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Publication dans Cell Host & Microbe

Des bactéries trompeuses se créent un habitat idéal

Le professeur Peter Moffett et Charles Roussin-Léveillée, étudiant au doctorat
Le professeur Peter Moffett et Charles Roussin-Léveillée, étudiant au doctorat
Photo : Michel Caron | UdeS

Les plantes sont en constante réaction face aux conditions qui les entourent. Température, humidité, sécheresse et conditions des sols sont autant de facteurs qui les font réagir, à travers différents mécanismes. Tout comme les animaux et les humains, les plantes sont susceptibles d’être infectées par des centaines de pathogènes qui les utilisent comme hôtes pour créer un habitat et s’y reproduire.

Le professeur Peter Moffett, spécialiste de la biologie moléculaire et cellulaire à l’Université de Sherbrooke, étudie depuis plusieurs années les interactions plantes-microbes en travaillant sur divers virus et bactéries. Récemment, avec Charles Roussin-Léveillée, étudiant au doctorat, et avec l’équipe de son laboratoire, il a découvert comment les bactéries réussissent à tromper la plante pour leurs propres besoins. Cette étude a été publiée en ligne dans la revue Cell Host & Microbe, le 4 mars 2022.

Arrêter de transpirer pour répondre à la sécheresse

La plante absorbe l’eau et ses nutriments par ses racines et gère ses échanges gazeux à travers ses feuilles, par de petites ouvertures ressemblant à des microbouches qui se retrouvent partout sur les feuilles des plantes : les stomates. Ce sont eux qui permettent à la plante de respirer, et d’échanger de la vapeur d’eau, du gaz carbonique et de l’oxygène. Les stomates peuvent s’ouvrir et se fermer pour réguler ces échanges.

Dans une situation de sécheresse, des mécanismes moléculaires s'enclenchent en indiquant à la plante de fermer ses stomates. En refermant ceux-ci, elle empêche ses feuilles de transpirer leur eau pour mieux résister à la sécheresse.

Des bactéries trompeuses

Dans une situation de sécheresse, des mécanismes moléculaires qui indiquent à la plante de fermer ses stomates sont enclenchés. En refermant ceux-ci, elle empêche ses feuilles de transpirer leur eau pour mieux résister à la sécheresse.
Dans une situation de sécheresse, des mécanismes moléculaires qui indiquent à la plante de fermer ses stomates sont enclenchés. En refermant ceux-ci, elle empêche ses feuilles de transpirer leur eau pour mieux résister à la sécheresse.
Photo : Fournie

Si les stomates sont indispensables à la plante pour sa transpiration, ils constituent également une brèche bien connue et ciblée par les pathogènes pour s’infiltrer dans ses feuilles. Les biologistes savent depuis plusieurs années que les bactéries s’introduisent dans la plante par les stomates. Ce qui était inconnu et qui a été mis en lumière par le professeur Moffett et son équipe, c’est qu’une fois entrées, les bactéries trompent la plante en l’incitant à refermer ses stomates comme elle le fait en temps de sécheresse, et ce, même si elle a amplement d’eau pour ses besoins. Ceci a pour résultat que l’eau qui devrait normalement s’évaporer de la plante s’accumule à l’intérieur des feuilles, ce qui crée un habitat riche en eau idéal pour la reproduction des bactéries.

Ce que nous avons découvert, c’est que la bactérie est capable de tromper la plante en lui faisant reproduire le phénomène par la manipulation d’une hormone végétale qui s’appelle l’acide abscissique (ABA), explique Charles Roussin-Léveillée, étudiant au doctorat en biologie. Cette hormone est associée aux réponses de sécheresse. Le pathogène va donc jouer au niveau moléculaire sur les mêmes réponses que la plante utilise pour répondre à la sécheresse. Cela force donc la plante à fermer ses stomates, même si le taux élevé d’humidité dans l’atmosphère est défavorable à cette fermeture. Puisque la plante cherche normalement à faire beaucoup d’échanges gazeux dans ces conditions, une fermeture non désirée des stomates entraîne une accumulation de la vapeur d’eau qui se transforme peu à peu en "piscine" à l’intérieur des feuilles, et qui constitue un excellent environnement pour le pathogène.

Ainsi, lorsque les feuilles de la plante sont remplies d’eau, ses cellules ne peuvent plus respirer. C’est comme si la plante se noyait de l’intérieur en plus de subir la présence du pathogène qui l’infecte et se nourrit de ses nutriments.

Chercher, collaborer, enseigner

Cette étude de l’équipe du professeur Moffett s’est déroulée sur plus de quatre années. Trois plantes ont été utilisées pour valider les hypothèses de l’équipe de recherche, soit la plante modèle de laboratoire Arabidopsis thaliana, la tomate ainsi que le tabac sauvage. Le pathogène en question appartient à un genre de bactérie causant plusieurs infections chez un grand nombre de végétaux d’importance économique.

Nous avons utilisé une seule espèce de bactérie pour cette étude, Pseudomonas syringae, souligne Charles Roussin-Léveillée, mais nous savons que le même phénomène est observé chez pratiquement 80 % des espèces bactériennes qui infectent les plantes.

L’équipe de l’Université de Sherbrooke a collaboré avec les équipes du professeur Sheng Yang He, de l’Université d’État du Michigan et de l’Université Duke en Caroline du Nord.

Ce projet s’est développé grâce à une bourse du FRQNT, qui a permis à Charles d’aller visiter le laboratoire du professeur Sheng Yang He à l’Université d’État du Michigan, explique le professeur Peter Moffett. Nous avions des résultats préliminaires qui étaient intéressants, mais ce type de travail tire énormément profit des collaborations entre groupes de recherche.

Autre fait saillant de cette étude : trois stagiaires étudiantes au baccalauréat, Gaële Lajeunesse, Sandrine Brassard et Méliane St-Amand, ont pu participer à cette recherche et même mettre leur nom sur la publication.

Des applications concrètes

Cette explication des mécanismes utilisés par les bactéries pour induire la plante à fermer ses stomates et à réduire l’évaporation de l’eau qu’elle emmagasine ouvre la voie à plusieurs avenues de recherche sur la santé des plantes, que ce soit pour mieux contrôler les réactions de certaines plantes face à la sécheresse ou pour produire des espèces de plantes plus résistantes aux pathogènes.


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