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Slam philosophique sur le cynisme

Une soirée sur le cynisme et ses bienfaits

Virginie Duceppe, Jean-François Vachon et Maria Chelkowska
Virginie Duceppe, Jean-François Vachon et Maria Chelkowska
Photo : Michel Caron

Loin de la Grèce antique, Diogène de Sinope, l’un des pères de l’école cynique, présente sa philosophie à une intervieweuse branchée du 21e siècle : «Si l’homme est malheureux, dit le penseur, c’est essentiellement pour deux raisons. D’une part, il est cet être de tous les désirs qui sans cesse part en quête de ce qu’il n’a pas; de l’autre, il est cet être de toutes les angoisses qui traverse l’existence en compagnie de la peur. Résultat, le bonheur auquel l’homme serait en droit d’aspirer lui échappe.» Succédant à la présentatrice médusée, des «slammeurs» y vont d’une poésie décapante et rythmée au cynisme bien senti. Puis des littéraires livrent des textes qui bousculent certaines conventions. Voilà un aperçu de la soirée qui attendait les participants au Slam philosophique sur le cynisme, le 15 mars à 20 h, au bistro Boquébière, rue Wellington Nord.

Étudiantes au Département de philosophie, Maria Chelkowska et Virginie Duceppe sont les idéatrices de cette soirée organisée sous l’égide de la Société de philosophie de Sherbrooke. L’idée de ce spectacle était de trouver une thématique très actuelle qui permette de réunir des gens de différents horizons – artistes, littéraires et philosophes – autour d’une même réflexion.

Le côté positif du cynisme

Le cynisme semble occuper une place croissante dans l’espace public par le biais de plusieurs commentateurs, blogueurs, humoristes ou politiciens. Aux yeux de plusieurs, le concept charrie une image négative, souvent confondue avec d’autres idées comme le dénigrement, le sarcasme ou l’ironie. Mais selon Maria Chelkowska, lorsqu’on retourne aux racines philosophiques, on découvre que le cynisme «peut vraiment amener quelque chose de positif et qu’il y a autre chose derrière le cynisme».

Pour cette soirée, l’étudiante à la maîtrise a mené une recherche approfondie sur le personnage de Diogène, dont l’histoire a retenu un mode de vie très frugal et une façon singulière de prêcher par l’exemple. Présumé avoir été un faux monnayeur avec son père banquier, le philosophe du 4e siècle avant notre ère opérait selon une méthode semblable dans son discours : «Il tentait de falsifier les normes établies en matière de morale, de politique et de religion», explique Maria Chelkowska.

Dans la foulée de Diogène, «le cynique grec essaie de voir les choses en face, comment elles sont réellement. Il cherche à faire prendre conscience aux gens de ce qui se passe en les ébranlant», dit-elle. Il les amène à découvrir que «ce qui les dérange est peut-être plus superficiel qu’ils le pensent».

La doctorante Virginie Duceppe ajoute que contrairement à d’autres philosophes aux approches théoriques, «le cynique est plus dans l’action». La sagesse du cynique «t’amène hors de ta zone de confort et tu n’as pas le choix d’avoir une réflexion personnelle et de te repositionner par rapport à ça».

Elle souligne que le cynique appelle à plus de cohérence entre «notre philosophie de vie et nos actions».

Verve cynique

Lors du Slam philosophique, des auteurs et des artistes ont proposé des textes démontrant comment le cynisme trouve toute sa pertinence de nos jours. Les spectateurs ont pu entendre des membres de la Slamille sherbrookoise, le «chansonnier conspirationniste» Dr Crédible Berlingot, ainsi que des membres du Groupe des 15, un cercle littéraire ainsi nommé pour ses réunions tenues le 15 de chaque mois.

Parmi eux, Jean-Francois Vachon, doctorant en histoire, a proposé des monologues humoristiques : «Quand j’écris un texte, j’essaie de choquer les gens pour qu’ils se regardent eux-mêmes. On y retrouve des questions de valeurs et des questions morales sur la société : vit-on vraiment dans la société qu’on veut? Est-on fidèle à nous-mêmes et à nos valeurs? Ce sont des questions que tout le monde se pose : j’aime toucher à ces cordes sensibles.»

Jean-François Vachon s’inspire du quotidien et de l’actualité. Par exemple, il a écrit un texte où il prétendait ne plus vouloir être heureux. «Dans la société, on valorise tellement le bonheur qu’on n'a plus le droit d’être malheureux. Le but de ce monologue était de rentrer dans le tas et de choquer sur cette convention sociale, et cette idée du bonheur souvent associé à la consommation», illustre-t-il. Dans ses écrits, il ne cherche pas d’emblée à être cynique, mais veut amener le spectateur à réfléchir.

Mode solution

Mais en voulant bousculer des idées établies, y a-t-il une limite que le cynique ne doit pas franchir? Pour Virginie Duceppe, cette limite apparaît très clairement et consiste à ne pas aller à l’encontre de ses propres valeurs : «Le but n’est pas de chialer pour chialer, mais plutôt de critiquer quand on sait qu’on a une solution à apporter, ou quand on sait qu’il existe une solution possible.»

Le Slam philosophique a donc proposé un «gros show» au cours duquel plusieurs voix se sont fait entendre, et où Diogène a peut-être réussi à convertir une animatrice frivole bercée par le confort des valeurs de la société postmoderne.