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Prévention de l'anxiété chez les jeunes

Cultiver les solutions sur une terre fertile

Le programme HORS-PISTE a d'abord été déployé dans les classes du secondaire.
Le programme HORS-PISTE a d'abord été déployé dans les classes du secondaire.
Photo : UdeS

L’anxiété est un véritable fléau et celle des jeunes est pour le moins préoccupante, la pandémie de Covid-19 l’ayant exacerbée chez plusieurs. En permettant aux jeunes de travailler leurs compétences psychosociales, on est déjà gagnant comme société. Si, en plus, on implique les écoles, les parents et le réseau de la santé dans une recherche terrain où tous les allers-retours sont permis, on franchit de grands pas pour éloigner l’ennemi.

Dans une classe de première secondaire du Saguenay, l’enseignante de français troque ce matin la période de grammaire pour un atelier sur le jugement des autres. La prochaine fois, ce sera son collègue qui enseigne les maths qui animera une discussion sur le perfectionnisme. Dans une école de l’Estrie, c’est l’enseignante en Éthique et culture religieuse qui s’est portée volontaire pour animer plusieurs ateliers avec les jeunes sur l’anxiété. Elle fera ainsi des liens entre leurs discussions sur les sentiments dépressifs, l’impact des médias sociaux sur leur estime d’eux-mêmes, la gestion des conflits, etc.

En mettant sur pied HORS-PISTE en 2017, un programme qui vise la prévention des troubles anxieux et autres troubles d’adaptation chez les jeunes, le Centre RBC d’expertise universitaire en santé mentale souhaitait contrer cet important fléau.

Arrivée au Centre RBC en 2018, la professeure Julie Lane a proposé de s’inspirer de la science de l’implantation afin de mettre en place les conditions optimales pour favoriser l’adoption, l’implantation, l’évaluation, la pérennisation et la mise à l’échelle dans plusieurs écoles de ce programme prometteur. Une vaste démarche a ainsi permis d’aligner le programme sur les orientations ministérielles, les résultats de recherche dans le domaine de l’anxiété et les besoins et réalités des milieux.

Le programme HORS-PISTE a ainsi été coconstruit avec les gens sur le terrain de l’école : le personnel enseignant, les psychologues, les psychoéducateurs et psychoéducatrices, les directions. Le résultat, c'est un succès qui ne se dément pas, autant pour les jeunes et leurs parents, que pour le milieu scolaire et celui de la santé.

100 fois sur le métier…

Pour l’équipe de recherche du Centre RBC, l’important dès le début était d’agir avec les jeunes puisque les besoins étaient pressants, et de s’ajuster ensuite au besoin. « On n’a pas pris trois ans pour élaborer le programme. On est plutôt allé graduellement en créant avec les écoles des ateliers pour les jeunes de première secondaire. On a testé, réajusté, retesté, et en parallèle on a développé le programme pour la deuxième secondaire afin de rapidement leur permettre d’utiliser le matériel », explique Julie Lane, directrice du Centre RBC.

Professeure Julie Lane.
Professeure Julie Lane.
Photo : Michel Caron UdeS

Cette approche, les partenaires sur le terrain l’apprécient, puisqu’ils sont surtout habitués d’appliquer des programmes qui leur sont imposés. De pouvoir partager avec la recherche leur savoir et leur expérience avec les jeunes, c’est une formule qui est rendue possible grâce à la collaboration et l'expertise d'une vaste équipe de recherche interfactultaire et interuniversitaire sous la direction des professeures Julie Lane et Danyka Therriault.

On essaie d’être agiles, de rapidement revenir avec des ajustements à la suite de leurs commentaires et on leur demande de tester à nouveau. On accepte que ce qu’on leur soumet n’est peut-être pas parfait, mais ils vont pouvoir l’essayer.

Julie Lane, professeure au Département d’études sur l’adaptation scolaire et sociale de la Faculté d’éducation.

Professeure Danyka Therriault.
Professeure Danyka Therriault.
Photo : Michel Caron UdeS

« On s'est assurées aussi d’écouter les parents et les jeunes. Puis on a révisé et amélioré. On en est à la version 5! », s’étonne Danyka Therriault, professeure au Département de psychoéducation de la Faculté d’éducation.

Concrètement, c’est quoi HORS-PISTE?

Le programme comporte deux volets. Tout d’abord, le volet Exploration de prévention universelle vise l’ensemble des élèves pour développer leurs compétentes émotionnelles, leur gestion du stress, leur façon de gérer les conflits leurs amis, etc. « Une fois qu’ils ont participé à ces ateliers, certains élèves demeurent anxieux. On a alors pour eux le volet Expédition, qui propose une intervention précoce, en plus petits groupes, et une intervention de groupe auprès de leurs parents », ajoute la professeure Lane.

Avant de participer aux ateliers, les élèves sont invités à répondre à 190 questions qui permettent d’évaluer les symptômes anxieux, le jugement des autres, l’impact de l’anxiété sur leur vie, sur le perfectionnisme, sur les sentiments dépressifs. Les réponses sont confidentielles et permettent à l’équipe de recherche d’évaluer plusieurs facteurs personnels, familiaux, scolaires et sociaux. À la fin du processus, on peut savoir sur quoi le programme agit et repérer celles et ceux qui pourraient bénéficier du volet Expédition.

Ensuite, viennent des ateliers thématiques animés par les enseignants et les enseignantes et des activités pour les parents, qui peuvent ensuite mieux interagir avec leurs jeunes. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les jeunes y trouvent leur compte, comme en témoignent les commentaires récoltés par l’équipe de recherche :

Nous sommes plus ouverts d’esprits et moins portés à juger les autres... Je parle plus de mes problèmes à mes parents et professeurs... Je trouve vraiment utiles les outils pour mieux gérer mon stress... Il faudrait plus de cours de ce genre à l’école!

Même son de cloche chez les parents : « Mon enfant a commencé à discuter plus ouvertement des éléments "stresseurs" et à trier lesquels sont vraiment stressants ou juste amplifiés par l’anxiété. » « Mon enfant a maintenant de nouveaux outils, des solutions dans son baluchon. »

Merci de faire en sorte que nos ados aient un espace pour mieux comprendre le stress et ses effets, les moyens de le diminuer et les ressources disponibles. Juste en sachant que d'autres vivent la même chose, cela peut les aider et créer une discussion.

Une récolte abondante et mesurable

La beauté de HORS-PISTE, c’est aussi que les impacts sont mesurables avec beaucoup de fiabilité puisque le programme rejoint l’ensemble des élèves. Il n’y a donc pas de biais induit par la volonté de participer ou non.

Depuis 2018, l’équipe a pu récolter beaucoup données sur l’évolution des élèves des écoles participantes. On observe une diminution significative des symptômes liés à plusieurs troubles anxieux, notamment l’anxiété généralisée, la phobie sociale, les troubles paniques, les troubles de stress post-traumatiques.

« On observe aussi des changements positifs sur la peur du jugement des autres, le perfectionnisme, une diminution de l’impact de l’anxiété dans la vie des jeunes », ajoute la professeure Therriault.

Même si parfois l’anxiété demeure, le jeune arrive à ce qu’elle ait moins d’impact dans ses activités. On observe aussi une augmentation du sentiment d’autoefficacité académique, émotionnelle et sociale des jeunes : ils prennent confiance.

Danika Therriault, professeure au Département de psychoéducation de la Faculté d'éducation.

En plus, en développant les compétences psychosociales de base des jeunes, le programme pourrait avoir des effets sur d’autres problématiques, notamment la cyberdépendance, la consommation de drogues, les troubles alimentaires, etc. à tel point que l’équipe de recherche prévoit ajouter des questions d’évaluation pour pouvoir mesurer aussi ces sujets.

Tout cela sans compter le chemin parcouru par l’entourage des jeunes puisque HORS-PISTE outille tout le réseau autour d’eux.

S’adapter aux différents terrains

Josée Rivard, directrice du programme jeunesse du CISSS de la Montérégie-Centre.
Josée Rivard, directrice du programme jeunesse du CISSS de la Montérégie-Centre.
Photo : fournie

La flexibilité du programme permet aussi de considérer les réalités spécifiques de chaque école, chaque région, chaque communauté.

La directrice du programme jeunesse du CISSS de la Montérégie-Centre, Josée Rivard, en sait quelque chose. Le ministère de la Santé et des Services sociaux a mandaté et soutenu financièrement son établissement pour orchestrer le déploiement partout au Québec et accompagner les écoles dans cette aventure. Son équipe s’est si bien acquittée de sa tâche que le projet s’est vu décerner le Prix d’excellence de l’administration publique en 2021!

« HORS-PISTE, c’est un programme autoportant, gratuit, avec une équipe de soutien et d’excellentes bases scientifiques! », résume Josée Rivard, qui constate que le programme aide aussi à désengorger les listes d’attente en santé mentale. « HORS-PISTE vient compléter l’offre et peut parfois éviter le recours au réseau de la santé. Les jeunes et les parents cherchent des outils. Peut-être qu’ils n’auront jamais besoin finalement de services compte tenu des activités de prévention réalisées dans le programme. »

Des milliers de jeunes qui gèrent mieux l’anxiété

Cinq ans après ses débuts, le programme est implanté dans 15 régions du Québec et a déjà profité à plus de 25 000 jeunes dans une centaine d’écoles secondaires. Pas étonnant que l’une des actions du Plan interministériel en santé mentale 2022-2026 du gouvernement du Québec soit de « favoriser le déploiement du programme HORS-PISTE ».

« Dès le début, on l’a aligné parfaitement sur les orientations du MSSS et sur le programme de formation à l’école québécoise, explique Julie Lane. On s’est assurés que les enseignants et les professionnels du réseau de la santé se reconnaissent dans le matériel. Ma plus grande fierté, c’est l’engouement que suscite le programme, un engouement qu’on a de la difficulté à suivre. »

C’est rare que le ministère se positionne aussi clairement sur un programme en particulier. On avait déjà comme ambition de l’étendre ailleurs au Canada, alors cette reconnaissance nous pousse à aller de l’avant.

Danyka Therriault, professeure au Département de psychoéducation de la Faculté d’éducation.

Des jeunes plus ouverts d’esprit, capables de mieux composer avec leurs émotions et leur stress, de gérer les conflits avec leurs amis, de parler de leurs problèmes avec leurs parents ou leurs enseignantes et enseignants, ce sont des retombées très concrètes qui rejaillissent autour des jeunes.

C’est un fléau, l’anxiété. Si on peut aider ne serait-ce que quelques jeunes dans une région pour leur éviter de faire face à des problèmes majeurs, ça fait toute ma fierté.

Josée Rivard, responsable du déploiement national de HORS-PISTE.

Et maintenant?

Après une implantation plus que réussie et qui se poursuit dans les écoles secondaires du Québec, voici que le programme est maintenant offert aux enfants du préscolaire et du primaire. On est aussi en train de planifier un travail d’envergure pour sécuriser culturellement le matériel en fonction des réalités très différentes des communautés autochtones, avec la participation des conseils de bande. Enfin, le programme sera traduit pour les communautés anglophones.

Le projet de recherche du programme HORS-PISTE

Les premières moutures du programme HORS-PISTE ont bénéficié de soutiens financiers du CISSS de la Montérégie-Centre et du Réseau universitaire intégré de santé et de services sociaux (RUISSS) de l’Université de Sherbrooke.

Depuis 2019, le programme est financé par le Fonds d’innovation pour la promotion de la santé mentale de l’Agence de la santé publique du Canada, d’abord pour une première phase, et maintenant pour la phase 2, qui se poursuivra jusqu’en 2025. Ce fonds a ainsi octroyé un total de 1 818 512 $ pour permettre de poursuivre l’élaboration, l’adaptation, l’évaluation et la traduction du programme pour les élèves du secondaire et pour les élèves du préscolaire et du primaire. Ce soutien permet aussi de développer des outils novateurs comme ce casier virtuel HORS-PISTE, qui réunit les outils pertinents et des vidéos (produites par le scénariste-réalisateur estrien Anh Ming Truong) pour soutenir les jeunes.


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