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Propager l’humour pour survivre au temps du coronavirus

Photo : Michel Caron - UdeS

L’humour, une planche de salut pour garder la tête hors de l’eau pendant la traversée de la tempête actuelle? Oh que oui! Face au lot anxiogène d’incertitudes que provoque l’imparable pandémie mondiale qui nous confine toutes et tous dans nos retranchements, l’humour apparaît comme un antidote puissant.

S’intéressant à la place de l’humour dans la société, Georges Desmeules, chargé de cours en littérature à la Faculté des lettres et sciences humaines, souligne le rôle salutaire que joue l’humour en ces temps moins drôles de COVID-19. L’humour étant pratiquement érigé au rang de sport national au Québec, en ce qu’il fait partie intégrante de notre identité, il s’agit là d’une excellente nouvelle.

Phénomène de société, l’humour revêt un rôle d’intégration et de cohésion sociales, ce qui est particulièrement réconfortant en cette période de confinement. Il fonctionne toujours en réaction à des situations qui provoquent un inconfort. Et en matière de situations aliénantes, on peut dire que la crise actuelle atteint un paroxysme des plus patents.

Ne pas sombrer dans la névrose

On vit un beau cas d’espèce en ce moment. On rit parce que c’est tellement gros, ce qui se passe, c’est tellement extraordinaire, qu’il ne faut pas s’enfoncer dans le désespoir et la folie collective, il nous faut gérer l’angoisse que cette situation suscite.

Georges Desmeules

Si Aristote s’était déjà à l’époque intéressé à la comédie et au rire, auxquels il devait consacrer le deuxième tome – à jamais perdu – de sa Poétique, les études portant sur le rôle et la fonction de l’humour ont principalement eu cours dès le début du XXe siècle.

Œuvre parmi les plus connues d’Aristote, probablement créée vers 335 avant Jésus-Christ, La Poétique traite de l’art poétique et de ses différents aspects. Une partie, perdue depuis longtemps, aurait couvert la comédie. Le sujet se trouve d’ailleurs au centre du roman d’Umberto Eco Le nom de la rose, aussi porté au cinéma.

Le chargé de cours Georges Desmeules s'intéresse au rôle et à la fonction de l'humour dans la société.
Le chargé de cours Georges Desmeules s'intéresse au rôle et à la fonction de l'humour dans la société.
Photo : Fournie par Christiane Lahaie

Le chargé de cours, aussi enseignant au Cégep de Sherbrooke, souligne l’apport de deux grands chercheurs à cet égard, le philosophe français Henri Bergson, qui s’est penché sur la perception du monde sensible et la manière de l’appréhender, et le neurologue autrichien Sigmund Freud, célèbre père de la psychanalyse :

Quand quelque chose est incongru, notre première réaction est de faire l’économie de représentation du réel, selon les termes de Freud. On cherche à l’éliminer de la réalité.

C’est en quelque sorte pour éviter de sombrer dans la névrose, comme l’expliquait Freud, que l’on cherche à nier la réalité en la réduisant.

La crise en trois temps

Lorsqu’il observe comment la société au Québec réagit depuis le début de la pandémie, M. Desmeules remarque trois moments forts où l’humour s’est manifesté.

Au départ, l’on niait davantage ce qui se passait, on riait en quelque sorte de l’absurdité de l’énormité de la situation. Peut-être, rappelle-t-il, parce que l’on ne voyait pas concrètement ce qui se passait, et que ce que l’on ne voie pas est plus difficile à croire et à comprendre.

Photo : Michel Caron - UdeS

Par la suite, après avoir pris conscience de la réelle gravité de la situation – de nombreux cas se déclarent, de plus en plus de personnes décèdent –, on cherche à continuer malgré tout à vivre dans ce chaos sans tomber dans la détresse et la panique. Les blagues, notamment nombreuses dans les médias sociaux, viennent détendre l’atmosphère devant une réalité insoutenable :

On affronte l’intolérable plutôt que de le nier. Maintenant, on vit avec cette réalité, mais on ne sombre pas dans le désespoir, l’humour vient alléger tout ça. C’est ce que Freud appelle l’économie d’affect.

Georges Desmeules

Dans Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient, Freud illustre ce concept d’économie d’affect en relatant les dernières paroles d’un condamné à mort qui sera amené à la potence un lundi matin : « Ma semaine commence bien! » Malgré toute la gravité de la situation, l’humour vient offrir un moment de répit salutaire.

Finalement, l’on en vient à rire du comportement aberrant de certaines personnes. De nombreux gags ont fait la part belle par exemple à ces hordes de clients obsédés par l’achat excessif de rouleaux de papier hygiénique.

L’humour a une fonction de cohésion sociale, et c’est exactement ce à quoi répond ce type de blague : on rit ensemble des aberrations des autres.

Georges Desmeules

En somme, rire nous aide, en ces temps de COVID-19, dans notre manière d’aborder les aléas dramatiques qui en découlent. Bien que confinées et confinés, nous nous retrouvons en quelque sorte à être un peu plus ensemble lorsque nous versons dans l’humour face à cette situation surréelle. Pour les animaux sociaux que nous sommes, cela fait franchement du bien.


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