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Parcours de génie | Karina Lebel

Accorder le génie au pluriel

La Pre Karina Lebel
La Pre Karina Lebel
Photo : Michel Caron

Il y a de ces gens pour qui le chemin est clair et droit : qui ont un objectif de carrière précis et qui n’en dérogent jamais. Karina Lebel n’est pas l’une de ces personnes.

Au moment de faire son choix d’études universitaires, Karina s’est inscrite en génie mécanique, en génie électrique, en administration… et en droit. Éclectique, vous dites? Oui, mais la raison est simple : tout l’intéresse. « Si je gagnais à la loterie un jour, c’est sûr que je retournerais aux études. J’étudierais toute ma vie, je veux tout savoir! »

C’est finalement ce profond besoin de comprendre les choses, et peut-être un brin d’attrait pour le défi, qui l’ont poussée à choisir le génie électrique.

 Je me souviens de mon tout premier jour à l’université. C’était un cours où tous les étudiants en génie électrique étaient réunis dans un grand auditorium. En entrant, ça m’a frappée : nous n’étions que six ou sept filles parmi environ 200 garçons. Aussi, je n’avais pas le profil un peu cliché du futur ingénieur qui monte et démonte des bidules dans son garage. En écoutant les autres parler, je me suis demandé ce que je faisais là.

Elle a tout de même poursuivi sa route, malgré le syndrome de l’imposteur qui s’est installé ce jour-là et qui la taraude encore parfois aujourd’hui. C’est qu’à travers les doutes et les remises en question, des opportunités se sont présentées à elle, toujours un peu de façon inattendue, mais jamais banales.

Qu’est devenue Karina Lebel, l’étudiante discrète et indécise?

Karina a emprunté plusieurs chemins qu’elle ne croyait pas suivre un jour : alors qu’elle n’était qu’au baccalauréat, elle a choisi de suivre un cours de spécialité en contrôle avancé, lequel était de niveau maîtrise. À ce moment, elle a soumis sa candidature pour un poste d’assistante de recherche dans le domaine de l’aérospatiale sous la direction du professeur Jean De Lafontaine, dont elle appréciait particulièrement l’enseignement. Contre toute attente, après une entrevue qu’elle croyait catastrophique, elle l’a obtenu. Cette expérience l’a par la suite menée à occuper un poste de spécialiste en navigation, guidage et commande chez NGC Aérospatiale, fondée par le professeur De Lafontaine, avant de devenir directrice Assurance Qualité dans une PME du domaine biomédical.

Après quelques années et trois congés de maternité, la jeune femme a choisi de retourner aux études, cette fois à la maîtrise appliquée en sciences de la santé, qui incluait de l’analyse de capteurs inertiels pour l’analyse du mouvement humain. « J’ai tenté ma chance, même si cela a impliqué plusieurs sacrifices, parce que l’humain me manquait. J’ai été admise sous conditions, parce que ce n’était vraiment pas commun d’accepter une ingénieure en sciences de la santé à cette époque! »

Puis, la maîtrise s’est transformée en doctorat, auprès de Patrick Boissy et Christian Duval. Elle y optimisait des capteurs mesurant l’impact de la maladie de Parkinson sur la mobilité des personnes vivant avec cette réalité.

Vers la fin du doctorat, l’ingénieure est devenue coordonnatrice de recherche au service d’orthopédie du département de chirurgie de l’Hôpital Fleurimont.

« J’y ai retrouvé le côté technique que j’aimais, tout comme le côté humain dans l’interaction avec les participants. Après ça, par contre, je voulais que ce soit tout! Je me voyais peut-être enseigner au cégep, mais certainement pas poursuivre d’autres études. »

Vous l’aurez deviné… elle a donc enchaîné avec un post-doctorat, cette fois auprès du Dr Pierre Blanchet, neurologue au CHUM.

« Mon postdoc m’a permis de doser mon approche, de porter attention aux besoins de personnes qui composent avec les mouvements involontaires causés par des maladies neurodégénératives. Si je suis capable de développer des outils pour surveiller leurs symptômes à la maison, les médecins sont en mesure de mieux les conseiller et de leur offrir des traitements encore plus adaptés. »

C'est un parcours plutôt atypique!

« Oui! Avec cette expérience dans le monde de la santé, on m’a souvent dit que j’étais une ingénieure défroquée! Alors, quand le Pr François Michaud m’a proposé de soumettre ma candidature pour le poste de professeure lié à une chaire de recherche du Canada à la Faculté de génie en 2018, je ne croyais pas pouvoir y retourner. Je me croyais trop loin de mon expertise technique initiale en génie. »

Vous la voyez venir, n’est-ce pas? Aujourd’hui, Karina Lebel est professeure en génie électrique! Elle est également titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la signature biomécanique du mouvement pour mieux comprendre et réduire les handicaps, ainsi que chercheuse et codirectrice de l’axe Autonomisation du Centre de recherche sur le vieillissement du CIUSSS de l’Estrie – CHUS.

Avec cette feuille de route plutôt garnie, as-tu encore parfois des doutes ou des remises en question à propos de ton parcours?

« Demandez-moi plutôt s’il y a une journée où je n’en ai pas! Je répondrai que non. J’ai encore la voix qui tremble à l’occasion avant de prendre la parole. Je suis toujours en introspection, je me demande toujours ce que j’aurais pu ou pourrais faire mieux.

La Pre Karina Lebel au Centre de recherche sur le vieillissement
La Pre Karina Lebel au Centre de recherche sur le vieillissement
Photo : Michel Caron

J’ai connu plein de beaux succès en recherche, on obtient de bons financements et on repousse les frontières du savoir, en équipe. Je participe à plein de projets extraordinaires, comme RE-MOVE visant à redonner le mouvement à des personnes paralysées, ou le développement du pédalier qui permet aux patients de l’unité d’hémodialyse de rester actifs pendant leurs traitements, tout en poursuivant mes travaux sur la mobilité des personnes vivant avec la maladie de Parkinson.

Je prends part à de grosses études pan-canadiennes, des réseaux de technologies, mais malgré tout, je ressens encore les effets du syndrome de l’imposteur quand on me demande quelle est mon expertise en génie.

Mais ensuite, je vis de magnifiques moments où je rencontre des gens qui sont animés par la même passion et par le même désir de faire naître des idées pour le bien-être des gens. Alors, je comprends pourquoi je suis là. C’est l’interdisciplinarité, mon expertise. Et je ne changerais rien à mon parcours. »

Quel stéréotype sur les ingénieurs/ingénieures voudrais-tu briser une bonne fois pour toutes ?

« Que l’ingénieur est toujours seul dans sa bulle, devant un ordinateur ou dans un bureau, en particulier l’ingénieur informatique ou électrique. On travaille avec d’autres gens de plusieurs horizons! L’ingénierie, c’est partout.

Quand on devient ingénieur, je ne dirais pas qu’on veut nécessairement changer le monde, mais presque. On veut améliorer quelque chose. Mais ce n’est pas le génie tout seul qui va changer le monde : c’est la collaboration avec d’autres corps de métier. C’est la mise en commun de savoirs, d’expertises et de points de vue différents qui permet à l’humanité d’avancer. Il faut considérer toutes les sphères pour trouver des solutions réellement adaptées, car l’innovation va au-delà de la technologie. »

Si tu pouvais adresser un message à l’étudiante que tu étais, que lui dirais-tu?

« Fais-toi confiance. Crois en toi, pour oser plus : oser parler, oser essayer et oser prendre ta place.

En fait, j’aurais exactement le même message pour les personnes étudiantes actuellement. Essaie des choses! Le programme qui sera écrit sur ton diplôme, c’est une seule des composantes qui font de toi une ingénieure ou un ingénieur : il va y avoir tes stages, tes intérêts personnels, où tu vas choisir de mettre ton énergie et les gens que tu vas rencontrer. En ingénierie, ta couleur, c’est toi qui la fais. Alors, rapelle-toi d’oser! »

Savoir faire confiance

Au moment de l’entrevue, la Pre Lebel revenait d’un voyage au Danemark, où elle et une délégation de spécialistes québécois en santé, en technologies et en sciences sociales sont allés à la rencontre d’homologues danois pour discuter du vieillissement des populations et de la prise en charge de cette réalité.

Devant elle se trouve un cadre, l’un des rares objets déco qu’elle a choisis d’installer dans sa maison. On y lit une phrase qui décrit parfaitement son histoire :

Pas toujours besoin d’un plan, on doit parfois simplement respirer, faire confiance, laisser aller les choses et voir les résultats.