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Utilisation des opioïdes

Mimer la nature pour combattre la douleur

Au cours des dernières années, une augmentation des décès impliquant les opioïdes a été observée en Occident. Selon les autorités, nous assistons à une véritable crise. En ce moment, plusieurs laboratoires de l’Université de Sherbrooke collaborent pour comprendre comment les opioïdes fonctionnent afin de développer des médicaments plus sécuritaires.

Qu’est-ce qui se passe exactement avec les opioïdes?

De janvier 2016 à juin 2018, plus de 9000 décès liés à une surdose d’opioïdes ont été constatés au Canada seulement. Dans la première moitié de 2018, 2066 morts étaient recensées, dont la grande majorité découlait de surdoses accidentelles, et 72% étaient dues à la consommation de substances liées au fentanyl. Cette augmentation d’accidents impliquant les opioïdes porte le nom de crise des opioïdes. Selon l’Agence de la Santé Publique du Canada (ASPC), les données publiées aujourd’hui démontrent que la crise se poursuit.

Pourquoi utiliser les opioïdes s’ils sont si dangereux?

Le corps médical possède deux classes principales d’analgésiques dans son arsenal contre la douleur : les anti-inflammatoires non-stéroïdiens et les opioïdes. L’acétaminophène, ainsi que les anti-inflammatoires non-stéroïdiens, dont l’aspirine et l’ibuprofène font partie, sont considérés moins dangereux, car ils ne causent pas de dépendance. Malheureusement, ils sont seulement efficaces contre la douleur légère à modérée. Lorsque la douleur à traiter est considérée sévère, nous devons avoir recours à des opioïdes comme la morphine, l’oxycodone ou le fentanyl, qui sont les seuls qui s’avèrent être efficaces contre ce type de douleur.

Qu’est-ce qu’un opioïde exactement?

Les cellules perçoivent leur environnement grâce à des récepteurs, qui agissent comme des détecteurs chimiques. Certains récepteurs détectent des substances avec beaucoup de précision, si bien qu’on pourrait les comparer à une serrure, qui ne répond que lorsque la bonne clé y est insérée. Comme le corps est un système très complexe, plusieurs mécanismes sont mis en place pour lancer des signaux, puis pour les apaiser, en fonction des besoins. Par exemple, lorsqu’on se blesse, un signal nerveux est envoyé afin qu’on adopte un comportement protecteur, comme se retirer la main du feu en cas de brûlure. Par la suite, des substances sont libérées et vont activer certains récepteurs dans le système nerveux central (cerveau et moëlle épinière) afin de calmer la douleur, qui n’est pas utile en permanence.

Il y a quelques centaines d’années, nous avons découvert que la sève du pavot, appelée opium, contenait des substances provoquant une analgésie chez l’être humain. Par hasard, ces molécules ont les bonnes propriétés pour se rendre au cerveau et la bonne forme pour activer les récepteurs responsables de l’analgésie. On appelle les substances contenues dans l’opium (entre autres, la morphine et la codéine), des opiacés. Dans un sens plus large, toutes les molécules activant les mêmes récepteurs (celles produites naturellement dans le cerveau comme celles produites en laboratoire, comme l’héroïne et le fentanyl) sont appelées des opioïdes.

Est-ce qu’on peut s’attendre à des analgésiques sécuritaires?

Trois types distincts de récepteurs aux opioïdes ont été découverts et se sont vus attribuer une lettre grecque: mu, delta et kappa. Le récepteur mu, responsable des effets antidouleurs connus des médicaments comme la morphine, est aussi coupable de leurs effets secondaires indésirables (les plus graves étant la dépendance et la dépression respiratoire). Le récepteur kappa, lui, cause des hallucinations quand il est activé, par exemple par la drogue hallucinogène retrouvée dans la sauge des devins.

Il reste donc le récepteur delta. Selon des études, son activation pourrait mener à une analgésie dépourvue d’effets secondaires. De plus, on connait déjà des molécules produites naturellement par le corps et qui activent ce récepteur : les enképhalines. Un problème survient, cependant, lorsqu’on essaie d’administrer ces substances en tant que médicament : le cerveau, organe le plus important du corps humain, est bien gardé par une barrière qui laisse entrer très peu de molécules. Dans le cerveau, les enképhalines sont produites et utilisées sur place, avant d’être rapidement décomposées.

À l’Institut de Pharmacologie de Sherbrooke et au Centre de recherche du CHUS, les équipes des professeurs-chercheurs Louis Gendron, Ph.D. (Département de pharmacologie-physiologie), Yves Dory, Ph.D. (Département de chimie) et de Brigitte Guérin, Ph.D. (Département de médecine nucléaire et radiobiologie) tentent depuis plusieurs années de modifier chimiquement les enképhalines afin qu’elles puissent traverser la barrière protectrice du cerveau et résister à la dégradation. Bien sûr, les molécules modifiées doivent aussi garder la forme nécessaire afin d’entrer dans la « serrure » du récepteur aux opioïdes delta. C’est tout un défi! Heureusement, les scientifiques ne laissent rien au hasard. La chimie pharmaceutique (ou chimie médicinale) est la science qui étudie le lien entre la structure moléculaire d’une molécule et ses propriétés pharmacologiques. Chemin faisant, les chercheurs étudiant les enképhalines comprennent mieux comment elles fonctionnent et se rapprochent, petit à petit, de la découverte d’un analgésique sécuritaire.


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