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Semaine de la recherche 2025

Entonner le canon de l’égalité... à chaque instant

Les présentations de deux équipes de chercheuses, l'une en musique et l'autre en travail social, se sont fait écho lors de la séance du mercredi 19 mars, animée par la professeure Louise Bienvenue, du Département d’histoire.
Les présentations de deux équipes de chercheuses, l'une en musique et l'autre en travail social, se sont fait écho lors de la séance du mercredi 19 mars, animée par la professeure Louise Bienvenue, du Département d’histoire.
Photo : Fournie

Que partagent les concerts de musique contemporaine et le monde universitaire? Chacun à leur façon, ils visent l’égalité entre hommes et femmes. Et pour parcourir cet encore long chemin, les efforts doivent être nourris – et partagés –, soulignent des chercheuses dans le cadre de la Semaine de la recherche.

Partagés entre qui? Entre individus, organisations et institutions. C’est d’ailleurs un individu qui lance la professeure Ariane Couture, de l’École de musique, dans la direction de ses recherches actuelles. Ou plutôt « une » individu. Lors de la soutenance de sa thèse, une chef d’orchestre lui demande : « Où sont les femmes en musique contemporaine? »

Mais oui, où sont-elles, les Bach et les Mozart modernes? Pour répondre, Ariane plonge dans sa base de données sur les concerts. Résultat : environ 10 % du répertoire provient d’œuvres signées par des compositrices, pour 10 % de femmes parmi les membres du Centre de musique canadienne à la même époque.

Normal, non? Pas tout à fait. Il existe bel et bien une différence dans la présence des compositeurs et des compositrices lors de concerts. Et elle est majeure.

Loin des quatre saisons

Tandis que les œuvres d’hommes sont jouées à l’année, celles de compositrices retentissent surtout sur scène lors d’hommages posthumes pour l’une d’elles, lors de compétitions et… autour du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes.

Jumelé au faible pourcentage de femmes compositrices, ce traitement particulier de leurs œuvres renforce leur exclusion. En les écartant des programmations courantes, il transforme les compositrices en exceptions.

Pourtant, faut-il le rappeler, les femmes sont parfaitement capables de devenir compositrices, comme elles peuvent être ingénieures, médecins, députées… D’ailleurs, leur nombre augmente, même si leur présence dans les concerts, elle, progresse très peu.

Comment expliquer alors leur faible présence dans les programmations? Quels sont les mécanismes qui, actuellement, encouragent ou freinent la visibilité de leur musique?

Des pistes pour changer de rythme

À partir d’entretiens menés auprès de 7 personnes dirigeant des organismes de diffusion et de 12 compositrices, Ariane et Alexandra Maison, étudiante au baccalauréat en musique, espèrent comprendre les processus à l’œuvre. Des pistes se dessinent déjà.

La professeure Ariane Couture et Alexandra Maison, étudiante au baccalauréat, cherchent à comprendre les mécanismes qui, actuellement, encouragent ou freinent la visibilité des compositrices.
La professeure Ariane Couture et Alexandra Maison, étudiante au baccalauréat, cherchent à comprendre les mécanismes qui, actuellement, encouragent ou freinent la visibilité des compositrices.
Photo : Fournie

Les femmes se heurtent au « mythe du génie », selon lequel la réussite découle seulement du talent. Particulièrement persistante en musique, cette idée évacue l’intervention de plusieurs mécanismes sociaux et institutionnels. Une autre idée néfaste est la perception fréquente que la réussite d’une femme indique que les obstacles sont aplanis pour toutes les autres.

De plus, les compositrices de musique contemporaine vivent des difficultés à se joindre à des groupes. On leur dit, par exemple, que la présence de femmes « change la dynamique ». Ces exclusions compliquent leur parcours, les poussant parfois à se diriger vers un genre musical différent, allant du métal à la chanson pour enfants, voire à la composition pour chorales amateures.

Or ces genres reçoivent souvent moins de soutien financier de la part des organismes subventionnaires.

Ces clés de compréhension alimenteront la réflexion des personnes, des organismes et des institutions qui souhaitent favoriser la visibilité des compositrices, sans restreindre les choix de programmation.

D’ailleurs, à qui se demande par où commencer, l’expérience d’une équipe de l’École de travail social offre plusieurs suggestions…

La posture féministe, une valse à trois temps

La première fois que Victoria Veira envisage l’intervention collective – qui vise des changements structuraux dans la société –, elle est à la maîtrise. Pourtant, elle a suivi plusieurs cours de baccalauréat sur le sujet. Mais tous étaient enseignés par des hommes.

Quand Victoria commence-t-elle à envisager l’intervention collective? Quand elle rencontre la professeure Annabelle Berthiaume, qui deviendra sa directrice de maîtrise. L’expérience de Victoria et d’Anne-Sophie Bordeleau au sein de l’équipe d’Annabelle donne plusieurs clés pour adopter une posture féministe en recherche – ou dans n’importe quel groupe de travail.

La professeure Annabelle Berthiaume accompagne Anne-Sophie Bordeleau et Victoria Vieira, étudiantes à la maîtrise, alors qu'elles partagent leur expérience d'une posture féministe en recherche.
La professeure Annabelle Berthiaume accompagne Anne-Sophie Bordeleau et Victoria Vieira, étudiantes à la maîtrise, alors qu'elles partagent leur expérience d'une posture féministe en recherche.
Photo : Fournie

Première facette à questionner? Les relations hiérarchiques, ici l’encadrement entre les membres du corps professoral et les personnes qu’ils supervisent. Pour les diversifier et les déhiérarchiser, l’équipe instaure le Laboratoire de socialisation scientifique en intervention collective, qui regroupe des membres étudiants et enseignants.

Les premiers accèdent ainsi à des modèles différents de spécialistes et à des manières variées de mener des recherches. Des liens solides – et solidaires – se tissent aussi au niveau des étudiantes et étudiants, Anne-Sophie évoquant le partage de conseils pour réussir un cours ou de modèles pour rédiger des demandes de bourses.

Deuxième réflexion à mener : le cadre du travail, ou (en recherche) la méthodologie. Les projets de recherche, voire chacune de leurs étapes, sont réfléchis pour faciliter l’identification des rapports de pouvoir dans la construction des connaissances. Qui parle? De quoi? Pour et avec qui? Pour dire quoi? Avec quels effets?

Loin d’appartenir à cette équipe de recherche, ce « positionnement situé » est une base de l’analyse féministe. Il pousse à adopter des méthodes laissant de l’espace aux personnes concernées, comme les photovoix – où la photo témoigne d’une expérience vécue par le public interrogé.

Dans un exercice de photovoix, un parent photographe nouvellement arrivé au Québec aborde la relation au temps : « Dans un monde qui se bat avec le temps, tout est calculé, tu ne peux pas dépasser. Dans notre pays, on ne regarde pas l’heure. [I]l y a la place pour les imprévus. »
Dans un exercice de photovoix, un parent photographe nouvellement arrivé au Québec aborde la relation au temps : « Dans un monde qui se bat avec le temps, tout est calculé, tu ne peux pas dépasser. Dans notre pays, on ne regarde pas l’heure. [I]l y a la place pour les imprévus. »
Photo : Fournie

Tant dans son travail d’auxiliaire de recherche que dans son mémoire de maîtrise, Anne-Sophie utilise cet outil auprès de parents « en marge », de par leur arrivée récente au Québec, leur orientation sexuelle ou leur identité de genre.

De ce cadre de travail découle le troisième, et dernier, arrêt dans la réflexion : la relation avec les publics et les personnes concernées. Leur laisser une large place signifie parfois développer des cadres conceptuels qui valorisent un discours minoritaire – et tout à fait légitime –, parfaitement en lien avec les visées de l’intervention collective.

Tous ces questionnements exigent temps et engagement. Il faut nourrir de profondes relations, douter de certains choix ou orientations et les vérifier, peut-être les modifier, puis tout recommencer – dans cet ordre ou un autre.

Or ce temps et cet engagement sont peu valorisés dans les structures actuelles. Par exemple, ils ne rapportent pas de points pour une demande de subvention, contrairement à la publication d’un article scientifique.

Les trois chercheuses insistent : leur équipe n’a rien inventé. Le positionnement situé existe depuis longtemps et évolue au rythme des transformations sociales. Mais qui sait? Leur expérience de même que les constatations d’Ariane et Alexandra pourraient être l’étincelle qui allume des flammes, qui nourrit des ardeurs.

Parce que le jeu en vaut la chandelle : même si le processus est plus long, le résultat est plus riche.

La Semaine de la recherche 2025 est présentée à la Faculté des lettres et sciences humaines du 17 au 20 mars.


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