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Étude menée par une professeure du Centre de recherche sur le vieillissement

Après 65 ans, la moitié des gens rapportent des difficultés en lien avec la qualité de leur sommeil

Dominique Lorrain, directrice du Laboratoire de vigilance au Centre de recherche sur le vieillissement du CSSS-IUGS
Dominique Lorrain, directrice du Laboratoire de vigilance au Centre de recherche sur le vieillissement du CSSS-IUGS

Une étude menée auprès de plus de 2800 Québécois âgés en moyenne de 75 ans montre que la moitié d’entre eux connaissent certains problèmes de sommeil. L’étude révèle en outre une certaine détresse psychologique pour près de 10 % des gens sondés, ce qui contribue aux troubles du sommeil dans plusieurs cas. Plus globalement, l’étude montre que la qualité du sommeil diminue avec l’âge.

Cette recherche est codirigée par la professeure Dominique Lorrain, du Département de psychologie, directrice du Laboratoire de vigilance au Centre de recherche sur le vieillissement du CSSS-IUGS. Elle a été réalisée dans le cadre de l’étude longitudinale ESA et subventionnée par les Instituts de recherche en santé du Canada et réalisée entre 2004 et 2009.

Pour l’étude, les participants ont accepté de recevoir chez eux une infirmière, deux fois, avec une intervalle d’une année. Ils ont répondu à un questionnaire de trois heures, notamment pour détecter la présence de symptômes de troubles psychiatriques plus ou moins sévères et décrire la qualité de leur sommeil.

Sommeil perturbé

«Pour mesurer la qualité du sommeil, nous avons utilisé l’index de qualité du sommeil de Pittsburgh, une méthode reconnue, qui établit la qualité du sommeil sur une échelle de 0 à 21», indique Dominique Lorrain. Selon cette échelle, plus le chiffre est bas, plus la qualité du sommeil est bonne. «On reconnaît généralement qu’une note de 5 ou plus confirme la présence de certaines difficultés du sommeil. Au delà d’une note de 7, les troubles du sommeil sont assez importants.»

Or, poursuit la chercheuse, 50 % des personnes interrogées ont obtenu une note de 5 et plus, tandis que 32 % avaient une note de 7 et plus. «Quand la moitié des répondants se plaint de certains aspects du sommeil et qu’un tiers de l’échantillon rapporte avoir des problèmes plus sévères, ce n’est pas banal!» dit la chercheuse.

On sait que la piètre qualité du sommeil a des répercussions sur la santé et sur la qualité de vie : un moins bon sommeil entraîne des conséquences diurnes (se sentir plus fatigué, plus endormi pendant la journée, faire la sieste plus souvent), peut affecter le système immunitaire et aussi diminuer certaines capacités cognitives comme l’attention et la mémoire.

On sait aussi que les troubles du sommeil peuvent être le symptôme d’autres problèmes de santé physique (douleur, difficultés respiratoires…), mais aussi de santé psychologique tels que la présence d’une dépression ou encore d’un problème d’anxiété. Dominique Lorrain note au passage que les problèmes de sommeil affectent 13 % plus de femmes que d’hommes.

Une pilule pour dormir

Le questionnaire a aussi permis de vérifier dans quelle proportion les gens cherchaient à favoriser leur sommeil par la prise de médicaments, qu’ils soient prescrits ou non. En effet, plusieurs personnes se tournent vers des produits reconnus pour causer la somnolence, comme par exemple, des antihistaminiques ou du sirop avec codéine. Or, 20 % des participants ont affirmé prendre des médicaments pour contrer un problème de sommeil et ce au moins plusieurs fois par semaine. Cette proportion grimpe à 45 % parmi les personnes chez qui l’on décèle des symptômes de détresse psychologique.

Ces données ont leur importance, selon la chercheuse, si l’on considère que la prise de médicaments hypnotiques favorise l’endormissement, mais nuit finalement à la qualité globale du sommeil. «Les médicaments de type benzodiazépine augmentent la production des ondes cérébrales qu’on appelle «les fuseaux de sommeil» et qui caractérisent le stade 2 du sommeil, mais la personne parvient moins bien à atteindre les phases plus profondes du sommeil (les stades 3 et 4), qui elles assurent une meilleure récupération physique, somatique et végétative», explique la professeure.

La plupart des pilules pour dormir affectent également le sommeil paradoxal (le sommeil des rêves) qui est non seulement associé à l’adaptation psychologique, mais aussi à l’apprentissage et à la consolidation de la mémoire. De plus, ces hypnotiques de type benzodiazépine entraînent une dépendance et un effet de tolérance qui se développe assez rapidement, de sorte que les personnes n’arrivent plus à s’en passer et pour continuer d’avoir un effet, elles doivent prendre des doses de plus en plus importantes. Qui plus est, la cessation de la prise d’hypnotiques entraîne presque inévitablement un rebond de l’insomnie.

«Les personnes ont donc énormément de mal à retrouver la capacité de s’endormir de façon naturelle, ce qui entraîne une certaine anxiété, incompatible avec l’état d’esprit dans lequel on doit se trouver pour bien dormir et le risque d’un retour à la consommation de somnifères, donc la création d’un cercle vicieux», dit la professeure.

Elle ajoute par ailleurs que certains troubles primaires du sommeil dont la prévalence augmente avec l’âge peuvent aussi être en cause dans la perte de qualité du sommeil et devraient être considérés par le médecin de famille, comme l’apnée du sommeil (pauses respiratoires pendant le sommeil et qui peuvent être en partie causées par l’embonpoint), le syndrome des jambes sans repos et les mouvements périodiques des jambes au cours du sommeil (qui pourraient avoir une composante génétique).

Aux sources de l’insomnie

«Notre étude montre l’étendue du problème, mais appelle aussi les intervenants de première ligne – médecins et infirmières – à mieux investiguer pour découvrir l’origine des plaintes de sommeil, explique Dominique Lorrain. Il serait important de mieux faire connaître les différents moyens de traiter les problèmes de sommeil. Tantôt le mauvais sommeil est le symptôme d’un autre problème médical et tantôt il en est une conséquence. L’important est de bien cerner l’origine du problème et de proposer l’approche qui permettra de mieux l’atténuer. La médication est une réponse simple, mais n’est pas toujours appropriée. Dans le cas de l’insomnie psychophysiologique en lien avec le stress et le développement de mauvaises habitudes et attitudes envers le sommeil, d’autres solutions peuvent être proposées, notamment grâce à l’approche psychologique par la thérapie cognitivo-comportementale», dit la professeure. Elle reconnaît toutefois que les psychologues spécialisés dans les troubles du sommeil sont relativement peu nombreux et que les personnes âgées n’ont pas le réflexe de se tourner vers ces spécialistes.

Dominique Lorrain signale également que l’étude montre que le sommeil des Québécois âgés se compare à celui observé dans d’autres études menées au Canada et ailleurs dans le monde. Cependant, elle croit que les problèmes de sommeil sont encore relativement méconnus chez nous, et que les gens qui en souffrent connaissent peu les moyens de les surmonter.

Il y a aux États-Unis des organismes établis, comme le National Sleep Foundation, qui offrent de l’information aux personnes qui ont des problèmes de sommeil. Au Canada, la Société canadienne du sommeil commence aussi à mettre sur son site Internet des informations et un répertoire des ressources disponibles en sommeil dans les différentes régions du Canada. Ce type de ressources aurait avantage à se développer encore plus chez nous.

«Dans bien des cas, on ne peut pas prétendre pouvoir ramener la qualité de sommeil d’une personne âgée comparable à celle d’un bébé, mais il existe bel et bien différents moyens pour l’améliorer de façon substantielle», dit la professeure.