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Concours de vulgarisation scientifique 2015 | finaliste

La télomérase : l’enzyme essentielle à la vie

L’immortalité cellulaire se dévoile grâce aux télomères.
L’immortalité cellulaire se dévoile grâce aux télomères.
Photo : Hélène Beaudet

Les seules cellules de notre corps qui peuvent naturellement se multiplier de manière infinie sont les cellules dites « germinales ».  Ces cellules germinales produisent les spermatozoïdes et les ovules qui, lors de la fécondation, vont fusionner et se multiplier pour donner un nouvel être humain. Chaque nouvel être humain doit lui-même pouvoir se reproduire et posséder des cellules germinales : ce sont donc des cellules immortelles. Cette immortalité requiert une enzyme particulière, qu’on appelle la télomérase.

La télomérase agit aux extrémités des chromosomes, qu’on appelle les télomères. Les télomères protègent les fins de chaque chromosome contre les attaques du temps. En effet, les cellules qui se multiplient voient leurs télomères s’effriter au fil des générations. La télomérase répare les télomères et permet ainsi aux cellules de garder nos chromosomes intacts.

La télomérase est active dans les cellules germinales, mais inactive dans la plupart des autres cellules du corps humain. En effet, seules les cellules germinales ont besoin de se multiplier infiniment. Cependant, il arrive parfois qu’un autre type de cellule parvienne à « pirater » le génome et à produire la télomérase. Ceci lui accorde la capacité à se multiplier infiniment : cette cellule devient alors potentiellement cancéreuse : la télomérase est réactivée dans la plupart des cancers.

La télomérase est donc à la frontière entre le vieillissement et le cancer, deux préoccupations majeures de notre société actuelle. Selon Statistiques Canada, 15,6 % des Canadiens avaient 65 ans et plus en 2013, pour atteindre un quart de la population en 2050. Toujours selon la même source, le cancer était la 1re cause de décès au Canada en 2013. C’est pourquoi de nombreuses entreprises pharmaceutiques cherchent à activer la télomérase pour lutter contre le vieillissement, pendant que d’autres développent des médicaments diminuant l’activité de la télomérase afin de lutter contre le cancer.

Mais afin de pouvoir développer des médicaments efficaces, il est nécessaire de bien comprendre le fonctionnement de l’enzyme. Avant d’améliorer ou de diminuer l’action de la télomérase, il faut savoir quelles sont les étapes critiques du maintien des télomères.

Certaines de ces étapes sont connues : notamment les différentes molécules, ou « sous-unités », de l’enzyme. On sait que la télomérase contient une molécule d’ARN (Acide RiboNucléique) autour de laquelle les sous-unités protéiques vont pouvoir s’articuler, comme un échafaudage sur lequel les charpentiers grimpent pour réparer un immeuble. On sait aussi que la télomérase est une enzyme très faiblement exprimée dans la cellule –juste assez pour maintenir les télomères. Cependant, la façon dont les différentes sous-unités se retrouvent et s’assemblent dans la cellule pour former une enzyme fonctionnelle n’a pas encore été élucidée.

Par exemple, l’équipe de la professeure Elizabeth Blackburn, basée à l’Université de Californie à San Francisco et lauréate du prix Nobel de Médecine 2009, proposait l’hypothèse que deux enzymes de télomérase avaient besoin de se coordonner pour agir à un seul télomère.

Cette hypothèse n’avait jamais été vérifiée jusqu’aux récents travaux de l’équipe de Raymund Wellinger, Ph.D, docteur en biologie moléculaire et professeur-chercheur à la FMSS et au CRCHUS.  Leur étude a finalement démontré que les molécules de télomérase étaient indépendantes les unes des autres, et qu’elles n’ont pas besoin de se coordonner pour entretenir les télomères.

Comme la télomérase est faiblement exprimée, il semble avantageux que deux molécules n’aient pas besoin d’être associées pour agir. En effet, cela revient à multiplier par deux le nombre d’enzymes disponibles dans la cellule. Avec plus d’enzymes disponibles, les possibilités de maintien des télomères sont rehaussées et, par conséquent, cela favorise le renouvellement cellulaire. Au niveau thérapeutique, il ne sera pas utile de chercher des agents qui influencent la coopération des enzymes. En revanche, une avenue thérapeutique s’ouvrira, en focalisant désormais les recherches sur la manière dont les différentes sous-unités de la télomérase s’assemblent dans la cellule.

« Chacun de nos pas est suivi de près par les entreprises pharmaceutiques, souligne le Pr Wellinger. Elles pourront développer de nouveaux agents thérapeutiques, que ce soit contre le cancer ou pour agir sur le vieillissement ».

Source : A Single Templating RNA in Yeast Telomerase. Cell Reports 2015 jul 21;12(3):441-8. doi: 10.1016. Bajon E, Laterreur N, Wellinger RJ