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La baisse du militantisme dans les partis politiques profite aux groupes d'intérêt

Nicolas-Guillaume Martineau
Nicolas-Guillaume Martineau
Photo : Michel Caron

Le déclin du militantisme populaire au sein des partis politiques pave la voie à une plus grande influence des groupes d'intérêt dans l'établissement de politiques publiques. Nicolas-Guillaume Martineau, professeur au Département d'économique, vient de publier une étude sur le sujet. Se basant sur des données britanniques, il postule que les partis comptent de moins en moins sur la participation citoyenne pour leurs activités et leur financement. Les partis se tournent plutôt vers des dons provenant d'organisations ayant de solides moyens financiers, et souvent des intérêts particuliers à faire valoir. Ce phénomène est possible dans les pays ou les législations le permettent – comme au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Chez nous toutefois, les lois québécoise et fédérale empêchent les dons provenant d'organisations.

Ces travaux ont valu au chercheur d'obtenir le prix CESifo Distinguished Affiliate dans le cadre de la rencontre 2012 CESifo Area Conference on Public Sector Economics qui se déroulait récemment à Munich, en Allemagne.

Déclin du militantisme

Un peu partout en occident, on assiste à un déclin de la participation citoyenne aux élections ainsi qu'au sein des partis politiques. Historiquement, les partis comptaient sur la participation de militants bénévoles pour leur propagande électorale et leur mobilisation. Mais à la faveur des innovations technologiques et des moyens de communication de masse, les partis sont devenus des organisations professionnelles, moins dépendantes du travail bénévole des militants. Or, en plus de donner de leur temps, plusieurs militants actifs contribuaient financièrement au parti. La baisse du militantisme force les partis à trouver d'autres sources de financement.

«Dans le modèle théorique que je développe, deux types d'agents, les militants et un groupe d'intérêt, décident de leurs contributions à des partis politiques, sur la base des programmes annoncés par ces partis, explique Nicolas-Guillaume Martineau. J'arrive au résultat qu'à la suite de la transformation des partis politiques et en raison d'une baisse de la motivation des militants, l'influence des groupes d'intérêt sur les choix de programmes des partis augmente, particulièrement dans le contexte où les partis se concurrencent davantage pour obtenir des contributions en argent provenant d'un groupe d'intérêt.»

Influence

L'analyse du chercheur ne tient pas compte du processus décisionnel qui s'opère au sein des partis pour établir leur plateforme électorale. Selon son modèle, les partis anticipent les contributions de leurs militants et de groupes d'intérêt qui leur sont destinées. Les partis évaluent aussi les ressources allant à l'autre parti de la part de groupes d'intérêt.

«En réalité, les membres des partis participent aux activités de choix de programme, et ils choisissent d'abord des plateformes électorales dans le but de maximiser le nombre de votes, dit le professeur Martineau. Le déclin de leur participation à ces instances pourrait d'autant plus magnifier l'influence de groupes d'intérêt. Quant aux groupes d'intérêt, ils peuvent parfois être représentés directement au sein de certains partis (par exemple, des syndicats sont représentés au Parti travailliste anglais et au NPD canadien) et peuvent être influents dans l'orientation des programmes.»

Mais l'influence des groupes d'intérêt peut aussi s'exercer de façon indirecte, ajoute-t-il. «Les partis peuvent anticiper qu'inclure certaines mesures à leur programme ait une chance de plaire à certains intérêts particuliers, et donc d'attirer leurs dons.»

Chez nous

Nicolas-Guillaume Martineau croit que le phénomène démontré par son modèle peut être endigué par l'établissement de lois plus restrictives sur le financement des partis : il suggère de plafonner les dons individuels en argent allant aux partis politiques, tout en éliminant le droit des personnes morales (entreprises, syndicats, organismes, etc.) de contribuer en leur nom propre. Cette idée correspond au cadre actuel de financement des partis au Canada et au Québec, établis respectivement par les gouvernements Chrétien et Lévesque. Ce principe amène les partis à percevoir des contributions plus faibles provenant de plusieurs sources, limitant ainsi l'influence de chacune d'entre elles.

«Ceci va cependant à l'encontre des tendances récentes aux États-Unis, dont un récent jugement de la Cour suprême sur l'intervention "indépendante" des personnes morales dans les campagnes électorales, ce qui constitue une façon détournée de contribuer aux partis», observe-t-il.

Financement public

La solution passe-t-elle par un financement public des partis? Si l'on se fie uniquement aux seuls paramètres du modèle, la réponse est non, puisque le financement public n'empêcherait pas les partis de se livrer «à une "course aux armements" socialement néfaste». En revanche, le professeur Martineau indique que d'autres auteurs ont montré que sous certaines conditions, le financement public permet de limiter l'influence des donateurs, amenant les partis à opter pour des politiques plus proches des préférences de l'électeur médian.

Cela dit, le chercheur estime qu'il faut se méfier des règles de financement trop contraignantes. «Si on limite trop les contributions, étant donné les besoins financiers des partis, il est alors fort probable qu'ils se tournent vers des moyens de financement occultes, ce qui irait à l'encontre de l'objectif initial», conclut-il.