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Apprendre à prendre soin, la devise de Julie Lane face à la COVID-19

Centre RBC d'expertise universitaire en santé mentale jeunesse

16 avril 2020 | Nouvelles UdeS


Comment réagir, quand on dirige un centre axé sur la santé mentale des jeunes, que le bien-être des autres est tatoué sur notre cœur, et que le monde sur pause semble s’écrouler autour d’eux?

On leur offre un kit de survie adapté, spécial santé mentale.

Et ça, Julie Lane y parvient grâce à un plan d’action d’urgence, qui met les ressources du Centre RBC d’expertise en santé mentale jeunesse au service des jeunes personnes confinées… et des moins jeunes.

« Un contexte où un adolescent, par exemple, est collé presque sans arrêt sur ses parents, c’est sûr que ça générera des tensions. Au Centre RBC, on peut outiller l’ado, avec des techniques de communication non violente, pour qu’il exprime ses frustrations d’une façon qui l’en libère. Et ça maximise aussi ses chances de recevoir une réponse positive! »
- Julie Lane, professeure à la Faculté d’éducation et directrice du Centre RBC d’expertise en santé mentale jeunesse

Après avoir réajusté ou repoussé ses projets en cours pour répondre aux mesures de sécurité en santé publique, l’équipe du Centre RBC a décidé de plonger au cœur de la crise actuelle. Sa mission? Outiller les jeunes pour qu’ils composent mieux avec le stress et l’anxiété générés par le contexte. 

« Prendre soin de soi ou des autres, c’est souvent dur, même pour les adultes. On le voit, juste avec les statistiques sur le suicide à travers le monde – un autre genre de pandémie… Ça demande de développer des stratégies tout au long de nos vies. C’est ce qu’on veut permettre aux jeunes : apprendre à prendre soin. »
- Julie Lane

Des projets pour tous les jeunes

Avec un premier projet, qu'il réalise en partenariat avec le Centre universitaire d'enrichissement de la formation à la recherche et le Service de psychologie et d'orientation, le Centre RBC s’adresse directement à la communauté de jeunes la plus proche de lui, soit les étudiantes et étudiants universitaires. Au programme des prochaines semaines : capsules vidéo, ateliers virtuels et suggestions d’applications reconnues de méditation ou de gestion du stress.

Un second projet lancé par le Centre s’incrit aussi dans la logique d’apprendre à prendre soin. Sur la page Facebook du Centre RBC, une invitation est lancée aux jeunes du primaire et du secondaire, mais aussi des institutions d’enseignement supérieur : à l’aide d’une vidéo ou d’une photo, dites-nous comment vous prenez soin de vous et de vos proches. Décrivez-nous comment vous ressentez les choses.

Et si vous rêviez un tout petit peu, comment amélioreriez-vous la situation?

Les bienfaits potentiels de cette initiative sont multiples :

  • Amener les jeunes à voir la situation sous un angle positif;
  • Susciter chez eux le sentiment d’accomplissement;
  • Appuyer le développement de leur capacité d’autorégulation et de leur conscience de soi;
  • Inspirer d’autres jeunes, avec les vidéos et photos partagées, à mieux prendre soin d’eux-mêmes et de leurs proches.   

La démarche permettra aussi de documenter ces différentes stratégies d’adaptation des jeunes… C’est là une base formidable pour d’autres outils, créés d’une certaine façon par les jeunes, pour les jeunes. Et c’est particulièrement précieux. 

Une clientèle vulnérable

En effet, que les jeunes forment le public cible principal du Centre RBC ne doit rien au hasard. Cette partie de la population combat des troubles anxieux très tôt dans son cheminement, ce qui occasionne plusieurs difficultés de fonctionnement, susceptibles de s’aggraver au cours de la vie. 

L’anxiété des jeunes du Québec en chiffres
- 17 % des élèves du secondaire ont reçu la confirmation médicale d’un trouble anxieux; 
- 35 % de la communauté étudiante du collégial souffrirait d’anxiété, souvent ou en tout temps;
- 58 % des étudiantes et étudiants universitaires vivent un niveau élevé de détresse psychologique;
- 20 % des personnes aux études universitaires ressentent des symptômes dépressifs assez graves pour avoir recours à un soutien médical ou psychologique.

C’est donc dire que, même sans pandémie, le Centre RBC a toute sa raison d’être. Depuis 2018, Julie Lane le dirige avec tout ce qu’elle a d’empathie, de bienveillance et de curiosité. En ces temps particulièrement troublés, la professeure Lane appelle à l’humanité et à la nuance : « Ce contexte suscite solidarité et soutien autant que souffrance et isolement. Nous gagnons à demeurer calmes et rassurants, à nuancer notre vision des autres pour éviter la polarisation… »

« Si vous remarquez des proches ou des collègues qui s’isolent ou chez qui s’accroissent les symptômes de troubles anxieux, posez de petits gestes, très simples, mais qui changent parfois tout. Planifiez des périodes d’échange, par téléphone ou vidéoconférence. Écoutez-les attentivement. Si ça vous semble pertinent, orientez-les vers les services appropriés… Prenez le temps! »

Prendre le temps, c’est une des aspirations de Julie.

De centre naissant à centre adolescent

Elle prend le temps de concocter la meilleure réponse possible aux besoins du milieu en matière de santé mentale.

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De l'université à la santé... à l'université

Elle a pris son temps pour revenir dans le milieu universitaire.

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D'apprentissages et de gens : écouter, changer, contribuer

Elle prend son temps pour savourer chaque moment magique avec les gens qui l’entourent.

 

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De centre naissant à centre adolescent

Le Centre RBC vise le mieux-être des jeunes aux prises avec des problèmes de santé mentale, qu’ils soient au primaire, au secondaire, à l’université ou hors du cursus scolaire. Des projets, le Centre RBC en mène beaucoup. 

Parmi ceux-là se trouvent le groupe 5@7, pour de jeunes adultes en quête de liens significatifs, et le programme HORS-PISTE, un programme en 2 temps pour épauler les jeunes des écoles québécoises

À noter qu’une initiative concertée entre les 5 institutions d’enseignement supérieur de l’Estrie vise aussi tout spécialement le bien-être psychologique des étudiantes et étudiants universitaires.

Ces projets ont été mis à jour après les plus grosses mesures de santé publique. Leur formule a parfois migré vers un lieu virtuel ou mise à profit pour répondre temporairement aux besoins précis créés par le contexte.

Mais, dans tous les cas, Julie vibre quand elle parle du Centre et de tout le bien qu’il apporte à la communauté.

Le Centre RBC selon Julie

Que fait le Centre RBC dans la vie des jeunes? Il travaille avec des partenaires du milieu afin d’identifier des besoins réels sur le plan de la santé mentale. Après avoir épluché les options les plus prometteuses parmi celles proposées par la science ou les meilleures pratiques, il propose un plan d’action adapté à la situation. 

Le groupe 5@7

Des jeunes « au parcours atypique » ont exprimé le besoin de tisser des liens sociaux significatifs et motivants. Ainsi est né le groupe 5@7. Le mardi, ses membres se réunissent et profitent de leur rencontre pour bâtir un projet. 

Leur premier projet est le documentaire L’envol, sur la transition à l’âge adulte. Ils l’ont produit de A à Z, alors qu’aucun membre n’avait vraiment d’expérience en la matière.

« Quand pas mal tout le monde voit le documentaire, les gens réalisent la sagesse que ces jeunes-là portent en eux. »

Signe de cette réception positive, le groupe 5@7 a été invité à présenter son documentaire dans plusieurs colloques et festivals.

À l’écoute de discussions rétrospectives sur les apprentissages réalisés par les membres, Julie a compris que leurs expériences gagnaient à être diffusées dans le monde de la recherche… Comment proposer aux membres du groupe une étude, alors que « l’évaluation a une connotation négative, avec ce qu’ils ont vécu parfois en santé mentale »? Ils et elles cosigneront un article avec la professeure Lane. 

Plusieurs rencontres ont déjà eu lieu, chacune générant son lot d’émotions. « Ces jeunes-là vont parler du groupe en disant “C’est ma famille. Je n’ai jamais eu de liens comme ça.” » Plusieurs mentionnent aussi le sentiment de réalisation qu’ils éprouvent grâce aux projets collectifs. 

Mais tout n’est pas rose dans leurs commentaires. « Il y en a un qui m’a nommé “Tsé, Julie, sur la chaîne de montage, les modèles qui sont parfaits, qu’on rejette… Nous autres, c’est ça.” »

Il va falloir, dans la prochaine année, les amener à voir que leur parcours sinueux a fait d’eux des artistes, des gens qui portent quelque chose que quelqu’un au parcours “straight” n’a pas eu.

Et la professeure de citer Nietsche : « Ça prend un chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse. »

Le programme HORS-PISTE

Construit pour répondre à la problématique envahissante de l’anxiété chez les élèves au secondaire, le programme HORS-PISTE a pris beaucoup d’envergure dans les derniers mois. Commencé à Sherbrooke, il s’étendra à plusieurs régions avant de devenir national.

Le programme HORS-PISTE compte 2 volets :

  • Son 1er volet est constitué d’ateliers offerts à l’ensemble des élèves. Ils y découvrent des pistes pour mieux se connaître, réguler leurs émotions, gérer leur stress et leur anxiété, notamment en comprenant bien leurs déclencheurs;
  • Son 2e volet propose des interventions en petits groupes à 8 élèves particulièrement vulnérables... et à leurs parents!

Au total, ce sont environ 12 projets que mène de front l’équipe du Centre RBC.

Cette équipe a bien grandi depuis les 2 dernières années, passant de 3 personnes à 13, en 2019, puis à 18 en 2020! Comment? Julie a une force précieuse : elle excelle à dénicher du financement. Elle espère voir l’équipe grandir encore et encore, développant d’autant sa capacité à mettre sur pied des projets pertinents.

Quand elle réfléchit à son évolution professionnelle, comme professeure, elle souhaite nourrir la culture du transfert des connaissances, notamment en formant les personnes étudiant aux cycles supérieures en la matière, puisqu’elles seront les chercheuses et les chercheurs de demain!


De l'université à la santé... à l'université

Personne n'aurait parié que Julie Lane deviendrait chercheuse, professeure à l'université. Personne, surtout pas... Julie Lane.

Mais elle s’est reconnue dans la direction que prend l’UdeS et le changement de culture qui fait vibrer l’institution. Ils tendent vers l’objectif professionnel qui l’anime elle aussi : contribuer au bien-être de la société.

Le parcours de Julie

Après un parcours jusqu’au collégial où elle se débrouille sans s’investir, Julie Lane atterrit sur les bancs de l’université… et devient mère. Portée par son désir d’être un modèle pour ses filles, elle s’implique à fond dans ses études. Et ses professeurs la remarquent. Ils lui suggèrent de pousser à la maîtrise, puis au doctorat.

Pendant son cheminement, elle participe à plusieurs recherches et donne des charges de cours. Elle constate que le transfert de connaissances a peu de place dans le contexte universitaire de l’époque. Son inconfort face à ce constat la pousse à quitter l’université pour un monde où elle se sent plus utile : la santé et les services sociaux. Pendant 15 ans, elle y développera une expertise unique en transfert des connaissances, qu’elle utilisera pour entraîner des changements de pratiques. Son équipe et ses projets grandissent peu à peu.

Puis, le téléphone sonne : au bout du fil, Robert Pauzé, directeur du Centre RBC.

Robert Pauzé prend bientôt sa retraite. Il propose à Julie d’envisager devenir professeure et, surtout, de le remplacer à la tête du Centre RBC. Flattée mais sceptique, Julie explore doucement le monde universitaire qu’elle a laissé derrière elle il y a longtemps déjà… et le découvre changé.

« Je ne pensais pas voir de mon vivant qu’on positionnait l’université au service de la société. Dans la planification stratégique, on nomme l’importance du transfert des connaissances, l’importance de la proximité de l’université avec les communautés. »

La professeure Lane décide de se lancer dans le processus d’embauche, pour voir… Lors de son entrevue, elle teste même les limites de son auditoire, constitué surtout des doyens et doyennes des facultés qui soutiennent le Centre RBC. Non seulement passe-t-elle le test, mais elle reçoit le poste.

Depuis 2018, elle côtoie à l’UdeS des individus aussi résolus qu’elle à changer le monde, en prenant soin des autres. Elle compte bien, aussi, participer à valoriser et à faciliter le transfert de connaissances entre l’université et la société.


D’apprentissages et de gens : écouter, changer, contribuer

Les expériences vécues auprès d'autres humains, particulièrement des enfants, marquent profondément Julie Lane. Celle vécue lors d'un séjour au Mali, comme en témoigne la photo ci-dessus, l'accompagne encore.

Toute sa carrière et ce qu'elle en tire reposent sur ces besoins d'apprendre et d'aider l'autre, qu’elle aborde avec humanité et humilité.

Les bonheurs professionnels de Julie

Le plus gros bonheur professionnel de Julie Lane? Les gens, ceux qui travaillent pour que toutes les voix soient entendues, surtout celles qui parlent moins fort ou qui dérangent. Et ces gens, elle les a croisés à plein d’occasions dans son parcours.

En 1998, ils étudient en adaptation scolaire et sociale et participent à un cours qu’elle donne, comme chargée de cours. Ils lui demandent de les aider à monter un projet de collaboration internationale. Elle se retrouvera avec son groupe au Mali, pour répondre aux besoins d’une école là-bas. Elle y rencontre une communauté qui brille par sa générosité, malgré une pauvreté extrême. Et ces deux extrêmes – le beau et la misère – l’émeuvent toujours beaucoup. 

Depuis son entrée en poste, elle se réjouit de côtoyer, au quotidien, beaucoup de ce qui exalte l’être humain. Elle expérimente, jour après jour, le pouvoir d’une expertise très pointue en santé mentale, lorsqu’elle travaille avec des professeurs et professeures. Et, à fréquenter autant de savoirs, elle comble aussi sa curiosité, sa soif d’apprendre, qui est au cœur de son parcours professionnel et qui lui permet d’avoir un point de vue global sur une problématique.

Parmi les accomplissements de ce parcours professionnel se trouve le Prix méritas Hommage de l’Association québécoise de prévention du suicide (AQPS). Avec ce prix, l’AQPS salue une initiative en prévention du suicide qu’a pilotée la professeure Lane. Grâce à des guides d’intervention et à des formations – visant autant le personnel professionnel que cadre du système de la santé et des services sociaux –, l’équipe de la professeure Lane a participé, selon l’AQPS, à la diminution des taux de suicide au Québec.

Mais tout n’est pas toujours rose, quand on fait du transfert de connaissances. Comme chaque projet vise ultimement à entraîner un changement, la résistance se fait toujours sentir. « Quand, dans votre vie, vous voulez changer une habitude, vous le voyez comment ce n’est pas simple », illustre Julie Lane.

«Si, dans un projet, c’est le calme plat, c’est que ça ne marche pas. C’est clair. »

D’abord frustrée par ces résistances, Julie Lane a changé de point de vue, influencée par une partenaire de travail : « “Il n’y a aucun réfractaire. Il y a juste des gens pour qui ça ne fait pas encore sens.” J’essaie de trouver le bon argument, la bonne façon d’amener les choses, pour que ça fasse sens. »