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Directives anticipées : que votre volonté soit faite

Une équipe du Centre de recherche sur le vieillissement veut mieux cerner l'efficacité réelle des directives anticipées quant aux types de soins qu'une personne souhaite recevoir en fin de vie

La professeure Gina Bravo
La professeure Gina Bravo

Photo : Robert Dumont (archives)

Dans un rapport publié en mars 2012, la commission spéciale Mourir dans la dignité soulignait l’importance que les citoyens du Québec attachent au respect de leurs volontés en cas d’inaptitude et la nécessité de les encourager à planifier leur fin de vie. Cette question fait écho à ce qu’on appelle les directives anticipées, autrement dit l’expression de nos volontés avant d’être inaptes, pour indiquer notamment les types et l’intensité des soins que l’on souhaite recevoir en fin de vie ou en cas d’inaptitude.

Dans la littérature scientifique et médicale, on attribue de nombreux bénéfices à l’existence de telles directives. Celles-ci contribueraient à préserver les décisions du patient et son autonomie; elles amélioreraient les soins médicaux en fin de vie et éviteraient de prodiguer des soins non désirés; elles allégeraient aussi le fardeau des familles confrontées à des décisions, ce qui peut limiter les risques de conflits intrafamiliaux, diminuer le stress et faciliter le deuil.

Qu'en est-il vraiment?

Mais qu’en est-il de l’efficacité réelle de directives anticipées? Les écrits scientifiques fournissent peu d’évidence à ce sujet et c’est la raison pour laquelle Gina Bravo, professeure au Département des sciences de la santé communautaire de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’UdeS, a entamé depuis 2009 un programme de recherche sur ce sujet. La chercheuse au Centre de recherche sur le vieillissement du CSSS-IUGS a reçu un important financement (554 000 $ sur cinq ans) des Instituts de recherche en santé du Canada. Six autres chercheurs du Centre participent à ce projet, dont le Dr Marcel Arcand ainsi que les professeures Danièle Blanchette et Marie-France Dubois.

Au cours de sa recherche, la professeure Bravo souhaite évaluer l’efficacité d’une intervention menée avec l’aide de professionnels pour accroître la proportion de personnes âgées qui consignent par écrit leurs préférences relatives aux soins. Elle veut aussi vérifier si un tel programme améliore la concordance des décisions prises par un proche avec celles qu’aurait prises une personne devenue inapte.

Ce programme veut aussi voir dans quelle mesure il est possible d’accroître le nombre de personnes qui exprimeraient leur accord de participer à un projet de recherche même si elles sont devenues inaptes, pour améliorer nos connaissances et mettre au point de meilleurs soins.

240 dyades

L’équipe de recherche recrute des dyades de participants formées d’une personne de plus de 70 ans, vivant à domicile et apte à prendre des décisions, et d’un proche décideur que cette personne a choisi et qui pourrait prendre des décisions en son nom, en cas d’inaptitude. L’équipe de recherche, qui vise à rencontrer 240 dyades de ce type, en a déjà recruté 120.

Chaque membre de ces dyades est d’abord invité à répondre seul à un questionnaire sous forme de vignettes où on lui présente diverses situations médicales qui impliquent une situation d’inaptitude de plus en plus prononcée. Cinq réponses médicales sont possibles face à chacune de ces situations (par exemple, l’administration d’antibiotiques, la réanimation cardiopulmonaire, etc). On interroge aussi la personne sur le genre de programme de recherche qu’elle accepterait ou non de suivre malgré sa situation. La personne aînée fait ses choix, ainsi que son aidant, qui doit imaginer la décision que la personne qu’elle seconde prendrait dans cette situation.

Ensuite, ces dyades seront invitées à quelques rencontres avec une travailleuse sociale qui leur présentera les résultats et la concordance de leurs réponses. Ces professionnelles sont spécialement formées pour aider la personne âgée à clarifier et à communiquer ses préférences, tant pour les soins de santé qu’elle souhaiterait recevoir que sur son intention d’accepter ou non de participer à un programme de recherche, même si elle devenait inapte.

Au cours de ces entretiens, les dyades reçoivent aussi l’aide nécessaire pour remplir, si la personne aînée le souhaite, un guide qui s’intitule Mes préférences (encore expérimental et non disponible pour le public). Ce guide, qui a demandé un grand travail de vulgarisation, a été mis au point par l’équipe de la professeure Bravo. Il propose notamment à la personne âgée de designer sa ou son décideur substitut advenant qu’elle devienne inapte.

Ce ne sont là que quelques-uns des éléments d’un programme de recherche plus vaste. «Nous n’avons pas encore de résultats, dit la professeure Bravo. La seule chose que nous voyons, c’est que 94 % des participants acceptent l’idée de mettre leurs directives anticipées par écrit en complétant le guide Mes préférences

S’exprimer d’avance

Selon la littérature scientifique, 40 % des personnes qui décèdent font l’objet d’une prise de décision médicale dans les derniers jours de leur vie; parmi celles-ci, 70 % sont inaptes à prendre elles-mêmes ces décisions. De plus, 30 % des personnes qui décèdent après l’âge de 65 ans souffrent de démence durant leur dernière année de vie. Cette proportion atteint 58 % chez les personnes âgées de 95 ans ou plus au moment du décès.

En vertu de l’article 15 du Code civil du Québec, la personne autorisée à consentir aux soins requis par une personne inapte est, dans l’ordre, le représentant du malade formellement désigné par un juge pour le représenter (mandataire, tuteur ou curateur) ou, à défaut, le conjoint, un proche parent ou une personne qui démontre pour le majeur un intérêt particulier.

Un membre de la famille peut donc décider des soins qu’un proche inapte recevra, lorsque personne n’a été désigné par un tribunal pour agir à titre de décideur substitut. Celui qui consent pour autrui doit le faire dans le meilleur intérêt de la personne inapte, en tenant compte, dans la mesure du possible, des volontés que celle-ci a pu exprimer dans le passé, oralement ou par écrit.

D’où l’importance que le patient ait pu préalablement communiquer ses préférences relatives aux soins, par écrit ou verbalement. Or selon la recherche, plus de 70 % des familles rapportaient ne pas connaître les préférences en matière de soins de leur proche atteint de démence avancée. Trois quarts de ceux qui n’avaient jamais abordé cette question avec leur proche regrettaient qu’il soit maintenant trop tard pour tenir ce type de discussions.

Au Québec, contrairement aux États-Unis et à certains pays européens, les directives anticipées n’ont pas de valeur juridique contraignante (mais la loi va probablement évoluer rapidement sur ce point). Néanmoins, pour respecter les volontés exprimées antérieurement comme la loi l’exige, les directives anticipées doivent être communiquées aux personnes susceptibles de prendre des décisions substituées si elles existent.

Une enquête britannique effectuée auprès de gériatres a montré que l’accès aux directives écrites a grandement facilité leurs discussions sur les soins de fin de vie avec les patients et leur famille. Ainsi, bien que non contraignantes au Québec, les directives anticipées pourraient être fort utiles aux décideurs substituts ainsi qu’aux soignants lorsqu’une décision de soins doit être prise pour une personne inapte.

Pour la recherche

Dans le contexte de la recherche sur la démence, c’est aussi vers les familles que l’on se tourne pour obtenir la permission d’inclure dans une étude un proche qui n’est pas en mesure d’y consentir. La maladie d’Alzheimer et autres formes de démence ont fait l’objet d’importants progrès scientifiques depuis une trentaine d’années. Ces progrès sont encourageants mais d’autres études sont nécessaires pour assurer aux malades et à leur famille une prise en charge de qualité, notamment parce qu’aucun traitement ne permet encore d’inverser le cours de la maladie.

Plusieurs de ces études requièrent la participation directe de personnes atteintes au point de n’être plus capables de prendre des décisions. Or, contrairement aux soins, dont la finalité est le mieux-être du patient, l’objectif de la recherche est de faire progresser les connaissances, sans égard aux bénéfices directs que le participant pourrait en retirer. Il importe donc de communiquer aussi à ses proches sa volonté de prêter ou non son concours à la recherche dans l’éventualité où l’on perdrait la capacité de prendre soi-même ce type de décision.

Comme pour la question des soins, la majorité des familles sont incapables de prédire le désir de leur proche de contribuer ou non à la recherche. Mais contrairement aux soins, le législateur ne reconnaît pas encore la légalité du consentement donné par le conjoint. Néanmoins, la personne a tout intérêt à faire connaître à ses proches son désir de contribuer à la recherche si elle devenait inapte.