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Chaire de recherche du Canada

Le Big Data à haute vitesse : faire passer les chutes du Niagara dans un entonnoir

Pre Audrey Corbeil Therrien
Pre Audrey Corbeil Therrien
Photo : UdeS - Michel Caron

Elle a cumulé un baccalauréat, une maîtrise puis un doctorat en génie électrique en nos murs, puis exil de deux ans pour aller effectuer un stage postdoctoral à Stanford University, prestigieuse université californienne. Mais on n’allait pas laisser passer l'occasion de la ramener en terre sherbrookoise : Audrey Corbeil Therrien est de retour en nos – ou ses? – murs, mais cette fois comme professeure au Département de génie électrique et génie informatique, avec un autre ajout majeur à sa fiche professionnelle : titulaire d’une Chaire de recherche du Canada sur l'intelligence temps réel embarquée pour détecteurs à débit ultrarapide. Elle bénéficiera de 600 000 $ pour 5 années de recherche.

Le résumé officiel qui présente ses recherches sur papier le fait en une vingtaine de mots :  « Développer des microsystèmes intelligents pour traiter, interpréter et compresser localement et en temps réel une multitude de données, réduisant le matériel et l’énergie nécessaires pour transmettre et stocker ces données. » Il s’agit d’un domaine de recherche en émergence appelé « informatique de périphérie » ou Edge Computing.

Ce que ça signifie en gros, c’est que la prochaine génération de détecteurs produira une quantité absolument incroyable de données, équivalente à 500 films HD chaque seconde, ce qui entraînera une gestion beaucoup trop difficile et coûteuse pour les systèmes actuels. Au lieu de numériser les données, de les envoyer à des systèmes d’acquisition puis de les analyser plus tard, on vise à développer des systèmes qui pourront analyser les données en temps réel, mais aussi qui pourront les sélectionner de façon intelligente afin de ne sauvegarder que les informations utiles. Et c’est là que mon expertise peut faire une différence.

Pre Audrey Corbeil Therrien

La physique, la chimie et la médecine conçoivent toutes de nouvelles expériences, de nouveaux détecteurs et de nouveaux systèmes pour observer des phénomènes avec toujours plus de rapidité, de précision et de résolution. Et toutes ces informations générées s’accumulent à un rythme toujours plus effréné. Ces détecteurs nouvelle génération se retrouveront en effet partout autour de nous : l’imagerie médicale, l’automatisation des industries, les véhicules intelligents et l’aéronautique n’en sont que quelques exemples.

Plus de données, moins d’énergie utilisée, plus de rétroactions en continu

Plusieurs avantages importants ressortent aussi de cette compression intelligente à la source.

Comme le volume de données à sauvegarder est considérablement réduit, poursuit Pre Corbeil Therrien, on a besoin de moins d’infrastructures pour stocker et manipuler ces données et de moins d’énergie pour les transporter et alimenter les centres de données. Aussi, le temps entre la collecte d’information et le résultat de l’analyse diminue considérablement, ce qui permet aux scientifiques d’obtenir de l’information en temps réel et d’ajuster en continu leurs expériences en cours.

Capteurs sur des ponts, des bassins versants et des caméras

Parmi les proches collaborateurs de la Pre Corbeil Therrien, on retrouve les professeurs Jean-François Pratte et Réjean Fontaine, avec qui elle œuvrera respectivement sur le développement de détecteurs de radiation et leur électronique analogique faible puissance dans une structure hétérogène en 3D et sur la bonification du projet de scanner à tomodensitométrie par temps de vol des photons. On anticipe des taux de données générées dépassant le térabit/seconde dans ce dernier projet, ce qui en fait un candidat idéal à l’intégration des technologies développées dans le cadre de la Chaire. L’impact pourrait aller jusqu’à permettre une diminution significative des doses de rayons X chez les patients.

Les travaux issus de la Chaire pourraient trouver bon nombre d’applications à la suite de collaborations envisagées avec d’autres chaires de l’UdeS, que ce soit en lien avec l’imagerie médicale, les véhicules électriques et même le génie civil. On pourrait en effet suivre en temps réel l’acquisition et le traitement de données provenant de centaines de capteurs installés dans un pont ou le traitement de données complexes provenant de satellites et devant être corrélées avec des capteurs répartis sur des bassins versants. Par cette transversalité, les travaux de cette Chaire rejoignent le décloisonnement des approches et des disciplines, qui est au cœur du Plan stratégique de l’Université.

Collaborations en Californie, en Suisse et au Nouveau-Mexique

Je poursuivrai aussi ma collaboration avec le SLAC, le Stanford National Accelerator Laboratory, là où j’ai fait mon postdoctorat, poursuit la titulaire. Comme l’équipe en place travaille entre autres à démarrer la prochaine génération de lasers à rayons X, je collaborerai avec le Dr Ryan Coffee, qui utilise l’intelligence artificielle pour accélérer la recherche en physique moléculaire. Un autre de mes projets me gardera en contact avec le Los Alamos National Laboratory au Nouveau-Mexique. Le directeur de l’équipe « High Speed Imaging », Zhehui « Jeph » Wang, et son équipe développent des caméras pour rayons X qui opèrent à très haute vitesse. On parle d’un milliard de pixels à un taux de lecture dépassant le MHz! Je travaillerai à développer le système d’acquisition de cette caméra. Et finalement, le Grand collisionneur de hadrons du CERN prépare actuellement le High Luminosity Large Hadron Collider et pourrait avoir besoin des systèmes développés par mon équipe.  Dr Lecoq et Dre Auffray travaillent déjà en collaboration avec l’UdeS pour atteindre une résolution temporelle de 10 picosecondes en tomographie d’émission par positrons (TEP). Le développement de systèmes d’acquisition intelligents pour la TEP est une application anticipée de nos travaux.

Il n’existe actuellement que 5 lasers à rayons X fonctionnels sur la planète, dont un à Stanford. Pour avoir un laser à rayons X, on doit pouvoir utiliser un accélérateur de particules, ces gros tuyaux qui font quelques mètres à plusieurs km de longueur et servent globalement à accélérer des particules tout près de la vitesse de la lumière pour des applications en recherche.

Programme détaillé de la Chaire

Le programme de recherche de la CRC contribuera donc au développement des connaissances dans le domaine émergent de l’informatique de périphérie en produisant de nouvelles applications exploitant des systèmes d’intelligence artificielle. Trois sous-objectifs sont à l’ordre du jour : 1) la conception matérielle d’une plateforme pour numériser les signaux des détecteurs; 2) le développement d’algorithmes adaptés à différentes applications pour des détecteurs ayant des débits de données extrêmes (100 GB/s – 10 TB/s) et 3) la conception d’une suite d’outils pour la traduction et la synthèse automatisées de ces algorithmes pour les circuits logiques programmables de la plateforme matérielle.

Audrey bénéficie également d’un financement de l’ordre de 80 000 $ du Fonds canadien pour l’innovation (Fonds des leaders John-R.-Evans) pour l’acquisition d’équipements de pointe afin de l’aider à réaliser les travaux de recherche liés à sa CRC. À ce montant s’ajoute un montant équivalent qui provient du Programme de cofinancement du gouvernement du Québec aux programmes FCI.

Plan stratégique de recherche de l’UdeS

Le programme de Pre Corbeil Therrien s’intègre à deux des six thèmes fédérateurs du Plan stratégique de recherche de l’Université : « Ère numérique : Formations et organisations intelligentes » et « Matériaux/procédés innovants et sciences quantiques ». Le programme touche également les thématiques en recherche suivantes de la Faculté de génie : « Matériaux », « Santé » et « Énergie ». Le programme s’insère également dans la stratégie globale de développement durable de l’UdeS.

Partenariats industriels

Ce programme de recherche prévoit la formation de personnel hautement qualifié, dont 4 Ph. D., 5 M. Sc. A. et 4 stagiaires au baccalauréat en génie électrique ou génie informatique. Plusieurs partenariats industriels sont également envisagés à moyen terme : l’informatique de périphérie industrielle est un marché en croissance qui pourrait atteindre 9 milliards $ US en 2024 selon certaines sources!


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