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Observer la naissance des structures d'ARN grâce à la lumière

Le professeur Daniel Lafontaine, M. Patrick St-Pierre, professionnel de recherche et Mme Elsa Hien, étudiante au doctorat ayant participé à l'étude. Absent de la photo : Adrien Chauvier, étudiant au doctorat au moment de l'étude.
Le professeur Daniel Lafontaine, M. Patrick St-Pierre, professionnel de recherche et Mme Elsa Hien, étudiante au doctorat ayant participé à l'étude. Absent de la photo : Adrien Chauvier, étudiant au doctorat au moment de l'étude.
Photo : Michel Caron

Afin d'étudier les macromolécules biologiques, les scientifiques doivent généralement les produire en laboratoire. Et pour s’assurer d’en obtenir une bonne quantité, ils n’ont souvent d’autre choix que de recourir à des conditions artificielles, une approche qui ne permet toutefois pas d'étudier la façon dont les molécules sont fabriquées naturellement, comme dans une cellule vivante. Ni de comprendre le rôle biologique de ces molécules, comme dans le cas des structures d'ARN impliquées dans une multitude de mécanismes cellulaires. Convaincu de la possibilité d’observer, directement à partir de l’ADN et de l’ARN polymérase, la création naturelle de structures d’ARN, le chercheur Daniel Lafontaine, lui, voulait aller plus loin. Seize années plus tard, le professeur Lafontaine, en collaboration avec le professeur Carlos Penedo de la St-Andrews University, en Écosse, a finalement réussi à accomplir ce qui était réputé impossible : observer la naissance des structures d’ARN.

Une idée lumineuse

L'acide ribonucléique (ARN) est une molécule importante, qu’on a longtemps considérée comme un simple messager cellulaire. Or il est maintenant clair que cette molécule est très impliquée dans plusieurs processus biologiques importants pour la vie sous toutes ses formes. On constate que l'ARN exerce plusieurs fonctions biologiques, par la formation de structures tridimensionnelles complexes. Daniel Lafontaine a alors eu l’idée d’introduire des petites molécules fluorescentes dans les brins d'ARN naissants. En captant les déplacements des fluorophores dans le temps et dans l’espace, on peut voir comment le brin d’ARN se crée et se replie, un peu comme on verrait un long bout de laine former un nœud.

Les chercheurs ont ainsi réussi à établir une nouvelle méthode expérimentale permettant d'observer, à l'aide d'un microscope et d'une caméra CCD (charge-coupled device), la formation des structures d'ARN en temps réel, au cours de leur transcription.

Réaliser l’impossible

Tout commence en 2005, lorsque Daniel Lafontaine entreprend d’étudier les structures d’ARN pendant qu’elles sont en train de naître. Comme il est à la University of Dundee au Royaume-Uni pendant l'été en tant que visiting scientist dans son ancien laboratoire postdoctoral, il partage cette idée à ses collègues. D’emblée, ceux-ci jugent que ce projet s'annonce très difficile, voire impossible. Il rencontre par la suite le chercheur postdoctoral Carlos Penedo, un biophysicien. Au cours d'une discussion dans un pub écossais, ce dernier est alors persuadé du potentiel du projet, auquel qu'il accepte de se joindre. Peu de temps après, il accepte un poste de professeur à la St-Andrews University et collabore avec Daniel Lafontaine pour continuer les recherches.

Pendant la dizaine d’années qui suit, l'équipe du professeur Lafontaine réalise quelques expériences importantes pour démontrer la faisabilité du projet. Puis, Daniel Lafontaine décide de consacrer les activités de son laboratoire plus activement au problème. Tous les jours, les étudiantes et étudiants dédiés au projet travaillent avec acharnement au laboratoire, mais c’est toujours sans succès. De plus, le professeur Penedo visite l'équipe à plusieurs reprises au cours de ces années afin de développer l'expertise en biophysique de l'équipe, ce qui est primordial afin de faire avancer le projet.

Entre temps, Daniel Lafontaine assiste à quelques congrès, où il discute avec d’autres scientifiques, et tous lui disent la même chose : ce qu’il veut accomplir est très compliqué. Le professeur Lafontaine voit toutefois la situation d’un œil différent : si tout le monde pense que c’est impossible, ça veut donc dire que lui et ses collaborateurs seront les premiers à y arriver.

Naissance des travaux avec la fluorescence

M. Patrick St-Pierre, professionnel de recherche, au microscope ayant servi lors de la recherche. Le laser est utilisé pour stimuler la fluorescence.
M. Patrick St-Pierre, professionnel de recherche, au microscope ayant servi lors de la recherche. Le laser est utilisé pour stimuler la fluorescence.
Photo : Michel Caron

Comme dans tout projet de recherche fondamentale, Daniel Lafontaine et son équipe ont rencontré plusieurs difficultés qui ont souvent remis la validité du projet en question. Malgré la perte de motivation et les doutes des gens engagés dans le projet, Daniel Lafontaine continue d'encourager son équipe à y travailler pour encore plusieurs mois. Cette période s'avère très intense. En effet, tous les jours, l'équipe de Sherbrooke envoie en fin de journée des données au professeur Penedo, qui les analyse immédiatement. Puisqu'il y a 5 heures de décalage entre l'Écosse et le Québec, l'équipe de Sherbrooke reçoit donc les données analysées le matin suivant, ce qui permet d'émettre de nouvelles hypothèses et de les tester sur-le-champ.

C’est la ténacité de l’équipe, notamment les contributions d'Adrien Chauvier, étudiant au doctorat, et de Patrick St-Pierre, professionnel de recherche, qui nous ont permis d’observer la naissance des structures d’ARN dans un contexte transcriptionnel. Je suis très fier du travail accompli par tous nos contributeurs et contributrices.

Professeur Daniel Lafontaine

L'équipe de Daniel Lafontaine a récemment publié cette avancée scientifique dans la prestigieuse revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America. Selon l'équipe, la clé du succès réside dans l'intégration de plusieurs petites étapes importantes reposant sur des notions de chimie, de biologie moléculaire et de biophysique. De plus, selon Daniel Lafontaine, il est clair que le projet n'aurait pu naître sans cette complicité qu'il entretient depuis 2005 avec son collègue Carlos Penedo.

Grâce à cette avancée scientifique, il sera désormais possible d'étudier des phénomènes biologiques jusque-là jugés impossibles. En outre, cette nouvelle approche permettra d'en apprendre davantage sur l'importance des structures d'ARN, retrouvées tant dans les bactéries et les virus que chez l'humain.


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