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Faire parler la douleur

Les personnes atteintes de fibromyalgie en ont long à dire sur la douleur. La douleur qu'elles ressentent est si persistante que bien souvent, elles sont incapables de poursuivre leurs activités professionnelles. De plus, ces personnes souffrent des préjugés qui entourent la maladie : «La fibromyalgie, c'est dans la tête que ça se passe!»

Les nerfs en jeu

Philippe Goffaux
Philippe Goffaux
Photo : Michel Caron

Selon le neuropsychologue Philippe Goffaux, la fibromyalgie est mal appréciée par la population et le corps médical. «Les tests utilisés pour poser le diagnostic sont inadéquats, affirme-t-il. Ils ne tiennent pas compte de la moelle épinière – qui est le prolongement de notre cerveau – dans laquelle on observe pourtant des phénomènes neurophysiologiques importants.» La fibromyalgie n'aurait pas que des composantes psychogènes : elle serait aussi modulée par un dysfonctionnement physiologique bien réel.

Philippe Goffaux est professeur au Département de chirurgie de la Faculté de médecine et des sciences de la santé depuis juin 2009. Il est aussi chercheur au Centre de recherche clinique Étienne-Le Bel du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke. Le professeur Goffaux fait partie des nouveaux chercheurs boursiers du Fonds de recherche sur la santé du Québec (2010-2011). À ses yeux, la fibromyalgie, qui affecte 900 000 Canadiens, est un terrain formidable pour démêler les rôles de nos différences psychologiques et physiologiques lorsque nous sommes confrontés à la douleur.

Une question de perception?

«Notre interprétation de la réalité détermine en partie ce que nous ressentons, signale Philippe Goffaux. Cette perception dépend de deux choses : ce qui affecte notre système nerveux central et la manière dont notre cerveau traite ces stimulis.»

Dans le cadre de projets récents, le chercheur a démontré que le simple fait d'anticiper une sensation désagréable peut empêcher notre système interne de contrôle de la douleur de faire son travail. Ce mécanisme, responsable de libérer les endorphines qui ont un effet analgésique, serait ainsi inhibé par notre perception de la réalité.

Or, si la psyché conditionne bel et bien les réactions du corps, cela ne se produit pas toujours en faveur d'une sensation accrue de douleur. Étonnamment, Philippe Goffaux a découvert que les individus atteints de fibromyalgie arrivent à dompter leur réponse déficiente à la douleur.

«Elles arrivent à ressentir un certain soulagement lorsqu'elles anticipent la venue d'un stimulus de douleur, dit-il. Pourtant, nos mesures indiquent que les fibres de la moelle épinière sont hypersensibles.» Leur corps gère véritablement une souffrance, mais leur cerveau arrive à l'atténuer.

Cette percée suggère que le cerveau des personnes atteintes de fibromyalgie a besoin de réévaluer le signal de douleur pour déclencher le mécanisme de soulagement. «On ne peut plus dire qu'elles souffrent d'un désordre psychologique ou pseudo-neurologique, dit le professeur. C'est une maladie qui a de nombreuses composantes et qui implique des changements organiques vérifiables scientifiquement.»

Le rôle des variables individuelles

À présent, Philippe Goffaux s'attaque à déterminer laquelle, de la douleur perçue par le cerveau ou de celle perçue neurophysiologiquement, est privilégiée. En étudiant les réactions d'individus en santé et celles d'autres qui côtoient la douleur, Philippe Goffaux espère concevoir un modèle qui permettra de prédire les individus à risque de développer de la douleur chronique.

Son équipe examine des variables psychologiques telles que l'hypervigilance, la propension aux pensées catastrophiques, l'anxiété et la dépression. Les participants fibromyalgiques – au nombre de 100 environ – sont aussi soumis à de brèves pulsations électriques afin de mesurer l'activité des cellules de leur moelle épinière.

«La technologie permet aujourd'hui de dégager des variables qui paraissaient auparavant inextricables, fait remarquer le professeur Goffaux. Je suis confiant qu'un jour, nous arriverons à mettre au point des traitements plus efficaces pour les personnes qui vivent avec la douleur chronique.»