Lentement mais sûrement, simuler les systèmes quantiques à travers le temps


Par Ludovic Marcotte
Le monde quantique est rempli d’étranges propriétés à explorer et à exploiter. De nouveaux matériaux et de nouvelles molécules pourraient être créés grâce à l’étude des phénomènes quantiques. Pour mieux comprendre ce qui se passe, il faut alors être en mesure de simuler le comportement d’un objet quantique au fil du temps. Cependant, les calculs requis sont bien trop complexes pour les ordinateurs classiques. Grâce aux ordinateurs quantiques et à la stratégie de découper un problème complexe en sous-étapes, il est possible d’approximer ces calculs au moyen de simulations.
Par exemple, imaginez que vous voulez marcher en suivant un cercle tracé sur le sol. Ce cercle représente la solution exacte, et votre trajet représente l’approximation du cercle. On introduit une règle sur vos déplacements, où chaque pas doit suivre une ligne droite et doit être de distance égale. Deux options s’offrent à vous: compléter le cercle en le moins de pas possible, ou bien compléter le cercle en s’appliquant à faire les plus petits pas possibles. Quelle stratégie permet de mieux suivre le cercle? C’est un peu la fable du lièvre et de la tortue, et ici aussi, la tortue bat le lièvre, car plus vos pas sont petits, plus votre trajectoire suit exactement le cercle! En fait, si vous pouviez faire une infinité de pas qui sont tous infiniment petits, le cercle tracé serait parfait.
En programmation quantique, la Trotterisation, mise au point par Michio Suzuki et Hale Trotter, s’inspire de cette approche : on réduit un système complexe en plein de sous-systèmes faciles à simuler, puis on les simule et on assemble les solutions pour former l’évolution du système complet. Et ici aussi, en mettant plusieurs pas ensemble jusqu’à atteindre le temps total de l’évolution, on obtient une meilleure approximation de l’état quantique que si l’on fait l’approximation d’un seul coup. De cette façon, le temps total de l’évolution est le produit entre le temps d’un pas et le nombre de pas.
Cependant, la solution obtenue n’est qu’une approximation du résultat exact, et qui dit approximation dit erreur! Il arrive parfois que l’erreur soit trop grande, malgré la décomposition en plusieurs simulations plus simples, alors on doit recourir à une meilleure stratégie pour se tromper le moins possible lors du calcul.
Limiter l’erreur
En pratique, faire un grand nombre de pas signifie faire plus de calculs. Les scientifiques s’intéressent à augmenter la précision de leur simulation tout en conservant un temps de calcul raisonnable. Il faut donc être en mesure de calculer l’erreur associée à l’approximation en fonction de la longueur des pas effectués afin de déterminer le pas de Trotter à utiliser. Pour des systèmes simples, il est facile de calculer cette erreur, puisqu’on peut calculer la solution exacte et la comparer à la solution approximée. Malheureusement, on ne peut pas faire la même chose pour des systèmes complexes. On doit donc trouver une autre manière d’estimer l’erreur, qui consiste à lui trouver une borne.
Borner l’erreur, c’est trouver un calcul qui nous donne une valeur forcément plus grande ou égale à la valeur exacte de l’erreur. Il est important que ce calcul ne retourne pas une valeur plus petite, auquel cas on sous-estimerait la précision de la méthode. Imaginez que vous voulez acheter un livre sur l’information quantique à une librairie qui ne rend pas la monnaie. Vous savez que ce livre coûte 56,91$. Vous devez payer le montant en argent comptant et on ne vous remettra pas la somme payée en surplus. Disons que vous décidez de donner 3 billets de 20$. C’est un peu comme si vous approximiez le coût du livre à 60$ car c’est plus simple à calculer en termes de billets que 56,91$. Par chance, c’est presque le coût du livre, vous n’avez pas perdu trop d’argent en faisant ce choix. Vous ne pourriez pas cependant arrondir vers le bas, car le livre ne serait pas complètement payé. La valeur que vous donnez à la caisse pour payer le livre est donc une borne sur le coût réel de ce dernier, tandis que la différence entre cette valeur et le prix du livre représente l’erreur effectuée!
Pour la Trotterisation, il existe déjà des bornes sur l’erreur. Cependant, elles sont trop pessimistes et donnent des valeurs parfois trop éloignées de la valeur exacte de l’erreur. C’est un peu comme si vous vouliez payer le livre à la librairie à l’aide d’un billet de 100$ directement. C’est efficace, mais c’est loin de la somme demandée. La librairie se serait fait beaucoup d’argent sur votre dos.
Le défi des chercheurs d’aujourd’hui est de trouver une nouvelle borne sur l’erreur qui s’approche mieux de l’erreur exacte et qui demeure quand même facilement calculable. Cette borne doit pouvoir se calculer pour le plus de systèmes quantiques possible et il faudrait pouvoir l’adapter selon le pas de Trotter choisi. De cette façon, il deviendrait simple de trouver la bonne longueur des pas à effectuer pour la Trotterisation d’un système selon la précision souhaitée... Enfin, c’est simple si on oublie les nombreuses équations nécessaires pour démontrer que la borne en est une, mais c’est une autre histoire!
C’est certainement ce contrôle sur l’erreur qui permettra de découvrir de nouveaux matériaux ou de nouvelles molécules sans craindre de s’être trompés lors des simulations. De quoi permettre à la recherche en quantique de progresser, même si c’est parfois à pas de tortue!