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Les partis politiques plus généreux dans leurs «comtés sûrs»

Une étude démontre l'existence d'une prime à la loyauté dans les investissements routiers

Marcelin Joanis
Marcelin Joanis
Photo : Michel Caron

Quand ils forment le gouvernement, les partis politiques québécois investissent davantage dans le réseau routier des circonscriptions qui leur sont traditionnellement fidèles que dans celles qui montrent une allégeance changeante. Une étude du professeur d'économique Marcelin Joanis, basée sur des données datant de 1986 à 1996, montre un écart de 17 % en faveur des circonscriptions provinciales souvent appelées «forteresses» aux dépens de celles que l'on désigne comme des «comtés baromètres». Cette étude parue le mois dernier dans la revue internationale Public Choice vient contredire une théorie économique généralement reconnue selon laquelle les partis dépenseraient davantage dans les régions où ils espèrent faire des gains électoraux.

En introduction de son article, le professeur de la Faculté d'administration évoque l'effondrement du viaduc de la Concorde à Laval, en 2006, qui a mis en relief le caractère aléatoire de la répartition du financement des infrastructures publiques, au gré des divers courants politiques.

«En fait, à l'origine de cette recherche, j'ai eu la possibilité d'analyser une base de données unique, publiée par le gouvernement du Québec, et dans laquelle on retrouvait des informations sur le financement des travaux routiers pour chacune des 125 circonscriptions électorales provinciales, sur une période de 10 ans. J'ai ensuite pu faire des corrélations avec les résultats électoraux, et les données de recensement pour fournir une analyse économique complète», explique l'auteur.

Folklore politique

À partir de ces données, Marcelin Joanis trouvait intéressant d'analyser la question des investissements routiers, pour vérifier si l'on pouvait démontrer scientifiquement certains préjugés tenaces.

«La question des routes fait partie de notre folklore politique au Québec. Si on remonte à l'époque de Duplessis, et jusqu'à nos jours, plusieurs personnes ont en tête des histoires de promesses électorales liées à la construction des routes, mais sans que cette perception soit nécessairement documentée. Or, cette étude vient démontrer l'existence d'une prime à la loyauté dans les investissements routiers, qui est de l'ordre de 17 % dans les comtés traditionnellement fidèles au parti détenant le pouvoir.»

Contrairement aux idées reçues, poursuit l'économiste, les partis politiques planifient en fonction d'objectifs à long terme, et ne sont pas strictement intéressés à des investissements commandés par les impératifs électoraux de court terme.

«Au Québec, notre régime politique a souvent amené les deux partis principaux à se succéder au pouvoir, et ce au terme de deux mandats. Or, il semble que la construction de routes soit perçue comme une initiative durable afin de fidéliser la population d'une circonscription. Ainsi, même en fin d'un second mandat, les partis semblent intéressés à maintenir les investissements dans les régions qui constituent leur base électorale, en misant à long terme sur leur probable reprise du pouvoir quelques années plus tard», suggère-t-il.

Des pistes pour diminuer le favoritisme

À l'heure où les mots collusion, copinage et corruption défrayent constamment la manchette, l'étude du professeur Joanis a de quoi soulever de nouvelles interrogations.

«Sur ces enjeux, les données ne nous permettent pas de savoir si les circonscriptions ayant reçu plus d'investissements ont vu opérer des chantiers ayant coûté plus cher que le prix du marché, dit le professeur. En revanche, une telle étude contribue à une réflexion plus globale sur la façon dont sont prises les décisions pour les grands travaux d'infrastructures. Pourrait-on trouver des mécanismes en vue de répartir plus efficacement les investissements? Pourrait-on mieux prendre en compte l'ensemble des facteurs sociaux et économiques liés aux grands chantiers, avec un organisme objectif qui agirait un peu à l'image du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement, mais avec un mandat plus large?», questionne le professeur.

Il nuance toutefois cette réflexion en ajoutant qu'il ne faut pas non plus tomber dans un excès bureaucratique et qu'il faut maintenir la notion de responsabilité politique. «Nous élisons des représentants qui ont le mandat de réaliser leurs engagements auprès des électeurs. Ces personnes doivent certes continuer d'être imputables. Cependant, il y a sans doute lieu de mettre en place des mécanismes plus objectifs pour justifier les grands projets», suggère le chercheur, qui fait également partie du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations, connu sous l'acronyme CIRANO.


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