Histoire, publicités, géomatique et numérique
Analyse des stratégies publicitaires du rêve suburbain à Montréal
Comment la banlieue de masse était-elle vendue par les entreprises dans les années 1950 et 1960? Comment ont évolué les stratégies publicitaires du rêve suburbain à Montréal durant cette période? Quel idéal s’en dégage-t-il? Telles sont les questions de recherches auxquelles a tenté de répondre le professeur d’histoire Harold Bérubé.
Un accès à la modernité
Au carrefour de la Grande noirceur et de la Révolution tranquille, les années 1950 et 1960 ont été caractérisées par la suburbanisation massive à Montréal. La banlieue de masse a redessiné le visage de l’Amérique du Nord. Selon Harold Bérubé, « l’accès à la propriété dans les années d’après-guerre fut considéré comme un important symbole d’accès à la classe moyenne ». Toutefois, l’adhésion à ce nouvel idéal de vie tarde et se fait avec modestie au Québec. Le phénomène peu étudié dans la province demandait donc à être analysé.
Un modèle publicitaire
À partir de l’analyse de 2 500 publicités distinctes de résidences unifamiliales neuves dans les journaux francophones et anglophones du samedi durant les années 1951, 1955, 1959, 1965 et 1969, le spécialiste a pu mettre de l’avant un modèle publicitaire idéaltypique et découvrir que les stratégies employées se sont complexifiées. Au fil des décennies 50 et 60, le rêve suburbain occupe de plus en plus l’espace promotionnel, ce qui favorise la « propagation et la normalisation de ce mode de vie ».
Le style suburbain apparaissant comme le mode de vie à adopter, les annonceurs emploient fréquemment la terminologie suburbaine pour décrire l’environnement, mais aussi pour nommer des produits. Frost renomme ses clôtures « les clôtures suburbanite » et Goodyear met en vente les pneus « Suburbanite ». Même si le graphisme diffère, les publicités passent et se ressemblent : on y retrouve une illustration des modèles de maisons, le nom de l’ensemble résidentiel, les indications pour s’y rendre, les coordonnées du promoteur, les caractéristiques de la maison et sa valeur.
Les grandes stratégies utilisées
En étudiant ce modèle publicitaire, l’expert en histoire a pu mettre en lumière les stratégies utilisées par les promoteurs. Ces derniers emploient « l’appel à la modernité » comme argument de vente. Le mot « modernité » et ses dérivés reviennent abondamment, comme quoi l’accès à la propriété permettrait d’entrer dans l’ère moderne.
La « Sainte Trinité suburbaine » est une variable fortement présente dans les publicités afin de vanter la proximité des institutions religieuses et scolaires ainsi que des centres commerciaux. Selon Harold Bérubé, cet élément laisse penser que l’idéal suburbain implique un idéal familial et religieux et présuppose leur grande influence dans la société.
La cible des annonceurs est le chef de famille masculin. Dans les publicités étudiées, les femmes et les enfants sont peu représentés. Au moment de la vente, ils accordent donc peu d’importance à la famille associant les transactions monétaires majeures aux hommes.
Pour rassurer et attirer de futurs acheteurs, les promoteurs n’hésitent pas à user de stratégies « réconfortantes ». L’achat d’une maison étant une dépense non négligeable, les entreprises le rappellent aux consommateurs en faisant valoir leurs bas prix et en réitérant la faible somme en argent comptant qui doit être investie pour acquérir la propriété.
Une variation des discours et des approches
Même s’il est possible de dégager une publicité idéaltypique des annonces étudiées, le professeur Bérubé note toutefois une variation de discours et d’approches utilisées pour convaincre les consommateurs au fil du temps.
Entre 1950 et 1970, il semble donc y avoir un « raffinement des stratégies publicitaires ». Les premières annonces révèlent une certaine retenue. La modestie et l’idée du luxe à petit prix sont de mises. Les effets de l’après-guerre et la croissance économique lente expliquent ce discours de l’incertitude. Dès les années 1960 toutefois, des projets plus élaborés et plus audacieux commencent à faire leur apparition. Les petits promoteurs font place aux grandes entreprises qui gèrent de multiples développements immobiliers.
Initialement centrée sur la maison et ses caractéristiques, la publicité introduit avec le temps le milieu dans lequel s’insère la résidence. Les annonceurs ne vendent plus seulement qu’une habitation, mais un quartier, ses citoyens et l’environnement socioprofessionnel auquel se joindra l’acheteur. On accorde une importance croissante à l’emplacement de la maison, aux services avoisinants et à la cohésion sociale.
Une divergence linguistique
Un des derniers constats du spécialiste est que le facteur linguistique revêt une importance considérable. Au début des années 1950, les promoteurs ne s’adressent qu’à un groupe linguistique en particulier. Ainsi, les publicités francophones ne sont pas traduites pour des médias anglophones et vice versa. À partir des années 1960 toutefois, les campagnes promotionnelles commencent à être reproduites dans les deux langues démontrant alors que « l’idéal suburbain n’a pas de langue ».
En outre, la langue joue un rôle d’un point de vue géographique. Il semble que ce rêve de banlieusard soit perçu différemment selon le groupe linguistique. L’étude des publicités a révélé que les entreprises associaient certains secteurs à une clientèle francophone ou anglophone. Notons que certains ensembles résidentiels témoignent d’une certaine hétérogénéité tels Candiac et Châteauguay.
La recherche et la technologie
En s’alliant au professeur d’histoire Léon Robichaud, le chercheur a mis à profit le numérique afin de rendre accessibles les données recueillies sur une application développée grâce au Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal. Dates, lieux, valeurs marchandes, langues de publication, contenu de la publicité, les variables disponibles permettent d’effectuer des recherches détaillées. Les internautes peuvent ainsi explorer et exporter les données, faire leur propre découverte et en arriver à leur propre analyse.
Cette recherche et le développement de cette application ont été rendues possibles grâce au partenariat avec MapGears et au financement du Fonds de recherche Société et culture ainsi que du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.