Rôle infirmier de défense des droits des patients ayant une déficience intellectuelle
Une responsabilité méconnue, du personnel mal outillé
Les personnes ayant une déficience intellectuelle sont rarement en mesure de défendre leurs droits. Cela est encore plus vrai lorsqu’elles séjournent en milieu hospitalier : c’est le personnel infirmier qui a alors la responsabilité professionnelle et éthique de faire respecter leurs droits. Or, des données inédites recueillies par une étudiante chercheuse indiquent que ce rôle des infirmiers est méconnu et que ceux-ci sont peu appuyés et mal outillés pour l’assumer.
Après son bac en sciences infirmières réalisé à l’UdeS, Amélie Ouellet a pratiqué en milieu hospitalier pendant quelques années aux soins intensifs-urgence. Elle poursuit maintenant son travail d’infirmière dans un CLSC. À quelques reprises, son travail l’a amenée à côtoyer des patients ayant une déficience intellectuelle.
Personnellement, je ne me sentais pas outillée, témoigne-t-elle. Ces personnes ont des difficultés à s’exprimer verbalement et à se faire bien comprendre. J’ai pu constater que leurs besoins n’étaient pas bien adressés. Je me suis dit que c’est quelque chose qui devait être amélioré.
La jeune femme a décidé de poursuivre sur les bancs d’école pour faire une maîtrise en sciences cliniques. Son projet de mémoire vise à documenter ce rôle professionnel et éthique de défense des droits de la clientèle déficiente intellectuelle par le personnel infirmier. «Je veux savoir ce que vivent ces patients vulnérables mais aussi leur famille, qui sont leurs porte-paroles, et les professionnels de la santé qui sont concernés. Si on veut améliorer, il faut d’abord savoir à quoi on s’attaque.»
Entamé en septembre 2015, le projet de maîtrise est effectué sous la direction des professeures-chercheuses Chantal Doré et Louise O’Reilly de l’École des sciences infirmières, de la Faculté de médecine et des sciences de la santé. Chantal Doré est aussi chercheuse à l’Institut universitaire de première ligne en santé et services sociaux du CIUSSS de l’Estrie-CHUS.
L’étude d’Amélie Ouellet comprend deux volets : le premier consiste à observer les interactions infirmières-patients en situation de dispensation des soins, alors que le deuxième volet comprend des entrevues auprès de patients et de leur famille, d’infirmières et de gestionnaires. Déjà, à mi-parcours, le projet met en lumière des informations inédites sur ce rôle complexe du personnel infirmier, trop peu documenté. Une première au Québec, dans un contexte où l’organisation des soins de santé souffre de plusieurs maux. Les résultats préliminaires de l’étude sont présentés ce jeudi 11 mai dans le cadre du congrès de l’Acfas.
Qui sont les personnes vivant avec une déficience intellectuelle?
Entre 1 et 3% de la population est atteinte de déficience intellectuelle (DI). Au Québec, ce sont environ 225 000 personnes qui vivent avec une DI. Selon l’Association américaine de psychiatrie, la déficience intellectuelle est un «trouble se manifestant durant la période de développement qui inclut des déficits intellectuels et adaptatifs dans les domaines conceptuels, sociaux et pratiques». Pour toutes ces raisons, les personnes atteintes sont rarement en mesure de défendre leurs choix, leurs besoins, leurs aspirations ainsi que leurs valeurs. Qui plus est, leur santé physique est précaire : elles éprouvent 2,5 plus de problèmes de santé que la population générale, ce qui en fait des bénéficiaires de soins de santé plus assidues. «Peu importe le niveau de déficience –léger ou profond- ces individus sont particulièrement vulnérables et ont besoin du soutien des infirmières», souligne Amélie Ouellet.
Le bien-être et le consentement libre et éclairé des patients font partie de «l’idéal éthique» du personnel infirmier, dont le travail s’inscrit dans la relation d’aide. Or, bien qu’il constitue aussi une responsabilité éthique et professionnelle, ce rôle de défense des droits est malheureusement peu ancré dans la pratique infirmière. Et le contexte organisationnel des soins accentue la vulnérabilité de ces patients aux besoins particuliers.
Un rôle méconnu et un contexte de travail aggravant
Les recherches, observations et entrevues menées par Amélie Ouellet jusqu’à maintenant permettent déjà de dégager un constat préoccupant : le rôle de défense des droits des personnes est méconnu au sein de la littérature en sciences infirmières et le concept génère beaucoup de confusion dans la pratique. «Les professionnels de la santé sont inconfortables et mal outillés lorsqu’ils soignent les patients avec une DI, atteste l’infirmière et chercheuse. Cela comprend les gestionnaires. Peu d’études explorent l’expérience des divers acteurs clés dans cette fonction. Je crois qu’il est primordial d’approfondir les connaissances en la matière pour améliorer la qualité et la sécurité des soins auprès de cette clientèle.»
Les risques de malmener les droits et le bien-être des patients sont bien réels, et le contexte organisationnel qui prévaut actuellement dans le milieu de la santé aggrave ces menaces.
L’immense charge de travail du personnel infirmier nuit à l’exercice du rôle de défense des droits. Les ratios patients/infirmier – de 12 à 15 patients pour une infirmière pendant la nuit- obligent les professionnels à tourner les coins ronds et rompt la continuité des soins. Les infirmières et les préposés travaillent en équipe mais ils n’ont même pas le temps de se parler.
Et la réalité des familles?
Pour compenser la surcharge de travail du personnel infirmier, la famille et les proches s’investissent beaucoup au chevet des patients. Les risques d’épuisement de la famille sont d’une ampleur qui a étonné Amélie Ouellet. «Je crois que les membres de la famille s’impliquent au point de parfois négliger leur santé. Cela interpelle le rôle politique du personnel infirmier, et c’est un enjeu éthique auquel ma recherche doit aussi s’intéresser.»
La recherche d’Amélie Ouellet devrait prendre fin à l’automne 2017. À l’issue des données recueillies, elle espère pouvoir fournir une meilleure compréhension de cette réalité vécue par les patients, leurs familles et le personnel professionnel. Par son projet elle souhaite réduire les obstacles à l’exécution de ce rôle infirmier de défense des droits, par une prise de conscience et une formation infirmière plus approfondie.