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Les Américains donneront-ils une seconde chance à Obama?

Le professeur Gilles Vandal croit que oui et estime surtout que cette élection risque de marquer durablement la politique américaine

Gilles Vandal, professeur à l'École de politique appliquée de l'UdeS.
Gilles Vandal, professeur à l'École de politique appliquée de l'UdeS.

Photo : Michel Caron

Les présidentielles américaines du 6 novembre constituent l’un des événements politiques majeurs de cette fin d’année 2012. À moins de 3 semaines de l’échéance, alors que près de 230 millions d’Américains seront appelés aux urnes, Gilles Vandal, professeur spécialiste de la politique américaine, livre son pronostic : il prédit une majorité ténue pour Obama. Mais peu importe le choix que les Américains feront, cela représentera un tournant majeur pour le pays, dans un sens ou dans l’autre, dit le politologue. La raison : le président qui sera élu sera vraisemblablement appelé à nommer de nouveaux juges à la Cour suprême, ce qui aura beaucoup d’ascendant sur la société américaine.

Le plus grand défi des démocrates

L’élection de Barack Obama en 2008 − premier président noir − a marqué une transition historique et s’est faite sous le signe de l’espoir. Gilles Vandal constate cependant que la déception au terme du premier mandat du président Obama est très grande. Au moment de l’élection en 2008, les idéalistes voyaient en lui un nouveau Roosevelt. On espérait le voir adopter des projets majeurs et implanter rapidement des changements concrets pour la société américaine. Obama s’est plutôt révélé un gestionnaire très prudent qui a besoin de négocier et d’obtenir des consensus.

«Le président a choisi de gouverner plutôt au centre, explique le professeur Vandal. Résultat? Sa base lui reproche d'avoir trop négocié avec l'autre camp sans rien obtenir, alors que les adversaires l'accusent, au contraire, d'avoir été trop radical dans ses réformes, notamment pour son nouveau système d'assurance-santé que la moitié du pays rejette. En contexte de polarisation tel qu’on le connaît actuellement aux États-Unis, le président devient sans conteste prisonnier d’un système.»

C’est sans doute ce qui explique pourquoi, à quelques semaines de l’élection, Mitt Romney, même s’il n’est pas très apprécié de la classe moyenne, se retrouve au coude à coude dans les sondages avec le président sortant. Les experts s’entendent également pour dire que l’évolution du taux de chômage d’ici le jour d’élections risque d’influencer de façon déterminante l’issue du vote.

«Il existe une loi universelle sur les élections qui démontre que c’est l'économie qui est importante et la façon dont les gens ressentent la conjoncture, remarque le professeur. Il est donc évident que même si aucun autre président n’a été confronté à une crise financière aussi importante depuis les années 1930, ce n’est pas ce que les électeurs retiennent. D’autant plus que, dès le début de la campagne, les républicains n’ont cessé de répéter que le président n’avait pas respecté ses promesses face à l’économie. En contrepartie, même s’il a fait un travail colossal dans les circonstances, Obama n’a pas réussi à vendre sa salade. Il n’a pas fait valoir toute l’importance du dommage qu’il a su contrôler en relançant le secteur automobile, en ramenant le taux de chômage à un degré équivalent à ce qu’il était avant la crise, puis en règlementant la parité salariale. Pourquoi ne l'entendons-nous pas dire plus souvent que son stimulus package a évité l'effondrement du pays?» se questionne-t-il.

Une élection qui déterminera l’orientation entière du pays

«Ce que la majorité des électeurs ne savent pas, c’est que le choix du parti au pouvoir aura une influence cruciale et directe sur l’orientation des décisions que prendra la Cour suprême pour les décennies à venir», dit Gilles Vandal. Le politologue se désole que ce genre d’enjeu soit écarté de l’espace public : «Bien qu’on en parle très peu, le renouvellement de la composition de la Cour suprême représente bel et bien l’un des éléments les plus importants de cette élection. Actuellement, près de la moitié des juges approchent les 80 ans. Les changements de magistrats lors du prochain mandat sont donc plus que probables.»

De fait, puisqu’ils sont nommés à vie par le président, les juges à la Cour suprême demeurent en poste jusqu’au moment de leur retraite ou de leur décès. C’est alors au dirigeant en place que revient la tâche de nommer son successeur. Pour l’instant, la plus haute instance juridique du pays est composée de quatre juges conservateurs, quatre juges progressistes et un juge qui alterne d’un côté à l’autre.

«Si Romney devenait président, nous pouvons envisager que sous la pression ultra-droitière de son parti, il nommerait, dès que l’occasion se présente, des juges très conservateurs, qui pourraient faire pencher la balance au moment d’adopter des changements dans la constitution, dit le professeur Vandal. L’inverse est aussi vrai. Cet élément devrait donc faire partie de la réflexion des Américains au moment de faire leur choix.»

Des entraves à la participation électorale

À moins de trois semaines de l’élection, Gilles Vandal croit que Barack Obama possède toujours un avantage face à son rival. Selon lui, les Américains l’aiment toujours. «Si au cours des prochains jours, il appuie son discours sur les dossiers de fond qu’il a réalisés et sur la compétence qu’il a acquise en quatre ans pour sortir le pays de la crise lors d’un second mandat, il sera le premier choix des électeurs.»

Il amène toutefois une nuance en rappelant que l’élection présidentielle ne se joue pas uniquement dans les urnes et que les obstacles que doivent franchir les électeurs américains pour aller voter peuvent avoir une influence importante sur les résultats de l’élection. Il cite à cet effet certains États-clés (appelés swing states) dont le gouverneur, qui est républicain, a tenté de faire passer des lois qui limitent l’accès au scrutin.

«Aux États-Unis, contrairement au Canada, la carte d’identité n’existe pas, explique-t-il. Les citoyens n’ont pas de carte d’assurance-maladie, ce qui signifie que seules les personnes qui détiennent un permis de conduire ou un passeport peuvent prouver leur véritable identité. En mettant en place une directive exigeant une carte d’identité pour accéder aux urnes, les États parviennent donc à limiter considérablement la participation électorale surtout auprès des populations qui ont justement permis à Obama de remporter la victoire en 2008 : les classes de personnes pauvres, immigrantes, étudiantes ou âgées.» Entre 2008 et 2011, on estime qu’une quinzaine d’États avaient pris des mesures similaires.

Obama vainqueur?

Malgré toutes ces stratégies et à l’inverse de quelques sondages diffusés la semaine dernière donnant une avance au candidat républicain, Gilles Vandal conserve son pronostic : «Obama obtiendra son second mandat, affirme-t-il. La majorité sera mince, mais c’est son avantage au sein du collège électoral qui le fera élire.»

Le scrutin présidentiel américain est un scrutin indirect. Le président n’est pas élu à la majorité du vote populaire mais par un collège de «grands électeurs» désignés dans chaque État. Le candidat qui arrive premier dans un État obtient les voix de tous les grands électeurs de cet État. Pour être élu, le candidat doit obtenir 270 voix au collège électoral, sur un total de 538. Or, depuis le début de l’année, les sondages donnent à Barack Obama les voix d’au moins 220 grands électeurs. Romney ne peut compter que sur un plancher de 190. Reste une centaine de voix à attribuer, celles d’une dizaine d’États dont le vote est indécis : les fameux swing states.

«Ce sont ces États qui feront pencher le curseur dans un sens ou dans l’autre, conclut Gilles Vandal. Romney a besoin d’obtenir sept ou huit États-clés pour être élu, alors qu’Obama peut se contenter de l’emporter dans seulement trois ou quatre. Une tâche plus facile qui lui donne un avantage non négligeable.»

À quelques jours du scrutin, Gilles Vandal, professeur à l'École de politique appliquée et spécialiste de la politique américaine, présentera les grands enjeux de la campagne et livrera son pronostic sur les résultats, le jeudi 1er novembre, de 16 h à 19 h, à l’Agora du Carrefour de l'information, Campus principal.