Point de vue d'experte
Donner au temps des Fêtes
Grande guignolée des médias, paniers de Noël, collecte de jouets des pompiers… Ce ne sont pas les occasions qui manquent pour donner au temps des Fêtes. Mais à une époque où nous vivons et consommons de façon effrénée, quelle place occupe le don dans notre société?
Entretien avec Martine Pelletier, professeure au Département des lettres et communications de la Faculté des lettres et sciences humaines. La professeure Pelletier a mené des travaux sur les questions du bonheur et du don ainsi que sur l'éthique des médias.
De façon générale, qu'est-ce qui motive les gens à donner?
C’est une question qui alimente depuis longtemps les recherches en sciences humaines. Les motivations du don contemporain peuvent être regroupées sous 4 grands faits :
- Avoir un sentiment de compassion envers les personnes dans le besoin;
- Être touché personnellement par la cause;
- Croire en la cause;
- Se sentir redevable à la collectivité.
Ces facteurs sont nuancés selon les contextes de vie des gens, l’âge, les valeurs, le temps dont nous disposons... L’éventail des motifs du don est assez large. Il peut osciller entre l’obligation fondée sur une croyance et les crédits d’impôt annuels ou le désintéressement et la gratuité. Mais entre ces pôles, il n’est pas toujours clair de déterminer ce qui est impliqué dans le fait de donner. Toutefois, selon une étude de Statistique Canada de 2013, 9 dons sur 10 seraient motivés par la compassion.
Comment choisir à quelle cause ou à quel organisme de bienfaisance donner?
Question difficile et qui se corse vu l’ampleur des causes. Donner à une seule cause ou à plusieurs? Ici, on touche à la dimension implicite du don.
Le choix risque fort bien d’être orienté selon le degré de compassion et de sensibilité personnelle pour une cause.
La question du don en argent ou en temps bénévole sera aussi à considérer. La générosité prend plusieurs formes : argent, temps, aliments, vêtements, contribution directe aux sans-abri, etc. Car comme l’a écrit J.T. Godbout, sociologue québécois, dans L’Esprit du Don, « penser en terme de don, c’est cesser de voir ce qui nous entoure (les liens, les choses) comme des instruments et des moyens à notre service ».
Choisir une cause, c’est avoir confiance; c’est évaluer sa propre capacité d’implication; c’est se joindre à des groupes dont on partage les valeurs. Subtilement se glisse un élément identitaire, assumé ou non.
Autrement, il s’agit de vérifier la réputation de l’organisme et les retombées réelles ou mesurables de l’utilisation des dons sollicités. Certains mécanismes de surveillance existent. Afin de faire un choix éclairé, il vaut la peine de visiter le site du gouvernement canadien Organismes de bienfaisance et dons.
Quels impacts ont les médias et les réseaux sociaux sur le geste de donner?
Bien que les médias et les réseaux sociaux ne partagent pas les mêmes publics, ils ont avantage à faire campagne de manière complémentaire.
Depuis 2001, le regroupement des médias traditionnels, en une journée annuelle fixe de collecte extérieure, a sans doute permis de mobiliser davantage la population québécoise qui répond toujours généreusement.
Quant aux réseaux sociaux, ceux-ci ont sans aucun doute transformé le rapport au don.
Depuis l’arrivée du bouton « Donner » sur les sites et la possibilité d’y solliciter des dons, les organismes sans but lucratif (OSBL) déploient leur créativité pour humaniser leurs pages web par des récits de vies et des expériences racontés, usant ici de la vieille approche des médias traditionnels qui fait appel à l’émotion des publics. Qui plus est, l’accès aux informations des organismes à travers leurs vitrines numériques, plus complètes que la documentation imprimée, permet de conforter les engagements et de valider les choix des dons, et ce, du plus petit jusqu’au plus grand mécénat.
Mais entre le slacktivisme, où le « clic approbateur » n’engage à rien d’autre, et l’entraide spontanée des réseaux sociaux, tout un espace non-marchand s’installe aussi sur le web, une sorte de contre-environnement social où naissent et meurent de nombreux gestes altruistes.
Au-delà des médiums, l’influence des pairs joue certainement sur l’adhésion aux causes par un effet d’identification à son propre réseau de connaissances et à son entourage.
Pourquoi le temps des Fêtes est-il une période aussi convoitée par les organismes pour solliciter les dons de la population?
Le temps des Fêtes est une période de réjouissance, d’abondance, d’excès, peut-être encore teintée de valeurs judéo-chrétiennes, ou de celles des cultures des Premières Nations, qui pratiquaient le potlatch annuel en hiver.
Le potlatch est une coutume basée sur le don, où les clans rivalisaient à savoir qui donnera le plus en nourriture ou en biens, mais surtout, qui sera capables de rendre davantage... parfois jusqu’à se ruiner.
Nous observons, à tout le moins, une forte hausse des demandes auprès des organismes communautaires à cette période de l’année.
Du panier alimentaire aux jouets restaurés, bien des générations ont contribué, par leurs gestes caritatifs, à rendre cette période plus douce à traverser.
Cependant, les campagnes des organismes philanthropiques s’étalent sur toute l’année et se joignent souvent à des mouvements populaires de marches collectives et de défis originaux qui invitent au dépassement de soi, comme c’est le cas pour le défi Têtes rasées de Leucan ou le 24 h Tremblant.
L’un ou l’autre des aspects de la mouvance du don, établis par le sociologue et anthropologue français Marcel Mauss, est toujours en jeu selon ce qui est recherché dans le fait de donner.
Donner, recevoir, rendre… On donne parce que l’on reçoit à travers ce geste, plusieurs en témoignent, ou bien on donne parce qu’on veut rendre ou donner à autrui.
Le temps des Fêtes, au-delà de sa tendance à la consommation presque consumériste, se renverse en prises de conscience. C’est une période de vie sociale et familiale intense où tout est prétexte à la fête…et au partage.
Le don est une forme élémentaire de la circulation des choses dans toute société, qui empêche les humains de devenir des choses.
J.T. Godbout, Ce qui circule entre nous