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Rapport de la Commission de vérité et réconciliation

Pensionnats autochtones : génocide culturel ou négligence criminelle?

Claude Gélinas, professeur et directeur du Département de philosophie et d'éthique appliquée
Claude Gélinas, professeur et directeur du Département de philosophie et d'éthique appliquée

Photo : Université de Sherbrooke

« Le gouvernement canadien n’a pas réussi à éradiquer la culture autochtone, la "politique indienne" mise en place à la fin du XIXe siècle est un échec. Est-il juste de parler de génocide culturel? L’objectif poursuivi par le gouvernement pourrait être qualifié de génocidaire sur le plan culturel, mais la réalité, avec le regard historique que nous pouvons porter maintenant, est plutôt de l’ordre de la négligence criminelle à l’égard des enfants qui ont vécu dans les pensionnats autochtones, ce qui a engendré de nombreux problèmes sociaux par la suite », explique le professeur Claude Gélinas, anthropologue et spécialiste de l’histoire des autochtones au Québec.

Mise en place en 2008 afin de découvrir ce qui s’est réellement passé dans les pensionnats indiens, la Commission de vérité et réconciliation du Canada vient de déposer son rapport après avoir entendu des centaines de témoignages. Dans ce rapport, la Commission conclut que les pensionnats autochtones étaient un outil central d’un génocide culturel à l’égard des premiers peuples du Canada.

Des années 1860 jusqu’aux années 1990, le gouvernement canadien, avec le concours d’un certain nombre d’églises chrétiennes, a exploité un système de pensionnats pour les enfants autochtones. C’est ainsi que plus de 150 000 enfants des Premières Nations, Inuits et Métis ont été placés dans ces pensionnats. En règle générale, il était interdit à ces enfants de parler leur langue maternelle ou de se livrer à leurs propres pratiques culturelles et spirituelles. Plusieurs enfants y ont également subi des sévices physiques et sexuels. Les conditions de vie y étaient souvent très difficiles. Cette situation a marqué des générations d’autochtones, contribuant à la multiplication des problèmes sociaux dans les communautés amérindiennes d’aujourd’hui.

« Cette situation a rendu plusieurs familles et communautés dysfonctionnelles, ajoute Claude Gélinas. Les enfants partaient et ne revenaient parfois jamais; le rapport montre d’ailleurs le nombre important d’enfants décédés dans ces pensionnats. Quand ils revenaient, ils avaient des problèmes d’intégration, car on les avait conditionnés à croire que la culture autochtone était mauvaise. Ils se croyaient donc entourés de gens mauvais. Et les communautés, comme les parents, voyaient arriver des enfants qui n’avaient plus de repères culturels et ne savaient pas comment composer avec cette situation. Il y a donc eu des brisures générationnelles importantes qui ont affecté grandement les dynamiques communautaires et familiales. »

Des nuances concernant le Québec

« La situation décrite dans le rapport est vraie et il faut l’assumer. Il est important également de donner un portrait complet de la situation. Or, au Québec, l’histoire des pensionnats autochtones diffère à plusieurs égards, tient à rappeler le professeur Gélinas. Ils sont apparus dans la province à compter des années 1950, sauf deux cas d’exception dans le Nord du Québec, une centaine d’années donc après leur création dans le reste du Canada. Dans ces pensionnats québécois, on avait une vision différente de celle qui a prévalue ailleurs au Canada, c’était une autre époque, la société avait changé. On note entre autres un respect plus grand de la culture autochtone et même un souci de la préserver dans plusieurs pensionnats québécois. »

« Quand on parle à certains autochtones ayant vécu dans ces pensionnats au Québec, ils racontent eux aussi que ce n’était pas facile tous les jours, que certains responsables étaient violents, ce qui n’est pas propre aux pensionnats autochtones, on l’a vu, plusieurs ont dénoncé de nombreux sévices dans d’autres pensionnats, précise Claude Gélinas. Ils affirment aussi avoir été chercher des choses importantes dans ces écoles. Une bonne majorité des leaders autochtones actuels au Québec sont passés par ces pensionnats et plusieurs reconnaissent qu’ils sont devenus ce qu’ils sont en partie grâce à certains acquis développés à ce moment. Ces différences avec les autres pensionnats canadiens ne ressortent pas explicitement dans le rapport. »

La culture autochtone aujourd’hui

Cette sombre période de l’histoire canadienne a eu des répercussions graves sur les communautés, mais l’état actuel de la culture autochtone est tout de même encourageant. « Les intentions génocidaires du gouvernement canadien sont à déplorer et il est heureux qu’elles aient été un échec. La culture autochtone est toujours là, elle est même en résurgence, rappelle le professeur. À partir des années 1970, il y a eu ce que l’on appelle un peu maladroitement le "réveil autochtone". Plusieurs leaders ont alors pris en main la reconstruction de leur communauté pour la sortir du colonialisme. Ils ont milité pour un retour à la culture traditionnelle, à un mode de vie inspiré de celui de leurs ancêtres. On s’est donc affairé à reconstruire les communautés à partir de valeurs culturelles et spirituelles traditionnelles. Ça fait partie du processus de guérison dans les communautés. »

Depuis ce temps, chez les peuples autochtones, on met l’accent sur la promotion de la culture et de la spiritualité traditionnelles. Certains domaines de la vie sociale ont ainsi été reconfigurés en ce sens. Claude Gélinas donne pour exemple le traitement de la justice dans les communautés. « On essaie d’aborder les problèmes de criminalité et de délinquance à partir d’approches plus traditionnelles comme l’enseignement de principes éthiques hérités des ancêtres et les cercles de sentence. On revient à des pratiques ancestrales mises au service d’une réalité plus moderne. Les communautés ne veulent pas se couper du monde actuel, au contraire, elles ont les deux pieds dedans, ce qu’elles cherchent plutôt à faire est "autochtoniser" la modernité, c’est-à-dire se l’approprier en fonction de leurs valeurs et de leurs priorités. »

Qu’est-ce qu’un cercle de sentence?

Au Canada, les cercles de sentence et les cercles de guérison constituent les deux principaux modèles de justice réparatrice en milieu autochtone […] Un cercle de sentence consiste à faire participer la communauté au processus d’imposition des sanctions. Concrètement, les participants (des membres de la communauté) sont assis en cercle avec le juge, l’accusé et la victime pour exprimer et partager leurs points de vue sur le conflit afin d’arriver à une décision (recommandation) qui puisse guider le juge dans le prononcé de la sentence.

Référence : Mylène Jaccoud, Criminologie, vol. 32, 1, 1999, p. 7-105

Vers la réconciliation?

La visibilité médiatique apportée par le dépôt de ce rapport permettra une plus grande prise de conscience de l’histoire des autochtones de la part des Canadiens. Une faible partie de la population était familière avec la réalité vécue par les enfants dans ces pensionnats, cette situation est maintenant connue. Ce constat est-il suffisant pour poursuivre le processus de réconciliation entamé avec la création de la Commission, dont c’était un élément important de sa mission?

« Dans ce rapport, la perspective autochtone a été très bien présentée, mais il manque le point de vue des responsables de ces pensionnats et des communautés religieuses impliquées, explique Claude Gélinas. Pour les autochtones, c’est une déception, car on n’a pas fait un état complet de la situation, il manquait des interlocuteurs. Le processus n’est donc pas terminé, le dialogue doit se poursuivre. »

Le rapport présente 94 recommandations portant sur les mesures à prendre pour favoriser la réconciliation. La Commission spécifie « qu’il faudra du temps et de nombreux efforts pour se défaire de cet héritage. De même que la période d’activité des pensionnats au Canada s’est étendue sur plus d’un siècle, le processus de réconciliation devra s’échelonner sur plusieurs générations ».

La réconciliation doit permettre aux peuples autochtones de retrouver leur estime de soi et d’établir avec les peuples non autochtones des relations reposant sur le respect mutuel. Dans les recommandations, on insiste d’ailleurs sur le volet éducatif à l’intention des non autochtones : il faut mieux faire connaître leur histoire et leur culture, il faut travailler à démolir les stéréotypes.

« Un autre volet important des recommandations porte sur l’amélioration de l’éducation en contexte autochtone, indique le professeur. À mon avis, ça devrait être la priorité. C’est la meilleure solution pour vraiment améliorer les conditions socioéconomiques dans les communautés. Environ 20 % des autochtones au Québec obtiennent un diplôme d’études secondaires avant l’âge de 34 ans, il faut trouver des façons de rendre l’éducation motivante pour eux. Il faut revoir les contenus offerts dans les écoles. À titre d’exemple, plusieurs écoles autochtones au Québec utilisent les mêmes manuels scolaires que les autres écoles québécoises. Quand ils ont des cours d’histoire, leur communauté n’est nulle part dans les manuels. On t’enseigne l’histoire et tu n’en fais pas partie, tu ne t’y retrouves pas. Comment peux-tu t’y intéresser? »

Les gouvernements ont évidemment la responsabilité de soutenir ce développement. Comme l'énonce Claude Gélinas, il s’agit d’une responsabilité partagée. « Le rapport souligne à juste titre que la suite doit être collective. Les solutions devront être réalisées en partenariat. Il ne faut plus dire aux autochtones quoi faire, ça fait 500 ans qu’on le fait et ça ne fonctionne pas. Il faut les appuyer dans les voies qu’eux considèrent importantes à suivre, dans une volonté de collaboration, qu’ils partagent d’ailleurs. »


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