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Février, Mois de l’histoire des Noirs

Quand les lions ont leurs propres histoires

Le professeur Patrick Dramé, du Département d'histoire, spécialiste des questions touchant à l'histoire de l'Afrique.
Le professeur Patrick Dramé, du Département d'histoire, spécialiste des questions touchant à l'histoire de l'Afrique.
Photo : Michel Caron - UdeS

Famine, sécheresse, pauvreté, violences, épidémies, corruption… de catastrophes en calamités, l’Afrique nous apparaît invariablement enlisée dans un bourbier. Un tel regard est pourtant ancré dans de profonds préjugés et une méconnaissance qui puisent leurs racines dans l’histoire de la traite esclavagiste et de la colonisation. Sans verser dans un afro-optimisme béat, le continent africain est fort d’une histoire riche, et il est bel et bien le théâtre d’avancées et d’innovations prometteuses pour son présent et son avenir.

Le professeur Patrick Dramé, du Département d’histoire de la Faculté des lettres et sciences humaines, en sait quelque chose. Originaire du Sénégal, il se spécialise dans les questions touchant à l’histoire de l’Afrique, du colonialisme à l’évolution des sociétés postcoloniales, en passant par la décolonisation.

Cette vision pessimiste de l’évolution africaine nous vient de l’histoire. L’Afrique porte encore aujourd’hui le poids de son histoire, marquée par des siècles d’esclavage et de colonisation.

Plusieurs sociétés africaines, ajoute le professeur Dramé, ont également traversé une période postcoloniale complexe de difficile gestion de l’indépendance acquise, marquée par l’autoritarisme et les échecs des politiques de développement économique et social.

Ce dernier rappelle que l’histoire depuis la décolonisation est encore toute jeune en Afrique – environ 62 ans, et que d’autres civilisations ont connu leur lot de périodes de guerres et de conflits avant de voir poindre une certaine stabilité politique et de tendre vers davantage de prospérité.

Colonisation et décolonisation de l’Afrique, en bref

À la fin du XIXe siècle, les grandes puissances européennes, principalement la France et le Royaume-Uni, colonisent l’Afrique en prenant possession de ses territoires, où elles imposent leur domination politique tout en procédant à l’exploitation des matières premières. Cette domination coloniale européenne s’est aussi accompagnée de représentation négative de l’Afrique, dont l’histoire et les valeurs de civilisation sont déniées.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les grandes puissances européennes se retirent, et l’Afrique s’affranchit de la domination coloniale. La décolonisation et la gestion de l’indépendance engendrera des décennies d’instabilité politique et de sous-développement économique. Il est toutefois important de souligner que les États africains ont accompli beaucoup de réalisations en matière de santé et d’éducation, sans oublier les politiques culturelles qui ont souvent conduit à recouvrer les valeurs propres.

Au-delà des préjugés, des évolutions rapides et positives

Depuis les années 1990, de belles avancées s’observent en Afrique, entre autres sur le plan de la démocratie, de la défense des droits humains et de la place des femmes dans la société.
Depuis les années 1990, de belles avancées s’observent en Afrique, entre autres sur le plan de la démocratie, de la défense des droits humains et de la place des femmes dans la société.
Photo : Fournie

Si le portrait de l’Afrique dépeint dans les actualités internationales semble toujours teinté par les regards coloniaux et la sombre période de décolonisation des années 1960 à 1980, le professeur Dramé ajoute que l’Afrique a été de tous temps traversée par des dynamiques positives et innovantes. Par exemple, depuis les années 1990, de belles avancées s’observent en Afrique, notamment sur le plan de la démocratie, de la défense des droits humains et de la place des femmes dans la société.

Aux événements politiques mondiaux marquants de la fin du XXe siècle, tels que l’implosion de l’URSS et la chute du mur de Berlin, figure aussi la transition démocratique en Afrique, rappelle le spécialiste de l’histoire africaine. Après des décennies d’autoritarisme faisant suite à leur indépendance, plusieurs États africains font ainsi leurs premiers pas démocratiques à partir des années 1990. Jusqu’à aujourd’hui, plus de 600 élections présidentielles et législatives se sont tenues dans plus de 50 pays d’Afrique. Beaucoup de ces élections se sont déroulées convenablement, et des alternances ont eu lieu à la tête de plusieurs pays.

Le professeur Dramé souligne aussi la progression de la place des femmes en Afrique, notamment dans la sphère politique :

Photo : Fournie

Au Rwanda, 54 % des députés sont des femmes. En Tanzanie, la participation active des femmes en politique date des années 1960.  Nous devons cependant convenir qu’il y a encore beaucoup à faire pour la promotion des femmes, mais aussi des jeunes, qui forment la majorité de la population africaine.

Le respect en matière de droits fondamentaux connaît par ailleurs d’importants progrès sur le continent africain, à mesure que la démocratie y gagne du terrain.  Cela se marque notamment par la mise sur pied de commissions vérité et réconciliation dans plusieurs pays, tels que la Guinée, le Rwanda, le Burundi, et plus récemment, la Gambie. L’Afrique du Sud a été en quelque sorte le point de départ des dynamiques de paix. L’on peut notamment penser à la libération de l’ancien président Nelson Mandela après près de 30 ans de détention, et à l’abolition de l’apartheid en Afrique du Sud, au début des années 1990.

À propos de l'apartheid

Sous le régime de l’apartheid (1948-1994), les personnes noires de l’Afrique du Sud, qui forment 80 % de la population, sont isolées socialement, politiquement, économiquement et géographiquement des personnes blanches, qui contrôlent l’ensemble du pays, où elles ne comptent que pour 10 % des habitantes et habitants.

Pas une, mais des Afriques…

En dépit de tous ces progrès importants, qui méritent d’être soulignés, le professeur Dramé indique que l’Afrique se trouve toujours face à d’immenses défis, qui constituent autant d’entraves à sa paix, sa sécurité et sa prospérité.

Le professeur Dramé déplore que les aspects positifs des dynamiques sociopolitiques des sociétés africaines anciennes et contemporaines ne soient pas justement perçues de l'extérieur.

Le professeur Dramé déplore que les aspects positifs des dynamiques sociopolitiques des sociétés africaines anciennes et contemporaines ne soient pas justement perçues de l'extérieur.


Photo : Michel Caron - UdeS

Il mentionne que la complexité de la situation réside entre autres dans le fait que l’on parle souvent de l’Afrique comme d’une entité homogène, alors que la réalité est tout autre. Il existe en effet plusieurs identités et courants de pensée différents en sol africain. Cette diversité est d’ailleurs davantage un atout qu’un obstacle, selon le spécialiste :

Les populations africaines ont montré dans le courant de leur longue histoire leur capacité à "vivre ensemble" et à faire front commun. Il est très dommage que les regards extérieurs ne perçoivent pas toutes ces dynamiques sociopolitiques – plutôt positives – , qui caractérisent les sociétés africaines anciennes et contemporaines.

… unies? 

Et si, comme le chantent de nombreux artistes africains, le salut de l’Afrique passait par l’unification des différents États et l’abolition de leurs frontières? L’idée du panafricanisme, cette idéologie d’émancipation des Africaines et Africains dans une même Afrique forte et unie, le professeur Dramé l’a bien étudiée, dans son ouvrage L'Afrique postcoloniale en quête d'intégration : s'unir pour survivre et renaître.

La colonisation a séparé l’Afrique, mais elle n’était pas non plus nécessairement unie avant, alors qu’il y avait des royaumes.

Professeur Patrick Dramé

À propos du panafricanisme

Né d’intellectuels noirs aux États-Unis qui luttaient contre la ségrégation raciale, le panafricanisme a suscité un vif intérêt lors de la décolonisation des années 1960. Il n’a toutefois jamais pris son envol, en raison des multiples intérêts et pensées divergentes au sein même du continent africain.

Le spécialiste mentionne néanmoins que certaines idées du panafricanisme connaissent un regain nouveau depuis quelques années, dans le cadre d’un projet de la Commission de l’Union africaine appelé l’Agenda 2063. Prévu pour cette même année, soit un siècle après la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), ce projet vise l’unité de l’Afrique pour assurer son plein développement et sa prospérité, par l’entremise de différentes actions.  Une monnaie et un passeport uniques, par exemple, font partie des propositions inscrites à l’Agenda.

Trouvant écho dans la sphère panafricaniste, l’un des proverbes africains les plus célèbres mentionne que « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse glorifieront toujours le chasseur ». Cet appel à l’autodétermination de l’Afrique rappelle que ses peuples doivent se réapproprier leurs propres forces pour se libérer du poids d’une histoire marquée par l’esclavage et la colonisation, pour que la suite soit prometteuse et plus à l’image de leur détermination et leurs avancées.

Conférences du professeur Patrick Dramé 

Dans le cadre du Mois de l'histoire des Noirs en février, le professeur Patrick Dramé présentera trois conférences :

Lundi 7 février 2022, à 19 h : Civilisations, cultures et histoire de l’Afrique ancienne
Vendredi 11 février 2022, à 10 h : Afrique : histoire et civilisations méconnues d’un continent
Lundi 14 février 2022, à 19 h : Le panafricanisme : un combat séculaire pour la reconstruction, la renaissance et l’affirmation de l’Afrique


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