Nouvelle Chaire de recherche Justin Lefebvre sur le don d’organes
Faire de la recherche avec les yeux du cœur
« On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » En écrivant ces lignes, Antoine de Saint-Exupéry nous léguait une leçon de vie sur l’importance de voir la beauté là où elle n’est pas visible. En s’inspirant du legs d’un petit prince parti trop vite en 2017, le professeur-chercheur Frédérick D’Aragon espère par ses travaux améliorer les connaissances en don d’organes au Québec et sauver plus de vies.
Impossible de relater les faits sans avoir la gorge nouée par les émotions. En juin 2017, Justin Lefebvre, un enfant en santé et plein d’énergie, meurt accidentellement à l’âge de 8 ans. La suite des événements apaise par sa beauté : le jeune garçon a fait don de son cœur, de son foie et de ses deux reins, redéfinissant le sort de plusieurs personnes.
Pour le professeur Frédérick D’Aragon, touché de près par le drame, ce don transcende la transplantation :
Justin a fait bien plus que donner quatre organes. C’est grâce à lui si on s’apprête à découvrir de nouvelles façons de faire en matière de don d’organes.
Frédérick D’Aragon, titulaire de la Chaire de recherche Justin Lefebvre sur le don d’organes
C’est que l’histoire de Justin a suscité une vague de mobilisation, notamment dans le milieu de la recherche. L’idée de sauver plus de vies grâce au don d’organes a d’abord germé dans l’esprit des parents de Justin. Au fil des discussions, un projet de chaire de recherche a pris forme, stimulant la générosité de plusieurs donateurs et donatrices, dont la Fondation Justin Lefebvre et la Fondation du CHUS.
Cette générosité a mené à la création de la toute première chaire sur le don d’organes au Canada, dont est titulaire le professeur Frédérick D’Aragon.
L’objectif du programme de recherche est d’optimiser le don d’organes au Québec en mesurant l’efficacité des soins actuels et en testant de nouvelles approches. Certains défis, dont une rareté de la main-d’œuvre qualifiée, complexifient le don d’organes dans notre système de santé.
Actuellement, quatre à cinq jours peuvent s’écouler entre le moment où l’équipe médicale obtient le consentement de la famille et le moment où l’on prélève les organes ou les tissus, une période trop longue qui pousse parfois les familles endeuillées à se retirer du processus.
Doté d’une expertise pointue et unique au Québec en don d’organes et en transplantation, le professeur D’Aragon souhaite rallier les disciplines et s’inspirer des meilleures pratiques au Canada et à l’international pour réduire le délai pour les personnes en attente d’une transplantation et pour mieux soutenir les familles endeuillées.
Mieux donner et recevoir au Québec
Aux soins intensifs, un don d’organes après décès est toujours une situation qui mobilise beaucoup de ressources en peu de temps. « Les organes d’un donneur sont attribués quelques heures avant d’être transplantés, affirme le médecin spécialisé en anesthésiologie et soins intensifs. Tout le monde est appelé à collaborer, du radiologiste au pathologiste. »
D’où l’importance d’avoir un processus éprouvé. « Vous savez, au Québec, on n'a même pas encore de mécanisme pour identifier en temps réel nos donneurs, fait remarquer le clinicien. On ne mesure pas ce qu’on fait non plus, on navigue donc un peu à l'aveugle. Et la rareté de la main-d’œuvre qualifiée ralentit le processus d’attribution des organes. »
La chaire s’attardera donc à prendre le pouls des meilleures pratiques dans le domaine à l’aide d’études cliniques auxquelles collaboreront des centres à travers le Canada. « Toutes les études que je fais sont à l’échelle canadienne, précise-t-il. Il faut observer ce qui se passe ailleurs. Je veux aussi pouvoir intégrer assez de patientes et de patients dans mes études cliniques pour que les résultats soient valides. »
Bien plus qu’une intervention chirurgicale
Former la relève est une autre nécessité à laquelle la chaire veillera, tout comme celle consistant à faire la synthèse des connaissances existantes et à développer une culture du savoir autour de cette thématique.
La recherche sur le don d’organes est très complexe. Chaque fois que j’intègre un donneur dans une étude clinique, j’implique directement environ quatre receveurs. Je dois suivre ensuite les organes transplantés, et je ne sais pas où iront ces organes : au CHUS, à Montréal, à Québec, en Colombie-Britannique? Il faut générer du savoir et développer la méthodologie pour le faire. Faire de la recherche dans la recherche, en quelque sorte.
Frédérick D’Aragon
Aux études cliniques s’ajoutera de la recherche translationnelle pour que les connaissances générées puissent être rapidement utilisées au chevet des patientes et des patients. La chaire fera aussi des études qualitatives qui impliqueront les proches. « On dit que le don est salutaire pour les proches, c’est vrai, mais la dépression et le choc post-traumatique sont des réalités qu’on voit chez les familles de donneurs, explique le chercheur. Nous voulons trouver des pistes pour mieux les accompagner. »
Pour ce volet, l’équipe fera du codéveloppement avec des familles ayant déjà traversé une telle épreuve. Ces dernières iront rencontrer les familles endeuillées aux soins intensifs pour leur fournir des explications sur le don d’organes. « On pense qu’une personne qui est passée par là sera en mesure d’expliquer en langage clair ce que ça implique. Cela pourrait réduire l’incertitude chez les familles endeuillées et les aider à être en paix avec leur décision. »
Cette recherche complexe requiert la participation de beaucoup de monde. Heureusement pour le professeur D’Aragon, le don d’organes a gagné en importance à Sherbrooke, si bien qu’un pôle d’expertise s’y est greffé au cours des dernières années.
D’autres disciplines se greffent aux travaux
Le contexte sherbrookois est très favorable à la recherche sur le don d’organes. Le chercheur se réjouit des nombreuses initiatives en lien avec cette thématique, comme le monument des donneurs au parc Jacob-Nicol ou la très touchante cérémonie de l’Association canadienne des dons d’organes et de tissus (ACDO) organisée chaque année à Sherbrooke.
Ce contexte confère une couleur interdisciplinaire aux travaux de la chaire, qui s’appuiera sur des collaborations avec diverses disciplines, comme l’explique le chercheur : « Par exemple, avec des gens en génie, en mathématique, en immunologie et en biochimie, nous développerons un appareil qui, en utilisant l’intelligence artificielle, va administrer des médicaments au donneur de manière personnalisée, en tenant compte des caractéristiques des receveurs. »
Avec l’aide d’une professeure en sociologie, l’équipe se penchera également sur les enjeux touchant les Premières Nations, une communauté comptant beaucoup de personnes en attente d’un organe, mais peu de donneurs et donneuses compatibles.
La chaire se donne cinq ans pour atteindre ses objectifs, de 2024 à 2029.
« Mon plus grand souhait, c’est que chaque donneur et chaque donneuse participe à une étude clinique qui va informer la science et améliorer les pratiques. »
C’est un souhait ambitieux, mais les petits princes devenus étoiles nous rappellent que tout est possible.
À propos de la Grande Campagne UdeS
Depuis sa fondation, l’Université de Sherbrooke innove, repousse les frontières comme les façons de faire, et prend des décisions avant-gardistes. Ces orientations ont forgé son identité et sont une source de fierté pour l’ensemble de sa communauté universitaire. Aujourd’hui, c’est dans ce même état d’esprit que l’institution entreprend le prochain chapitre de son développement, avec sa Grande Campagne de financement Choisir de changer l’avenir. Cette campagne de 250 M$, la plus ambitieuse de son histoire, permettra de soutenir plus de 150 projets inspirants, qui apporteront des solutions concrètes aux défis d’aujourd’hui et de demain.