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La technologie, rempart du bien-vieillir à la maison?

Vivre à la maison le plus longtemps possible, c’est le souhait de la vaste majorité de la population aînée au Québec. Alors que bon nombre d’enjeux se posent dans ce contexte quant à la sécurité, la mobilité et la socialisation des personnes âgées, le développement de solutions technologiques favorisant le maintien à domicile s’est accéléré dans les dernières années. Et si les technologies s’avéraient l’une des clés pour mieux vieillir chez soi?

Plusieurs projets de recherche alliant vieillissement et technologies sont menés actuellement à l’Université de Sherbrooke. En plus de miser sur des approches interdisciplinaires, les équipes de chercheuses et chercheurs accordent un rôle de premier plan aux personnes aînées, en leur faisant prendre part à leurs travaux. Une orientation qui permet de mieux cerner les problématiques dans leur globalité, et de répondre de manière pertinente et concrète aux besoins des usagères et usagers.

C’est le cas notamment des projets menés au laboratoire DOMUS, un appartement intelligent qui vise à offrir une certaine autonomie aux personnes ayant des incapacités, dont les personnes âgées, par l’entremise d’outils technologiques.

De l’assistance cognitive à domicile

Des voyants lumineux permettent à une personne en situation d'errance nocturne de regagner sa chambre.
Des voyants lumineux permettent à une personne en situation d'errance nocturne de regagner sa chambre.
Photo : Michel Caron - UdeS

Le laboratoire dispose de trois principaux types de systèmes connectés, qui permettent d’effectuer de la télévigilance à court et à long termes, ainsi que de l’assistance cognitive. Des capteurs et détecteurs dissimulés dans le laboratoire accompagnent ainsi la personne, par exemple pour la préparation sécuritaire des repas, ou l’aider à regagner son lit si elle se trouve en situation d’errance nocturne. Ces appareils permettent d’interagir avec elle et d’obtenir de l’information sur ses comportements.

Les données recueillies sont particulièrement utiles pour le travail des équipes soignantes et proches aidantes qui côtoient une personne en perte d’autonomie, ainsi que pour suivre l’évolution de son état de santé et même pouvoir détecter certaines maladies.

Les systèmes développés par le DOMUS sont aussi implantés directement dans les organisations, comme des résidences de personnes âgées, où leur potentiel est appliqué au quotidien.

La force de l’interdisciplinarité et de la collaboration

Dès le départ, des usagères et usagers sont intégrés dans les projets élaborés par l'équipe de recherche du DOMUS.
Dès le départ, des usagères et usagers sont intégrés dans les projets élaborés par l'équipe de recherche du DOMUS.
Photo : Michel Caron - UdeS

Basé au Département d’informatique de la Faculté des sciences, ce laboratoire pluridisciplinaire compte sur l’expertise de chercheuses et chercheurs en ergothérapie, en psychiatrie, en gérontologie, en éthique, en design industriel et en intelligence artificielle.

Il a été cofondé par le professeur du Département d’informatique Sylvain Giroux, et la professeure Hélène Pigot, du même Département, également formée en ergothérapie. Tous deux sont aussi affiliés au Centre de recherche sur le vieillissement. S’intéressant à la réalité augmentée et aux environnements intelligents, le professeur Charles Gouin-Vallerand, du Département des systèmes d’information et méthodes quantitatives de gestion à l’École de gestion, fait aussi partie de l’équipe.

Pour que nos projets fonctionnent et soient acceptés, l’approche originale et transdisciplinaire que nous avons adoptée depuis le début du laboratoire en 2002 est essentielle.

 Professeur Charles Gouin-Vallerand, Département des systèmes d’information et méthodes quantitatives de gestion, École de gestion

Le professeur Sylvain Giroux souligne par ailleurs l'importance de la contribution de l'ensemble des usagères et usagers aux travaux de recherche :

Dès le départ, autant les personnes aînées ou présentant des incapacités que l’entourage et le personnel qui gravitent autour participent à nos recherches. Ce qu’on obtient en bout de course, c'est vraiment un système qui répond aux besoins, et pas ce n'est pas un système qui répond aux besoins qu'on avait imaginés.

Professeur Sylvain Giroux, Département d'informatique, Faculté des sciences, chercheur au Centre de recherche sur le vieillissement

Vivre chez soi, c’est aussi sortir de chez soi

L'enjeu de la mobilité figure parmi les incontournables dont il faut tenir compte si l'on souhaite favoriser le maintien à domicile des personnes aînées.
L'enjeu de la mobilité figure parmi les incontournables dont il faut tenir compte si l'on souhaite favoriser le maintien à domicile des personnes aînées.
Photo : Michel Caron - UdeS

Pour mieux comprendre les défis associés au mieux-vieillir chez soi, l’équipe du Laboratoire d’innovations par et pour les aînés (LIPPA), une initiative du Centre de recherche sur le vieillissement, a aussi consulté un groupe d’une trentaine de citoyennes et citoyens aînés de l'Estrie. C’est d’ailleurs à leur contact que toute la question des besoins liés à la mobilité et au déplacement est rapidement apparue comme un enjeu incontournable. Le projet Mobilaînés est né des besoins exprimés lors de cette journée de réflexion.

De manière fort intéressante, les gens que nous avons rencontrés nous ont dit que la meilleure façon de pouvoir rester chez soi, c’est d’être capable de sortir de chez soi.

Professeur Dany Baillargeon, Département de communication de la Faculté des lettres et sciences humaines, chercheur au Centre de recherche sur le vieillissement

Les personnes aînées, dont Line Coutu, représentent des partenaires essentiels des projets de recherche comme Mobilaînés,
Les personnes aînées, dont Line Coutu, représentent des partenaires essentiels des projets de recherche comme Mobilaînés,
Photo : Michel Caron - UdeS

Dany Baillargeon et la professeure Véronique Provencher, de l’École de réadaptation de la Faculté de médecine et des sciences de la santé, chercheurs au Centre de recherche sur le vieillissement, sont les deux cochercheurs principaux du projet  Mobilaînés. Ils travaillent avec une équipe de chercheuses et chercheurs en travail social, en réadaptation, en géomatique, en télémédecine et en sciences informatiques ainsi qu'avec des partenaires de la Ville de Sherbrooke et différentes associations représentant les personnes aînées.

Afin d'offrir un outil mieux adapté à la réalité de ces personnes, l’équipe de recherche évolue en mode « laboratoire vivant », c'est-à-dire en mettant au cœur du développement les personnes aînées, futures usagères de Mobilaînés.

Vers des trajets plus adaptés et agréables

Destiné à l’ensemble des plateformes multimédia – téléphones, tablettes, ordinateurs – et accessible par service téléphonique, Mobilaînés vise à créer un guichet unique et convivial combinant l’ensemble des options de déplacement à Sherbrooke, en tenant compte des besoins et des préférences des personnes âgées. Si plusieurs applications du genre existent à l’heure actuelle, peu sont adaptées aux profils des personnes aînées.

« L’outil tiendra compte par exemple du besoin de sécurité et de la fluidité de la circulation. Les pentes… si des trottoirs, des bancs, des toilettes se trouvent à proximité », explique le professeur et cochercheur du projet Bessam Abdulrazak, qui travaille avec son équipe d'AMI Lab au développement d’algorithmes multicritères, pour déterminer les trajets les plus adaptés pour ce public.

Les différents besoins des personnes aînées ont été pris en compte dans le développement de Mobilaînés, par exemple le fait d'avoir des bancs et endroits où se reposer pendant les trajets.
Les différents besoins des personnes aînées ont été pris en compte dans le développement de Mobilaînés, par exemple le fait d'avoir des bancs et endroits où se reposer pendant les trajets.
Photo : Michel Caron - UdeS

L’équipe était par ailleurs soucieuse de développer un outil convivial qui puisse être facile d’usage et offrir des options rendant l’expérience de déplacement plus agréable pour des personnes aînées aux profils variés.

La partie la plus importante de cela, c'est la partie littératie numérique. On vise à simplifier l'interface pour les personnes âgées qui sont moins à l'aise avec la technologie, pour qu’elle soit facile à utiliser.

Professeur Bessam Abdulrazak, Département d'informatique, Faculté des sciences, chercheur au Centre de recherche sur le vieillissement 

Favoriser la littératie numérique et la socialisation

Si bon nombre de personnes âgées maîtrisent les technologies, une frange importante de cette population vit toutefois une forme d’exclusion numérique, parce qu’elle ne peut pas ou ne sait pas comment utiliser les outils informatiques. Que l’on parle de logiciels de visioconférence, de courriels et de textos, d’applications pour se déplacer ou faire des achats, les différentes technologies de l’information peuvent jouer un rôle important dans le maintien à domicile des personnes aînées.

C’est d’ailleurs l’objectif derrière le projet d’accompagnement techno du réseau d’échanges de services Accorderie de Sherbrooke, en collaboration avec l’Université de Sherbrooke.

Dans notre réseau, 20 % des membres sont âgés de 65 ans et plus, mais ils sont près de 50 % à participer aux échanges. Avec le confinement au printemps 2020, on a souhaité leur offrir un soutien personnalisé en informatique pour qu’ils puissent rester en contact avec leur famille, leurs amis.

Catherine Larouche, directrice générale de L’Accorderie de Sherbrooke

Le projet d'accompagnement techno mené par le réseau d'échanges de services Accorderie de Sherbrooke contribue à réduire la fracture numérique que vivent certains membres de la population aînée.
Le projet d'accompagnement techno mené par le réseau d'échanges de services Accorderie de Sherbrooke contribue à réduire la fracture numérique que vivent certains membres de la population aînée.
Photo : Michel Caron - UdeS

Des membres du réseau qui possèdent des connaissances en informatiques ont été jumelés à des personnes âgées, dans le but de leur offrir de la formation sur l’utilisation de certains outils et logiciels. En échange, les membres aînés pouvaient proposer des services de jardinage, de couture, etc.

Le fait d’avoir pu socialiser avec leur réseau, leurs enfants, petits-enfants, ça a eu un impact sur la santé mentale et le soutien en période de confinement à la maison.

 François Racicot-Lanoue, étudiant au doctorat en gérontologie à la Faculté des lettres et sciences humaines

Ce dernier croit par ailleurs fermement au potentiel de l’échange de services entre membres d’une communauté, ce qui est à la base de la création de réseaux comme L’Accorderie, pour favoriser, voire collectiviser le « bien-vieillir » à la maison.

Faire de l’échange de services, ça crée un lien social, ajoute François Racicot-Lanoue. Une personne aînée peut recevoir des services à domicile, participer à des activités qui lui permettent de socialiser davantage, et transmettre ses connaissances en échange. C’est très riche.

En définitive, l’ensemble des équipes de recherche travaillant sur les technologies et le mieux-vieillir à la maison dont il a été question plus haut sont d’avis qu’au-delà des avancées technologiques et numériques, le fait de contribuer au mieux-vieillir à domicile des personnes âgées, au maintien de leurs activités significatives et à l’avènement de véritables communautés bienveillantes demeure leur plus importante source de motivation et d’engagement.


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