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De la Grèce antique à PyeongChang

Les athlètes olympiques se mettent (encore) à nu

Athlète grec avec des javelots.
Athlète grec avec des javelots.

Photo : J. Paul Getty Museum/Perseus Digital Library

Les Jeux olympiques attirent les foules et fascinent les spectateurs de tous les pays du monde. Depuis la plus haute Antiquité (776 av. J.-C.), cet engouement s’explique par la qualité des performances sportives d’athlètes qui sont les meilleurs du monde dans leur discipline. Mais au-delà de la compétition elle-même le spectacle des jeux captive l’intérêt par sa dimension humaine. Comment ne pas être médusé par ce spectacle où nos semblables mettent à nu autant la force de leur corps que celle de leur caractère?

Pendant la durée des compétitions, il nous est donné de suivre le parcours des athlètes et d’apprendre à les connaître. À moins d’être cynique ou entièrement insensible, il est difficile de ne pas être touché par le fait que, devant nos yeux, les athlètes mettent littéralement en jeu leur passé et leur avenir. La compétition olympique est ainsi l’occasion de voir des destins glorieux se faire et se défaire. Les athlètes s’exposent au public dans leur plus grande force, mais aussi avec toutes leurs faiblesses.

Les jeux anciens et la nudité

On ignore souvent que les premiers athlètes de la Grèce ancienne (des deux sexes) rivalisaient entre eux dans la nudité la plus complète. Plusieurs raisons pourraient être évoquées pour expliquer ce fait historique. Les Grecs exaltaient la beauté du corps et ils avaient une autre conception de la pudeur que la nôtre. Un fait reste, la pratique de s’entraîner nu était répandue dans toute la Grèce ancienne depuis les origines, et cela valait pour l’ensemble des sportifs, du plus jeune âge à l’âge le plus avancé.

Benoît Castelnérac, professeur de philosophie ancienne à l'Université de Sherbrooke
Benoît Castelnérac, professeur de philosophie ancienne à l'Université de Sherbrooke

Une chose semble être claire cependant, les Grecs insistaient sur l’intégrité des athlètes et cherchaient à éliminer toute forme de tricherie. Se dénuder pour l’épreuve était une pratique réglée et une façon, parmi plusieurs autres, de garantir l’équité entre eux. Au moins en ce qui concerne les équipements, ils partaient tous sur un pied d’égalité. Par exemple, la course se faisait pieds nus et les lutteurs combattaient sans tunique. Seuls les athlètes participant aux courses de char avaient droit à des protections. Ces chars étaient d’ailleurs à la fine pointe de l’art en matière de char à cheval.

L’humain augmenté : plus vite, plus loin, plus fort

L’expression « humain augmenté » désigne un ensemble de pratiques qui permettent d’accroître les performances des humains. Depuis l’âge préhistorique, l’humain invente des moyens de faire tout plus vite, plus loin, avec plus de force. Sans encore parler d’athlétisme, on a retrouvé des sacs à dos appartenant à l’âge du néolithique. Produit de l’invention humaine, ces « exosquelettes » permettent d’augmenter la charge qu’un humain peut porter, sur des centaines de kilomètres. Aux jeux olympiques d’hiver, on peut d’ailleurs assister à des compétitions de skeleton, une luge qui se conduit couché sur le ventre, tête la première. Avec le casque, les chaussures spéciales et la combinaison, le skeleton devient une extension du corps humain lui donnant accès à des vitesses avoisinant les 130 kilomètres heures.

Fait notable, les Grecs s’en tenaient au strict minimum au titre des équipements permis. Dans un cas seulement, ils se munissaient d’un outil : leur saut se faisait avec des poids dans les mains (les « haltères ») avec lesquels ils se balançaient vers l’avant pour atteindre une plus grande distance. Cela ne veut pourtant pas dire qu’ils ne cherchaient pas à augmenter les performances des athlètes, bien au contraire. Compte tenu de la popularité des jeux, nous savons beaucoup de choses sur l’entraînement des athlètes, leur régime, et aussi les règlements entourant la pratique du sport.

Photo : Steve Russell / Getty Images

Depuis leur plus jeune âge, les citoyens (et les citoyennes, dans le cas de Sparte) étaient soumis à des entraînements quotidiens sous l’œil de leurs maîtres de gymnase. Guerroyant sans cesse cité contre cité, on ne prenait pas la chose à la légère, et au combat, tous les « outils » étaient permis. Mais dans l’arène, les Grecs mettent en évidence que le sport est un travail portant essentiellement sur le corps. Dans l’épreuve comme telle, la nudité n’est pas sexualisée dans la pratique du sport. C’est le corps athlète qui se montre et c’est le corps de l’athlète qui tente de repousser les limites du possible.

Les Bullet Men de la station de ski d'Alpensia en Corée du Sud

Depuis le début de la compétition à PyeongChang, trois statues attirent l'attention de la foule et des photographes. Ces Bullet Men (hommes canons) rappellent les statues grecques de Kouroi (jeunes hommes) par leur posture et les détails anatomiques réalistes mais parfaitement développés. Leur tête recouverte par un casque futuriste évoque la vitesse et les risques que prennent les athlètes, mais aussi transforme ces statues en gigantesques hommes-phallus. Hermès, souvent représenté par un phallus dans la statuaire grecque, était l'un des principaux dieux invoqués lors des jeux olympiques (avec Éros et Zeus).

L’épreuve : se dévoiler

Même si notre rapport à la nudité des athlètes a beaucoup changé, l’idée que le sport consiste à « se mettre à nu » n’a pas perdu de sa pertinence.

L’épreuve est l’occasion de prouver qui l’on est, autant dans nos défauts que dans nos qualités, et la chose vaut pour nous comme pour les Grecs anciens. Dans toutes sortes d’occasion, se mettre à l’épreuve, c’est tester nos limites et montrer « de quoi l’on est fait ». Les athlètes, ce sont justement ceux qui se soumettent aux épreuves physiques. Ils révèlent par là qui ils sont : en quoi ils sont humains comme les autres, et en quoi leur corps et leurs aptitudes physiques se distinguent des autres.

« Se dénuder » reste ainsi une expression pleine de sens pour les athlètes, car il ne s’agit pas seulement des corps, mais de l’humain tout entier qui prend part à la compétition. Les cris de joie, les pleurs, les drames des uns et les gloires immortelles des autres, ne sont pas des évènements en marge des épreuves : ils offrent le témoignage que les athlètes s’investissent complètement dans leur pratique et que leur résultat est, en fin de compte, indissociable de qui ils sont, au plus profond d’eux-mêmes. Cela aussi fait partie de l’aspect spectaculaire des jeux olympiques. Au-delà des centièmes de seconde ou des acrobaties les plus raffinées, il nous est donné de voir des humains dans leur plus grande force et dans leur plus profonde vulnérabilité.

Le sport est un théâtre de la vie, c’est une idée commune. Le spectateur se reconnaît dans toute cette fierté et dans tous ces échecs. Il restait à dire que les acteurs, comme les athlètes, doivent se mettre à nu pour performer aux yeux de leur public.


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