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Un nouvel ouvrage pour le professeur Jean Forest

Une vie à boucher les trous du français québécois

Le professeur Jean Forest
Le professeur Jean Forest
Photo : Michel Caron

Un carreau, une barquette de myrtilles, un démonte-roue… Que l’on connaisse ou non ces mots ou expressions, ils ne font certes pas partie du français couramment parlé au Québec. On dira plus souvent une tuile, un câssot de bleuets et une clé en croix. Dans son dernier ouvrage Le grand glossaire du français de France, le professeur Jean Forest a réuni 14 000 de ces «mots, sens et expressions qui font défaut au français du Québec».

Écrit à l’intention des Québécois, l’ouvrage s’inscrit dans la suite logique de son glossaire précédent, paru en 2008, Le grand glossaire des anglicismes du Québec. Ce livre réunissait 13 000 mots empruntés à l’anglais et identifiés par le professeur depuis une quarantaine d’années.

Il venait d’avoir 17 ans

L’intérêt de Jean Forest pour la chasse aux anglicismes a pris naissance lors de ses études universitaires. Originaire d’un quartier populaire de Montréal, il est parti étudier à Sudbury à l’âge de 17 ans.

«J’ai vite constaté que le français parlé là-bas était dégradé par des anglicismes encore plus nombreux que les nôtres, explique le professeur au Département des lettres et communications. Je voyais aussi que les gens que je rencontrais affichaient une sorte de complexe d’infériorité face aux Québécois, qui parlaient un meilleur français qu’eux; un peu comme le complexe qu’éprouvent les Québécois face aux Français de France.»

Jean Forest, Grand glossaire du français de France – Mots, sens et expressions qui font défaut au français du Québec, Montréal, Triptyque, 2010, 460 p.
Jean Forest, Grand glossaire du français de France – Mots, sens et expressions qui font défaut au français du Québec, Montréal, Triptyque, 2010, 460 p.

Frappé par une langue grandement anglicisée, Jean Forest a pris conscience que le même phénomène existait dans son français québécois, où les anglicismes foisonnaient également. «Lors de mes études de maîtrise en littérature, à l’Université Laval, j’ai suivi un cours sur les anglicismes. À cette époque, j’ai commencé à noter chaque anglicisme que je rencontrais sur une fiche.»

Avec les années, un énorme fichier de plus de 10 000 entrées s’est constitué. C’est cette matière accumulée pendant quatre décennies qui a mené à la parution des deux glossaires.

Des trous dans la langue

L’usage de mots et expressions anglaises dans la langue populaire québécoise s’explique assez facilement, dit le professeur Forest. De la conquête de 1759 aux années 1930, les Canadiens français n’ont pour ainsi dire pas été exposés au français oral, tel que parlé en Europe.

«C’est l’arrivée du cinéma parlant qui a fait prendre conscience à toute une génération de Québécois des différences qui pouvaient exister dans nos manières de parler la même langue. Ensuite, la télévision a permis une exposition quotidienne au français de France, ce qui a été sans le moindre doute grandement salutaire», explique-t-il.

Ainsi, cette période de 170 ans a laissé place au terreau fertile qui a vu bourgeonner des centaines d’expressions enracinées dans la langue anglaise, ou des mots anglais employés carrément tels quels.

«C’est un peu comme si chaque mot, sens ou expression regroupés dans le glossaire représentait un trou dans le vocabulaire québécois, poursuit-il. Les mots anglais venaient boucher certains de ces trous, faute de connaître les expressions françaises équivalentes qui ne nous étaient pas parvenues, soit après la Révolution française ou pendant la Révolution industrielle. Ces deux livres viennent mettre l’accent sur ces mots qui nous manquent, que l’on comprend plus ou moins ou que l’on hésite à employer pour ne pas passer pour snob!»

Le contenu du glossaire est présenté en trois colonnes : la première présente un mot français peu usité chez nous, la deuxième offre la traduction anglaise et la troisième l’expression québécoise généralement employée pour exprimer cette idée. Ainsi, par exemple, on trouvera le mot français «brocanteur», puis sa traduction anglaise «bric-a-brac trader», enfin le mot québécois «antiquaire». Il en va de même pour 14 000 entrées.

L’auteur n’a pas la prétention d’avoir tout relevé, mais considère proposer un bon tour d’horizon. «Le livre s’adresse à l’ensemble des personnes qui s’intéressent de près au français ou qui ont à travailler au quotidien avec la langue. Il peut aussi être utile à une personne qui lit beaucoup de romans et qui cherche à comprendre rapidement le sens de certains termes qui lui échappent.»

Des airbags dans ma Peugeot

Et que pense Jean Forest de l’usage de plus en plus répandu de mots anglais en France? «Cela s’explique très simplement, répond-il d’emblée. Aurait-on idée de traduire pizza ou macaroni? Non, il s’agit de plats de la cuisine italienne. Pour les Français, les emprunts de mots anglais suivent la même logique. Quand ils reprennent des concepts américains, ils gardent le nom d’origine, comme le marketing, le management, le fast-food. Ils expriment ainsi les réalités américaines qu’ils ont adoptées. Comme Québécois, cela nous choque puisque nous sommes très sensibles aux anglicismes. Ce que je constate, c’est que les Français ne sont pas en train de s’angliciser, mais de s’américaniser!»

Mais nos cousins ne prennent-ils pas souvent un malin plaisir à préférer le mot anglais quand l’équivalent français existe? «Évidemment, les mots anglais prononcés à la française font vendre... c’est le syndrome de Disneyland!» rigole-t-il.

Jean Forest, Grand glossaire du français de France – Mots, sens et expressions qui font défaut au français du Québec, Montréal, Triptyque, 2010, 460 p.