment pourrait-on renverser cette tendance? Peut-être en s'inspirant des mécanismes naturels ayant modelé l'évolution de l'univers!
Aristote et le big bang
Notre compréhension de la formation de l'Univers a été grandement influencée par des découvertes majeures survenues au 20e siècle, a expliqué Hubert Reeves aux quelque 300 spectateurs. Les théories du big bang et celle de l'expansion de l'Univers – les galaxies s'éloignant les unes des autres – ont alors déclassé la pensée dominante à l'effet que l'univers dans son ensemble avait toujours existé tel quel, et allait durer pour toujours. Cette conception avait été établie par Aristote trois siècles avant notre ère.
Hubert Reeves a souligné qu'au départ, la théorie du big bang n'a pas fait l'unanimité chez les scientifiques, certains la trouvant «sulfureuse, voire biblique»! Aujourd'hui, elle rallie la communauté scientifique. Il ne faut toutefois pas voir la théorie du big bang comme «une vérité», a précisé l'astrophysicien, mais plutôt comme celle qui a «la plus grande crédibilité». Cette crédibilité a été renforcée par la découverte, en 1965, du «rayonnement fossile», alors qu'on a observé des photons de lumière voyageant dans l'univers depuis 13,7 milliards d'années. C'est-à-dire l'âge du cosmos.
Rencontres et propriétés émergentes
Le récit de la formation de l'univers est fascinant et met en scène une succession de «rencontres» ayant permis l'émergence perpétuelle de nouveaux éléments. En somme, «c'est l'histoire de la nature qui s'organise», a résumé l'astrophysicien. Parmi ces «rencontres», notons celle des quarks, des neutrons et des protons se combinant pour faire naître les premiers noyaux d'atome. Ces atomes s'associent ensuite pour engendrer des molécules, qui permettent à leur tour l'apparition des cellules vivantes. Ces rencontres ont toutes eu pour résultat de permettre l'apparition de «propriétés émergentes», a poursuivi Hubert Reeves. «Par exemple, si l'on prend une molécule d'eau, elle présente des propriétés uniques qui sont très différentes de celles qu'on retrouve dans la seule molécule d'hydrogène – ou d'oxygène – qui, ensemble, composent l'eau», a-t-il dit.
Mais à quoi tient cette succession de rencontres ayant conduit à l'apparition de la vie sur terre et ultimement à celle de l'humanité? Hubert Reeves répond avec un petit sourire, en citant le philosophe grec Démocrite, qui a dit un jour : «Tout arrive par hasard et par nécessité.» L'astrophysicien affirme que notre compréhension de l'univers confirme ce précepte, et que la nature obéit à la fois à certaines règles fixes et à des phénomènes aléatoires. À preuve, le fait que les flocons de neige sont tous différents mais ont la caractéristique commune d'avoir presque toujours une forme hexagonale à six pointes.
Terre humaine
Si le hasard et la nécessité ont amené la nature à créer une biodiversité abondante, en parallèle, la position dominante de l'humanité constitue une menace alors que l'on assiste à «une érosion de la biodiversité». Le chercheur cite l'exemple de l'utilisation des pesticides qui entraînent la disparition des vers de terre. «Les vers de terre jouent un rôle important dans l'oxygénation des sols, notamment pour l'agriculture, dit-il. Hélas, leur disparition ne fait pas la une des journaux, même si les conséquences futures risquent d'être plus grandes que la disparition du tigre du Bengale ou des ours polaires!»
Citant une étude de 2008 qui établissait que 50 % des espèces vivantes pourraient avoir disparu à la fin de ce siècle, Hubert Reeves enchaîne avec ce constat : «On peut avoir l'assurance que la vie – quelle qu'en soit la forme – va continuer sur terre. Mais l'humain, quant à lui, pourrait disparaître.»
Comme des artistes
Peut-on encore espérer renverser la vapeur de la détérioration accélérée de la biosphère? Hubert Reeves a salué l'éveil écologique survenu depuis quelques décennies avec l'apparition de groupes de défense de l'environnement. Il a souligné au passage les efforts de développement durable déployés à l'Université de Sherbrooke.
Pour clore sa présentation, Hubert Reeves a fait écho au thème de sa conférence : Cosmologie et créativité. Selon lui, il nous faut agir un peu comme des artistes, en prolongeant l'activité de la nature. Bach, en associant des notes, ou Van Gogh, en combinant des taches de couleurs, ont employé des mécanismes semblables de hasard et de nécessité pour créer des œuvres magistrales que l'on apprécie encore aujourd'hui. L'astrophysicien croit qu'il faut s'inspirer de ces créateurs pour modeler notre monde : «L'artiste prolonge l'œuvre de la nature. Il embellit le monde!» a-t-il conclu.