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50 ans de l’Union africaine : un bilan plus que mitigé

Selon Patrick Dramé, professeur au Département d’histoire, l’Afrique doit passer de la parole aux actes pour prendre son destin en main

Patrick Dramé, professeur au Département d’histoire de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’UdeS
Patrick Dramé, professeur au Département d’histoire de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’UdeS
Photo : Michel Caron

Le 25 mai 1963, en pleine vague de décolonisation, les dirigeants africains de l’époque se rassemblaient pour former l’Organisation de l’unité africaine (OUA). L'objectif premier : unifier le continent pour former «les États-Unis d’Afrique», un bloc régional capable de tirer son épingle du jeu dans les relations internationales aux côtés de la puissance américaine et du bloc soviétique. En 2002, l’OUA change d’identité pour devenir l’Union africaine. Elle cherche un second souffle et veut s’inspirer des succès économiques et politiques de l’Union européenne. Toutefois, après un demi-siècle, plusieurs s’entendent pour dire qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir pour que l’Afrique s’unisse concrètement et se prenne en main. Entrevue avec le professeur Patrick Dramé, spécialiste de l’histoire de l’Afrique au Département d’histoire de la Faculté des lettres et sciences humaines.

Le 25 mai 1963, à Addis-Abeba en Éthiopie, une quarantaine de dirigeants de pays africains indépendants ont lancé l’idée de créer une nation : les États-Unis d’Afrique. À cette époque, les grands modèles économiques qui dominent sont ceux des Américains et des Soviétiques. Le roi d’Éthiopie de l’époque réalise que les États africains tels qu’ils sont, avec les frontières délimitées par les colonisateurs, ne pourront jamais peser sur la scène internationale. Il décide de rassembler les leaders africains pour créer l’Organisation de l’unité africaine (OUA).

Nouvelles UdeS : En mai dernier, les dirigeants des 54 pays membres de l’Union africaine (UA) étaient réunis pour célébrer le 50e anniversaire de la fondation de cette organisation. Est-ce qu’il y a lieu de fêter?

Patrick Dramé : La question est très pertinente. On constate qu’en 50 ans, l’Union africaine (UA) a cumulé beaucoup d’échecs. Il y a lieu de commémorer cette date historique très importante : la création de l’OUA. Mais aujourd’hui, quand on voit que ce sont encore des puissances étrangères qui interviennent en Afrique pour y assurer la sécurité, c’est un exemple d’échec… Alors je me pose moi aussi la question : que célébrer finalement?

Nouvelles UdeS : Quel bilan peut-on dresser des 50 dernières années?

P. Dramé : Il y a beaucoup plus d’aspects négatifs que d’aspects positifs dans ce bilan, et c’est bien dommage. D’ailleurs, vous n’entendrez aucun chef d’État africain dire que le bilan est positif. Au contraire, ils vous diront tous que l’Afrique a perdu 50 ans. Pensons à certains pays asiatiques qui sont en train de devenir des puissances économiques. Regardons aussi l’Inde, ancienne colonie britannique, qui aujourd’hui est un pays émergent en pleine croissance. L’Afrique, elle, reste toujours à la traîne et se pose encore des questions sur la voie à prendre.

Malgré cela, l’UA cumule quand même quelques réussites. L’UA a joué un rôle majeur pour parvenir à la libération du continent. Dans les années 1960, il y a encore beaucoup de pays sous la domination coloniale. Si nous citons les cas de l’Afrique du Sud, de l’Angola ou du Mozambique, l’UA s’était donné les moyens pour intervenir dans les mouvements nationalistes de ces pays et les aider à se décoloniser. Elle a accueilli des leaders de ces mouvements indépendantistes au sein de son organisation, elle a donné du soutien financier à des mouvements qui luttaient contre l’apartheid en Afrique du Sud et elle a aussi appuyé des mouvements rebelles, etc.

L’UA a contribué à l’écroulement définitif de l’apartheid en 1994. D’ailleurs, ses qualités de médiateur sont reconnues par les dirigeants mais aussi par l’ONU. Je pense qu’il faut souligner cela parce qu’il y a beaucoup de conflits où la médiation de l’Union africaine a permis de trouver un certain nombre de solutions.

Il y a quelques réussites, mais beaucoup d’échecs. Ce constat d’échec, on le doit notamment à la division entre leaders africains.

Nouvelles UdeS : Qu’en est-il de ces divisions?

P. Dramé : Deux visions s’affrontent depuis longtemps. Tous les dirigeants se disent des Panafricains convaincus, mais dans les faits, c’est une minorité qui croit à l’abolition des frontières pour faire un seul État, une seule fédération. L’objectif premier reste là, l’unification n’a pas été atteinte et on a peu avancé.

D’ailleurs, les dirigeants africains ont une incapacité à assurer la question de la sécurité commune. L’UA n’a pas réussi à mettre sur pied une armée qui peut intervenir dans les cas où il y a vraiment des difficultés. On le constate notamment avec les conflits en République démocratique du Congo et surtout au Mali. Il a fallu que la France, ex-puissance coloniale, y intervienne pour combattre des groupes jihadistes et permettre à ce pays de recouvrer sa souveraineté.

Autre constat important, l’UA a mis peu d’efforts sur le développement socioéconomique du continent. Les frontières persistent, empêchant le continent de se développer comme il le devrait. Le développement d’infrastructures est un levier économique et social important, pourtant chaque pays développe ses propres structures. Imaginez si des chemins de fer étaient construits du nord au sud de l’Afrique; si les dirigeants africains géraient ensemble les questions d’approvisionnement de l’électricité et de l’eau. Au Québec, nous avons accès à l’électricité 24 heures par jour. Dans plusieurs pays africains, l’accès à l’électricité n’est que de quelques heures par jour. Bref, si les dirigeants parvenaient vraiment à mettre en commun leurs ressources, le peuple africain pourrait faire des avancées majeures, et ce, très rapidement.

Il y a aussi des irritants qui persistent et qui n’aident pas le bilan de l’UA et le développement de l’Afrique. La persistance de dictatures, de la corruption et de la mal-gouvernance est toujours une entrave et retarde les avancées rapides que certains pays auraient pu faire. Aussi, il reste encore beaucoup de chemin pour faire évoluer les mentalités pour améliorer la place des femmes, des jeunes et des minorités dans la société africaine.

Nouvelles UdeS : Avec ce bilan plus que mitigé, quels sont les défis de l’Union africaine pour les 10 prochaines années?

P. Dramé : Je crois qu’il faut rompre avec les idéologies; il faut être beaucoup plus pragmatique. Le premier défi, c’est l’efficacité de l’Union africaine sur le terrain : le discours, c’est bien beau, mais il faut agir. Il faut que l’Afrique soit capable de parler d’une seule voix.

Le deuxième défi est, sans aucun doute, la sécurité. Il faut faire en sorte d’avoir une armée pour assurer la sécurité des Africains, c’est très important. On doit aussi se questionner sur la présence de puissances étrangères dans la gestion des ressources des pays africains. Prenons l’exemple du Niger avec l’uranium. Cinquante ans après l’indépendance, c’est le Niger qui fournit à la France de l’uranium en abondance et pourtant c’est l’un des pays les plus pauvres de la planète.

Troisième défi, c’est quand même dommage de voir 50 passeports différents pour un même continent. Il n’est pas normal non plus d’avoir besoin d’un visa entre différentes régions de l’Afrique. L’UA doit penser à un passeport commun entre pays africains. Bref, il faut voir à faire lever et disparaître les frontières afin de faciliter les rapports et les échanges économiques.

Nouvelles UdeS : Cinquante ans plus tard, est-ce que l’on peut poursuivre l’idée d’unifier l’ensemble du continent?

P. Dramé : Il sera extrêmement difficile d’y arriver. En 2002, lorsque l’UA a succédé à l’OUA en prenant l’exemple de l’Union européenne, les leaders africains souhaitaient donner un second souffle à l’organisation et relancer le projet d’unification totale du continent. Mais les clivages demeurent et il y a encore deux visions de développement qui s’affrontent. Le peuple africain et la société en général sont confrontés de plus en plus à des revendications de minorités.

En revanche, l’Afrique pourra probablement compter sur la nouvelle génération chez qui l’idée du panafricanisme est très forte. D’ailleurs, depuis les années 2000, les Africains prônent un nouveau concept, celui de la «renaissance africaine». L’Afrique du Sud est un bel exemple de renaissance; par son poids diplomatique et économique, elle essaie d’indiquer aux autres pays d’Afrique la voie à prendre.

L’Afrique doit renaître et émerger pour affronter les défis de la mondialisation. L’unification de l’Afrique permettrait aux Africains de se donner les moyens pour y arriver. Il reste qu’il y a des bienfaits à la solidarité sud-sud. Pensons à l’annonce que la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, a faite lors du 50e anniversaire de l’UA. Elle a annulé plus de 900 M$ US de dettes africaines des créances brésiliennes.